Jeudi 25 janvier la Nuit des idées était l’occasion de lancer AOC, média entièrement numérique, qui met à contribution écrivains et intellectuels.
Le décompte s’est achevé à 20h, dévoilant un site épuré, où trois lettres noires se découpent sur fond blanc : AOC. Analyse, Opinion, Critique. C’est dans le centre de Paris, dans la salle de la bibliothèque Richelieu, à deux pas du cœur de Voltaire, scellé dans le socle de sa statue, que se tenait jeudi soir le lancement de ce nouveau média en ligne, qui entend « prendre de la hauteur » en « publiant des textes qui visent autant que possible à (re)faire autorité et à structurer le débat ». Presque un patronage.
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Très ému de lancer ce soir, depuis La Bibliothèque Nationale de France, tout contre le cœur toujours battant de Voltaire, le quotidien d’idées AOC : un journal édité par des journalistes et écrit par des auteurs. pic.twitter.com/HcV3nOON9y
— Sylvain Bourmeau (@bourmeau) 25 janvier 2018
Parmi les fondateurs, des journalistes, Sylvain Bourmeau (qui fut le directeur adjoint de la rédaction des Inrockuptibles entre 1994 et 2008), Raphaël Bourgois, producteur de l’émission « Avis critique » sur France Culture et Hélène Fromen, anciennement responsable du site du Monde et de Mediapart. Mais aussi une professionnelle de l’édition, Cécile Moscovitz. Un juste équilibre, en accord avec la ligne éditoriale.
Faire de l’écrivain un journaliste
Dans leurs locaux situés près de Bastille, c’est la course depuis deux semaines. « On a eu de petits problèmes techniques ce matin, mais heureusement tout fonctionne ! » nous assure-t-on. Initialement prévu le 18 janvier, le lancement a été décalé d’une semaine, pour coïncider avec la Nuit des Idées, organisée pour la troisième année consécutive par l’Institut français.
Et des idées on en a chez AOC, un journal « conçu par des journalistes et écrits par des auteurs » selon la formule de Sylvain Bourmeau, son fondateur.
« On fonctionne à la pige, en rémunérant des auteurs pour leur production. Le but c’est d’avoir à chaque fois un auteur, un chercheur spécialiste du sujet pour traiter une question – ou au contraire de jouer à contre-emploi, avec quelqu’un qui vient sur un sujet où on ne l’attend pas.«
Quotidien en ligne, AOC proposera chaque jour, à 20h, trois articles – une analyse, une opinion, et une critique donc – rédigés par des écrivains ou des chercheurs. Un long entretien le samedi et un texte littéraire le dimanche viendront clore la semaine.
Pour la première publication, trois textes, signés Fariba Adelkhah, anthropologue, Christian Lehmann, médecin généraliste et écrivain, et Thierry Hoquet, philosophe, traitent respectivement de la crise de la famille en Iran, de l’obligation vaccinale et du film de Martin McDonagh, Three Bilboards. Comme l’explique Sylvain Bourmeau : « Le but est de faire écrire les bonnes personnes dans les 48 heures qui suivent une actualité ».
La place de l’écrivain
Le lancement était l’occasion de s’interroger sur le statut de l’auteur aujourd’hui. Quelle place pour l’activité d’écrivain dans la société ? Que signifie « faire autorité » ? Comment – et pourquoi – faire de l’écrivain un journaliste ? Autant de questions abordées par les différents intervenants, parmi lesquels l’écrivaine et dramaturge Hélène Cixous, l’écrivain Vincent Message ou encore la sociologue Gisèle Sapiro.
