Fabricants et éditeurs déposent des brevets à répétition pour mieux attaquer ensuite leurs concurrents. Ces titres de propriété industrielle deviennent des armes de dissuasion massive.
Les avocats spécialisés dans le droit des affaires sont aux anges. Depuis quelques mois, pas une semaine sans qu’une dépêche n’annonce la plainte d’une entreprise ou d’un éditeur de logiciels pour violation de brevets. Cette bataille autour des brevets n’est pas une chose nouvelle dans le monde des nouvelles technologies, en témoigne par exemple l’affaire Kodak-Sony en 2005 : au terme de trois ans de négociations vaines, Kodak avait attaqué Sony pour utilisation sans licence de certaines de ses technologies brevetées entre 1987 et 2003. Aujourd’hui, les titres de propriété industrielle sont devenus le nerf de la guerre que se livrent les acteurs des télécoms.
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Et dans ce domaine, Apple dégaine plus vite que son ombre. La firme détenant de nombreux brevets concernant des fonctionnalités, l’affichage et la navigation dans les applications, elle multiplie à l’envi les procédures. Dès qu’un mobile ou une tablette ressemble trop à un iPhone ou à un iPad, c’est un procès afin d’empêcher la commercialisation de cette « copie » selon Apple. Samsung en a fait les frais récemment avec sa nouvelle tablette Galaxy Tab 10.1, jugée trop proche de l’iPad et, depuis un jugement du 9 septembre, interdite de vente en Allemagne.
Cette guerre juridique déclenchée par Apple s’explique par la montée en puissance d’Android, le système d’exploitation pour téléphones mobiles racheté par Google en 2007. Selon le cabinet américain Gartner, au deuxième trimestre de 2011, Android domine avec 43,4% de parts de marché. Symbian (Nokia) est numéro deux mondial avec 22,1% tandis qu’iOS d’Apple se classe troisième avec 18,2%. BlackBerry OS est en quatrième position avec environ 10%. Quant à Windows Phone 7, il arrive dernier avec moins de 2%, même si ces statistiques restent assez floues car Microsoft ne fournit pas de données.
Un moyen de rester leader
Jusqu’à présent, Google n’intervenait pas directement dans ces attaques contre Android. Sa position évolue puisqu’il a cédé neuf brevets au constructeur taiwanais HTC pour que ce dernier attaque Apple aux Etats-Unis. HTC a ainsi déposé deux plaintes pour des violations de brevets acquis par Google auprès de Motorola et de Palm. En fait, HTC rend la monnaie de sa pièce à Apple : en juillet, cette dernière avait remporté un procès contre le taiwanais qui avait utilisé deux de ses brevets déposés des années 90 pour la fabrication des Macintosh.
Pourquoi cette explosion de procès ? D’abord, « la possession de brevets s’apparente à une forme de police d’assurance », explique Lewis Lee, associé au cabinet Lee & Hayes, spécialisé dans la propriété intellectuelle. C’est la raison pour laquelle Apple, RIM et Microsoft se sont alliés, avec d’autres constructeurs, pour acquérir les brevets de l’équipementier Nortel en juillet. Pour 3,2 milliards d’euros, ils ont mis la main sur environ 6 000 brevets portant notamment sur le wifi et la 4G.
Ensuite, ces brevets permettent de conserver une place de leader. Pour Kent Walker, le conseiller juridique de Google, « l’une des meilleures défenses d’une entreprise contre ce type de litige est d’avoir un formidable portefeuille de brevets, car cela aide à maintenir sa liberté de développer de nouveaux produits et services ».
17 000 brevets de plus pour Google
Cet été, Google a racheté Motorola Mobility pour 12,5 milliards de dollars, sa plus grosse acquisition. Elle en vaut la peine car l’éditeur récupère 17 000 brevets dont 15 000 concernent la téléphonie mobile. Comme toutes les entreprises en général, avec un tel portefeuille, Google vise plusieurs objectifs. En l’occurrence : augmenter sa part de marché en devenant, peut-être, un fabricant de téléphones en relançant l’activité de Motorola ; limiter les attaques concernant des brevets ; bloquer les concurrents en les empêchant de développer leurs innovations ; augmenter ses revenus – entre 200 et 300 brevets entreraient dans la production d’un smartphone standard. Résultat, les royalties versées par les constructeurs de smartphones représentent 15 à 20% de leur prix de vente ! Autant de raisons indiquant que cette guerre va continuer.
A l’arrivée, il n’est pas sûr que le consommateur en sorte gagnant, à l’image des Allemands qui ne pourront pas choisir entre un iPad et la Galaxy Tab.
Philippe Richard
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