Les pop-stars Taylor Swift, Miley Cyrus, Sky Ferreira, Lily Allen ont été taxées de racisme pour s’être appropriée des codes de la culture noire ou latino. Hommage ou pillage? Jusqu’où l’appropriation culturelle peut-elle être tolérée?
Si dans une version 2025 du Trivial Pursuit, vous tombez sur la question : « Qu’avaient Miley Cyrus, Lily Allen, Taylor Swift, Sky Ferreira et Lana Del Rey en commun, mis à part le fait d’être des chanteuses pop blanches ? », sachez que la bonne réponse est qu’elles ont toutes été accusées d' »appropriation culturelle ». Au cœur de ces polémiques : la récupération par des pop-stars blanches d’éléments de la culture afro-américaine, avec, au premier plan, le fameux twerk.
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Le dernier scandale en date vise Taylor Swift et son clip Shake It off (sorti le 18 août), que le rappeur Earl Sweatshirt a accusé, sur Twitter, de « perpétuer les stéréotypes au sujet des Noirs qu’ont ces filles blanches qui cachent leurs préjugés en proclamant leur amour de la culture (afro-américaine) ». Le clip met en scène plusieurs types de danse, dont du twerk – pratiqué par des danseuses noires – et de la danse classique – exercée par des danseuses blanches.
Simple coïncidence ou non, le lendemain sortait le fameux Anaconda de Nicki Minaj, ode au twerk et aux fessiers bien rebondis. La chanteuse originaire de Trinité-et-Tobago y chante: « J’emmerde les salopes maigres, j’emmerde les salopes maigres dans ce club. Je veux voir toutes les salopes avec des gros culs dans ce putain de club. »
C’est Miley Cyrus qui ouvre le bal des polémiques autour du twerk en juin 2013 avec le clip We Can’t Stop. Son twerk frénétique et sa manie de claquer les fesses de ses danseuses noires lui valent d’être taxée de racisme. Ce qui ne l’empêchera pas de le refaire deux mois plus tard lors des Video Music Awards aux côtés de l’effarant Robin Thicke, et lors de tous ses concerts. Mais Miley est loin d’être la seule à s’être fait épingler. Le clip Hard Out Here de Lily Allen, sorti en novembre 2013, a lui aussi fortement déplu. L’artiste y chante qu’elle « n’a pas besoin de secouer ses fesses car (elle) a un cerveau », alors même que la caméra filme ses danseuses, noires, twerkant en petite tenue. Du second degré qui passe mal. En avril, Sky Ferreira se voyait, elle, reprocher d’avoir associé les gangs aux Noirs tout en cherchant à cooliser la violence de rue dans le clip I Blame Myself.
Mainstreamisation de la culture ratchet
Pour Kaila Adia-Story, directrice du département consacré aux études afro-américaines à l’université de Louisville (Kentucky), ces exemples d’appropriation culturelle puisent leurs racines dans la tradition de la blackface. Exercée au XIXe siècle et au début du XXe par des comédiens blancs au sein de spectacles comiques appelés « ministrel shows », cette pratique consistait à se peindre le visage en noir pour interpréter et surtout se moquer d’un Afro-Américain.
« Bien sûr, chacun a le droit de danser comme il l’entend. Mais souvent, Cyrus et Swift ne cherchent pas à montrer que cette danse est géniale, ou combien elle nécessite d’habileté pour être pratiquée. Elles l’utilisent pour se moquer. » Et Kaila Adia-Story, d’ajouter : « Elles s’en servent aussi pour érotiser leurs corps, liant du même coup étroitement le sexe à la culture afro-américaine et plus exactement aux femmes noires, dont l’image est ainsi hypersexualisée. »
Au-delà du twerk, Cyrus, Swift et Ferreira se voient reprocher leur utilisation de stéréotypes afroaméricains comme accessoires de mode. Objectif: s’acheter une caution de bad girl et passer pour une fille cool à coups de grillz, de colliers en or et de faux ongles. Résultat : mainstreamiser et tirer profit du ratchet, esthétique bling-bling, cheap et vulgaire, véhiculant une image clichée des femmes noires.
