Avec moins de 18% des voix, celui qui visait directement la présidentielle a été sévèrement recalé. Le soir de son élimination, des soutiens désorientés lorgnaient déjà vers Hamon, sans grande motivation.
Il avait mangé de la tête de veau à Louhans (Saône-et-Loire) le midi pour célébrer la mort de Louis XVI. Mais ce 22 janvier au soir, c’est lui que les primaires citoyennes ont décapité. En récoltant moins de 18% des voix, Arnaud Montebourg a été éliminé dès le premier tour, écrasé par Benoît Hamon (plus de 35%) et Manuel Valls (31% environ).
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Pour celui que l’on présentait comme le challenger naturel de l’ex-Premier ministre, la contre-performance est de taille : à la primaire du PS en 2011, son score était à peine inférieur. A l’époque, son statut de faiseur de roi l’avait grisé au point de réserver jusqu’à l’avant-veille du second tour sa décision de soutenir François Hollande, ce qu’il fit du bout des lèvres et sans donner de consigne de vote. Aujourd’hui, la potion est amère.
Les militants présents ont la mine blafarde
Dans son minilocal de campagne, rue du Docteur-Roux, dans le XVe arrondissement de Paris, l’ambiance s’en est ressentie. Les quelques militants présents ont la mine blafarde et les cernes creusés par la fin de campagne. Tout juste quelques bouteilles de bière consolent-elles les plus affectés par les résultats, sous les affiches tricolores de leur champion.
Quelques minutes après l’annonce des scores par l’organisateur de la primaire, Christophe Borgel, l’ex-“démondialisateur” a déboulé sur l’estrade et, dans un discours sommaire, a invité ses soutiens à voter pour Benoît Hamon, puis il est reparti illico, saluant au passage un jeune bénévole en le prenant par la tête : “Salut mon grand, vous avez été bons, très forts !” Mais le cœur n’y était pas.
“Je suis inquiète pour la présidentielle et pour le PS” Maëlle, 21 ans
Désorientés, certains Jeunes avec Montebourg ne sont ni enthousiastes à l’idée de voter Hamon, ni optimistes sur son avenir à la présidentielle : “Hamon et Montebourg ont des visions différentes de la société et de la gauche, soutient Maëlle, 21 ans, vêtue d’une marinière caractéristique. Et je ne vois pas comment Hamon pourrait faire le poids face à Mélenchon et Macron. Il va être mangé par ces deux dynamiques, sur sa gauche et sur sa droite. Je suis inquiète pour la présidentielle et pour le PS.”
C’est dire l’abîme qu’Arnaud Montebourg laisse derrière lui. Mais comment l’homme de Frangy-en-Bresse, candidat à la présidentielle avant même d’accepter les règles du jeu de la primaire, s’est-il crashé à la troisième place ?
“Hamon a polarisé les débats de la primaire autour de lui”
Il a fallu toute l’habileté politique – et une once de malice, peut-être ? – de Benoît Hamon pour enrayer la mécanique implacable du navire amiral de la gauche du PS. L’entrée en compétition de l’ex-ministre de l’Education nationale n’était en effet pas prévue.
Au printemps 2016, le Breton avait laissé entendre à Arnaud Montebourg qu’il ne serait pas candidat, lui ouvrant un boulevard pour porter le fer contre François Hollande et ses avatars. Mais il n’en fut rien. Une semaine avant l’annonce de sa candidature à Frangy le 21 août 2016, Hamon coupe l’herbe sous le pied de Montebourg en déclarant la sienne. Depuis, il n’a cessé de parasiter sa campagne.
“Il a polarisé les débats de la primaire autour de lui, notamment avec sa proposition de salaire universel, ça nous a fait du tort”, déplore Aurélien, un Jeune avec Montebourg désabusé. De son côté, le coq bressan est resté dressé sur ses ergots : fin de l’austérité, rupture avec les traités européens, protectionnisme, service national…
“On ne s’attendait pas à un écart aussi élevé avec Valls”
A force de répéter qu’il n’était candidat qu’“à une seule élection, la présidentielle”, n’a-t-il pas sauté une étape, au risque de tomber dans le vide ? Les yeux rougis par les larmes, les bras croisés sur son pull en laine jaune, Sarah, investie dans sa campagne depuis huit mois, est au bord de la crise de nerfs : “Je suis choquée. On ne s’attendait pas à un écart aussi élevé avec Valls. Cela implique une profonde remise en question par rapport aux derniers mois de campagne”, admet-elle.
Pendant que Montebourg multipliait ses stand-up dans les centres-ville, Hamon se démarquait à moindre frais par ses propositions iconoclastes –légalisation du cannabis, revenu universel, lutte contre les perturbateurs endocriniens…
“Hamon était moins dans la mémoire rétinienne des gens que Montebourg” Jérôme Guedj
De quoi susciter la curiosité et l’adhésion d’un large public : “J’ai toujours été convaincu que dans cette primaire, certains allaient se révéler, qu’il y aurait un effet de découverte pour ceux qui étaient les moins connus. Benoît Hamon était moins dans la mémoire rétinienne des gens qu’Arnaud Montebourg”, analyse, fataliste, Jérôme Guedj, un de ses soutiens.
De fait, l’intérêt médiatique pour Benoît Hamon s’est transformé en dynamique, au détriment de l’ex-ministre du Redressement productif. “On n’est pas surpris, puisqu’on vous regarde et qu’on vous lit ! Cette fois-ci, le système ne s’est pas trompé”, taquine ainsi Cédric, clope au bec dans le froid glacial de la soirée électorale.
“Une nouvelle page de l’histoire de la gauche est en train de s’écrire”
Dans le local transformé en bureau des pleurs, le directeur de campagne de Montebourg, François Kalfon, assure aux journalistes qu’“une nouvelle page de l’histoire de la gauche est en train de s’écrire, qui rompt avec la dérive sociale-libérale et l’austérité”.
Mais le grand perdant de ce premier tour sera-t-il de ce nouveau chapitre ? Pour beaucoup de ses proches, la carrière politique du chantre du made in France est compromise. “Il y a peu de chances qu’il continue sa vie politique”, estimait l’un d’eux hier. “Ce retour à la vie ordinaire est à mes yeux préférable à la carrière politique à vie, coupée de la réalité, tournant à vide, ayant perdu la compétence et la connaissance du réel”, disait-il lui-même lors de l’annonce de sa candidature, à propos de son incursion comme entrepreneur dans le privé suite à son départ de Bercy. Une parenthèse qui pourrait bien s’avérer prophétique.
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