Le culte du secret qui anime Apple vire à l’inquiétante paranoïa : d’anciens employés et un article du New York Times dévoilent les méthodes radicales employées par la firme californienne pour éviter les fuites.
« One more thing » : devenue mythique chez les nerds et geeks, c’est la formule consacrée par les pontes de la firme de Cuppertino pour annoncer, en toute fin de conférence de presse et en vraie-fausse surprise, ce qui deviendra dans les semaines qui suivent un probable carton commercial multi-platiné. L’iPod, l’iPhone, des systèmes d’exploitation, de nouveaux ordinateurs personnels : ils sont, presque, tous passés par ce « Encore une chose ». Cette petite phrase fatidique, certains employés d’Apple l’attendent eux-mêmes avec impatience : ils ne sont généralement pas même au courant de ce qui se passe dans les bureaux des petits voisins. Car Apple, au fil des années, a monté un culte du secret qui ferait enrager Kim Jong-Il de jalousie. Un voile noir totalitaire et presque flippant, l’un des plus opaques que l’on puisse rencontrer dans le joyeux monde du high-tech occidental, et que révèle dans le détail un passionnant article du New York Times.
Si le secret est également un joli moyen d’alimenter le moulin à rumeurs, de faire déblatérer, à l’infini et dans le vide, les journalistes spécialisés, blogueurs ou forumeurs, s’il est un moyen de faire mousser un buzz par le manque et la frustration, il n’est ici pas uniquement question d’une pure et simple stratégie marketing. Car Apple est devenu une société clairement paranoïaque et répressive. La firme a ainsi intenté, rappelle le NYT, quelques retentissants procès contre divers blogs et sites Internet ayant dévoilé des informations qu’elle désirait encore conserver secrètes, gagnant certains d’entre eux, faisant définitivement taire certains indélicats, mais perdant également parfois face à la toute puissance du premier amendement de la constitution américaine.
Les collaborateurs externes à Apple (développeurs, fournisseurs) sont, bien entendu, soumis aux classiques Non Disclosure Agreements (NDA), contrats de confidentialité habituels dans le monde industriel. Mais plus particulières et beaucoup plus inquiétantes sont les méthodes employées en interne pour éviter ou contrôler toute fuite potentielle. Les salariés, racontent quelques anciens, sont surveillés dans leurs bureaux par des caméras de surveillance. Ceux qui travaillent sur les projets les plus secrets doivent passer par de nombreux sas de sécurité avant d’arriver sur le lieu de leurs recherches. Les mêmes employés doivent également couvrir d’un tissus sombre et en tout temps le produit, ou la partie du produit, sur lequel ils travaillent –et indiquer par une lumière rouge à l’extérieur de la pièce sécurisée le moment où l’objet ne bénéficie plus de sa protection, pour éviter toute entrée surprise. Plus fort encore, voire carrément machiavélique : Apple donne parfois des informations erronées à ses employés sur les projets en cours, attendant sciemment une fuite puis enquêtant sur le ou les fautifs pour les licencier sans autre forme de procès.
Le même lourd secret entoure depuis des mois l’état de santé grave et fluctuant de Steve Jobs. A l’ère de la glasnost industrielle généralisée et idéologique, pas le meilleur moyen de rassurer ou de sécuriser les actionnaires et investisseurs, note le New York Times –les rumeurs ou informations partielles ayant fini par altérer le cours de bourse de la firme, Apple a fini par se décider à communiquer sur le sujet, mais toujours sans véritable clarté.