Dans un article consacré au sujet publié en 2013, le site Jezebel reprochait à l’enfant-star millionnaire Cyrus de piller la culture d’une minorité sans pour autant embrasser son combat pour l’égalité des droits. « Ces artistes qui prétendent célébrer et chérir la culture afro-américaine à travers leur twerk et autres appropriations culturelles ne se sont pas exprimés sur les événements de Ferguson », remarque Kaila Adia-Story. Exception faite de Sky Ferreira qui a apporté son soutien à la communauté noire de Ferguson sur Instagram.
Chola et coiffe amérindienne
Les procès en racisme sont loin de se limiter à la culture afro-américaine. Depuis quelques mois, la pop a jeté son dévolu sur l’esthétique chola. Latino-américaines, les cholas font à l’origine partie de gangs de rue, et se reconnaissent à leur look extrêmement travaillé : rouge à lèvres sombre, sourcils très dessinés, bouclettes sur les tempes, crinière relevée en banane, bijoux dorés et larme(s) à l’œil. Des codes repris par Selena Gomez dans un clip pour les MTV Awards, Rihanna pour une fête d’Halloween en 2013, Lana Del Rey dans son court métrage Tropico.
http://www.youtube.com/watch?v=7PTZPa5hkRE
Toutes les trois ont été accusées d’avoir vidé la culture de sa substance en la réduisant à une poignée de stéréotypes pour mieux l’utiliser comme faire-valoir. Le 15 août, une journaliste du Guardian s’emportait contre le « pillage, la caricature et la cartoonisation » de l’esthétique chola dans la pop culture: « Les gens privilégiés empruntent le ‘cool’ des personnes de couleur sans avoir à faire face à la discrimination ou la marginalisation qui va avec. »
Lana Del Rey avait déjà déclenché la polémique en arborant une coiffe amérindienne dans le clip Ride. Même chose pour Chanel qui en avait intégré à un défilé présenté à Dallas (Texas) en décembre 2013. Mentionnons aussi, au passage, la figure de la geisha, exploitée par Madonna en 1999, puis Katy Perry lors des American Music Awards de 2013. Vivement critiquée, la chanteuse a répliqué cet été à Rolling Stone : « Je crois que dorénavant je vais m’en tenir au base-ball et aux hot-dogs. (…) N’a-t-on pas le droit d’apprécier une culture ? Tout le monde doit-il toujours rester dans son pré carré ? »
« Faire du soi avec de l’autre tient d’un principe créatif »
L’essence même de la pop culture n’est-elle pas de puiser son inspiration dans les subcultures ? « L’appropriation est un principe de l’art, dont on sait l’importance qu’il donne aux reprises, aux citations, aux références. C’est un aspect dont la pop culture se nourrit largement », affirme Monique Jeudy-Ballini, directrice de recherches au CNRS et spécialiste des questions d’appropriation culturelle. « Plus que jamais à l’époque contemporaine, marquée par une forte valorisation de l’hybridité, du métissage et du sampling, faire du soi avec de l’autre tient d’un principe créatif. Une culture n’est pas un isolat étanche et mobile mais un ensemble ouvert qui ne cesse de se construire par l’importation d’influences et d’éléments étrangers. »
Pourtant, ces polémiques entourant l’appropriation culturelle ne datent pas d’hier. Par le passé, des musiciens blancs se sont, par exemple, vu contester leur légitimité à composer du jazz. De même pour certains rappeurs.
« L’expression d’appropriation culturelle s’inscrit dans la réflexion postcoloniale incriminant la manière dont l’Occident hégémonique n’a cessé d’exercer une action prédatrice sur les populations anciennement colonisées ou dominées », explique Monique Jeudy-Ballini.
Si la culture internet et la mondialisation se sont accompagnées de replis identitaires, les croisements culturels ne cessent pas moins d’exister. Au Japon, une petite communauté baptisée B-Stylers récupère les codes esthétiques du hip-hop américain, avec bandanas, chaînes en or et baggy. Certains vont même jusqu’à multiplier les séances d’UV et porter des lentilles. Grossière caricature, racisme ou simple appropriation ? Monique Jeudy-Ballini résume : « Le désir d’être différent, d’être l’autre a toujours existé. C’est humain. »
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