« Depuis que j’ai commencé a ecrire je me suis sentie éloignée de l’auteur, si quelqu’un mérite une reconnaissance c’est le texte » @HeleneCixousAcc parle de l’auteur pour le lancement de @AOC_media à @laBnF pour #LaNuitDesIdées
— Raphaël Bourgois (@RaphBourgois) 25 janvier 2018
La production de textes en lien avec l’actualité apporte une nouvelle corde à l’arc de l’écrivain, et lui confère un rôle de passeur. Elle permet aussi de penser le journalisme non seulement comme profession mais comme fonction sociale, qui doit être occupée par des voix différentes. À la rigueur de l’information vient s’ajouter un impératif de plaisir, celui de la lecture, avec l’ambition de produire des textes qui « font référence« .
Sur la question de la rémunération des auteurs, centrale dans le projet d’AOC, il s’agit aussi de soutenir la création. Selon nos informations les auteurs sont rémunérés 500 euros par texte. Un modèle à la pige, calqué sur celui du journalisme. D’autres projets éditoriaux, comme Le 1, crée en 2014 par Éric Fottorino, ont déjà fait le pari de mêler presse et littérature, avec un certain succès.
Un « pari fou » ?
Changement de décor. La Nuit des idées se poursuit à quelques rues de là, dans le hall de la Gaité Lyrique, pour la « nuit de la presse », organisée par Reporter Sans Frontières. Raphaël Bourgois d’AOC y intervient aux côtés de Thierry Mandon, directeur de publication de l’ebdo, magazine créé début janvier. Sur le thème « Lancer un nouveau média, un pari fou ? » les deux intervenants étaient invités à revenir sur leurs toutes jeunes aventures éditoriales.
Le quatrième débat de la Nuit de la presse, c’est maintenant : « Lancer un nouveau media, un pari fou ? » Avec : @RaphBourgois @mandonthierry @IFParis, @gaitelyrique #LaNuitDesIdées pic.twitter.com/rzXa9K5uLu
— RSF (@RSF_inter) 25 janvier 2018
La présence côte à côte de deux représentants de l’ebdo et d’AOC et n’est pas anodine. Lancés à quelques semaines d’intervalles, tout oppose pourtant ces deux nouveaux venus : minuscules contre majuscules, « ebdo-madaire » contre quotidien, magazine papier contre pure-player, et une volonté de vulgarisation et de décentrage contre une certaine exigence de contenu et de style, que d’aucuns pourraient taxer d’élitisme, voire de parisianisme. Si ebdo revendique d’être « extraordinairement accessible dans l’écriture » pour « s’intéresser aux gens qui ne lisent pas, qui ne lisent plus« , explique Thierry Mandon, AOC fait le pari de longs articles de fond, très écrits, au format ambitieux.
R. Bourgeois (@AOC_media) : « on a fait le constat qu’il y avait de la place pour penser d’autres modèles, d’autres façons de faire du journalisme. On a choisi de faire des articles de fond, 10000 signes, une analyse, une opinion et une critique » #lanuitdesidees
— • sarah • (@_sarahcht) 25 janvier 2018
Les deux projets se rejoignent sur un point : face au « torrent d’informations » généré par les réseaux, il est nécessaire de « prendre du recul » pour Thierry Mandon. On pense à brief.me, « mini-journal » diffusé par mail, lancé en 2015 par Laurent Mauriac, fondateur de Rue 89, qui partage aussi avec AOC un certain goût pour l’épure.
Lire aussi : « Brief.me » : la newsletter qui hiérarchise et simplifie l’info
Sur la question du financement aussi les modèles divergent : ebdo fait le choix d’un média sans publicité, entièrement financé par ses lecteurs, quand AOC aura recourt à des partenariats ciblés, en lien avec ses contenus. Parmi les premiers partenaires, on compte le Palais de Tokyo par exemple : « nous avons fait le choix de bien rémunérer nos auteurs en faisant le choix de la publicité tout en faisant le pari de la réinventer », explique Raphaël Bourgois. Entre la publicité et les abonnements – douze euros par mois, six pour les étudiants – le média doit atteindre 10 000 abonnés pour être pérenne. Les prochains mois diront si le pari était fou, ou gagnant.
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