Alors que plateformes de discussions et médias divers partent en guerre contre les fake news, le CEO d’Apple fustige les faits alternatifs. Et il n’est pas le seul…
Partout, les outils de désintox se multiplient. Dans les médias d’abord, des Décodeurs du Monde à l’Inspecteur Viral de Metro, du Désintox de Libération aux Observateurs de France 24. Au gré des entreprises surpuissantes ensuite via l’émergence des outils de fact checking des moguls Google et Facebook, sergents contestables d’un « journalisme certifié« . Au sein d’une société de l’information déstabilisée, même Apple a son mot à dire. Tim Cook, CEO de la multinationale américaine, ne voit pas forcément d’un bon œil cette hégémonie des faits alternatifs.
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Faits alternatifs et points de vue alternatifs
« Nous devons ouvrir notre esprit aux points de vue alternatifs, et non aux faits alternatifs » a déclaré Tim Cook au Newseum de Washington, où lui a été remis le Free Speech Award. Dans son viseur, l’argument de Kellyane Conway, énoncé sur le plateau de NBC en janvier dernier. Peu importe si l’investiture de Trump ne dévoile pas « la plus grande foule jamais vue« , comme le prétendait le secrétaire Sean Spicer : selon la conseillère à la Maison Blanche, ces mensonges étaient des « faits alternatifs« . Drôle de situation que celle d’une nation où la contre-vérité se fait langage administratif, les médias « ennemis du peuple américain » et les « fake news » récurent trait de langage présidentiel. Autant de dangers pour la liberté d’expression aux yeux du CEO d’Apple, qui tire la sonnette d’alarme :
« La liberté d’expression nécessite d’être maintenue. Pas simplement les discours qui nous divertissent, mais ceux qui nous remettent en question et nous dérangent, nous déconcertent et nous déplaisent. Ceux-là méritent plus de protection qu’aucun autre. Il n’y a rien d’anodin à ce que ces libertés soient protégées par le Premier Amendement de la Constitution Américaine »
Face à la diabolisation des médias traditionnels et aux agissements de la droite alternative sur le web, Cook en appelle à l’apaisement. Il rappelle que « la liberté d’expression ne consiste pas simplement à parler mais à écouter, qu’on soit d’accord ou non, et cela nécessite d’être informé« . Ce précepte démocratique dissocie les « faits » des « points de vue » alternatifs. Suivant cet idéal, Cook a pris position contre le Muslim Ban il y a trois mois de cela, en affirmant notamment qu’ »Apple n’existerait pas sans l’immigration« . Dans la lettre qu’il adresse aux employés de l’entreprise se devine cette notion très melting-pot de « points de vue alternatifs » :
« A Apple, nous croyons profondément en l’importance de l’immigration – à la fois pour notre compagnie et pour le futur de notre nation. Beaucoup de nos employés sont directement concernés par ce décret. Apple est ouvert à tous, peu importe leurs origines. Pour employer les mots de Martin Luther King : « nous venons peut être de différents navires, mais nous naviguons aujourd’hui sur le même bateau »
Science versus faits alternatifs
On April 22, people all over the world will March for Science. Will you join us? https://t.co/JtSSEa6ino https://t.co/8t0apuBUKU pic.twitter.com/TYlaTWe8ib
— March For Science (@MarchForScience) April 19, 2017
Mais le CEO d’Apple n’est pas seul à s’indigner. Les scientifiques à leur tour sont bien décidés à éveiller l’opinion publique. Trois mois après la retentissante Women’s March aura lieu la « Marche pour la Science« . Ce 24 avril, les défenseurs de la rationalité manifesteront dans pas moins de cinq-cent villes à travers le monde, dont Washington. Donald Trump n’a jamais caché sa réticence face à la science, qu’il coupe les fonds des Instituts américains de la Santé, nomme un climatosceptique à l’Agence de protection de l’environnement, s’oppose aux vaccins, menace d’effacer des données issues de la recherche ou érige le réchauffement climatique en “fake news” engendrée par la Chine afin d’affaiblir l’économie US.
Pour l’universitaire Rob Young, amener la science dans la rue permet de lutter contre la désinformation de masse. Si l’événement est suffisamment médiatisé, il pourrait même sensibiliser les populations de la Rust Belt, terreau de supporters du républicain. « Il est facile de diaboliser les scientifiques si l’on ignore ce qu’ils sont. Ils doivent plus souvent sortir de leur laboratoire, et expliquer pourquoi leurs travaux influent sur la santé des citoyens. » déclare-t-il au journaliste scientifique Steve Baragona. Et si dans l’Amérique de 2017, la rigueur était devenue une révolte ?
Spécialiste en médecine personnalisée dans une entreprise du Connecticut, Michele Milham le suggère dans les pages du New York Times : « Le concept de faits alternatifs m’effraie. Cette marche concerne tous les américains. A chaque nouvelle décision politique, nous nous devons de défendre l’usage de faits scientifiques réels et non biaisés« .
Les faits alternatifs remettent non seulement en cause la légitimité d’un savoir mais celle d’une pluralité considérable de métiers. Doctorante en physique nucléaire à l’université de Caroline du Nord, Chelsea Bartram craint fortement pour l’avenir de la profession :
« Beaucoup d’entre nous vouent de l’importance à la notion de « réalité objective ». Les scientifiques passent des heures et des heures de leur vie dans des laboratoires au service d’une idée abstraite : la compréhension de notre réalité est bénéfique à la civilisation humaine. Alors, voir certains affirmer que « ce n’est pas si important », c’est catastrophique »
La guerre des faits alternatifs
« De la science, pas du silence » lit-on sur les écriteaux des manifestants. A l’instar du discours de Tim Cook, c’est ici la liberté d’expression, droit fondamental, qui s’érige en « contre-contre-vérité« . A leur manière, ces déclarations et démarches participent à un conflit majeur désigné par TIME : la « guerre des faits alternatifs« . L’enjeu ? Faire retentir « le chant international de la vérité« , conclut le journaliste James Stavridis en proposant une alliance organisée entre les médias et les ONG.
Preuve en est que les faits alternatifs dépassent le cadre du politique, le physicien Lawrence M. Krauss ne limite pas la Marche de samedi aux enjeux scientifiques. Le but est plus conséquent. C’est une « marche pour la réalité« . Et le scientifique de rappeler cette citation de Philip K Dick : « la réalité, c’est ce qui ne disparaît pas quand on arrête d’y croire« .
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