A l’occasion de notre numéro spécial “Comment ça va, la France ?”, le cinéaste, réalisateur de “La Fille du 14 juillet”, évoque le sentiment de fête ressenti lors des manifestations.
Comment vous sentez-vous en France aujourd’hui ?
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Je me sens assez désespéré. Tout ce qui a été édifié, obtenu, construit depuis la Révolution puis à la Libération est en train d’être détricoté par des Napoléon III qui se succèdent les uns après les autres. Le pouvoir ne change pas, il n’y a que les pantins qui changent. C’était cette idée qui m’a guidé quand j’ai fait le générique de La Fille du 14 Juillet, en montrant Hollande qui succède à Sarkozy avec les mêmes gestes. Une manière de dire « le roi est mort, vive le roi ». A l’époque, c’était plus une blague qu’autre chose, je ne pensais pas que ce serait vrai à ce point-là. Comme quoi la comédie est un mensonge qui dit la vérité.
Quelle image vous a frappé récemment ?
L’opposition de la ministre du Travail Muriel Pénicaud à porter de cinq à douze jours le congé donné aux parents endeuillés pour des raisons économiques. Perdre un enfant coûte énormément, mais ça n’est pas en argent que ça se mesure. En venir ici à mégoter sur 7 jours de congé c’est franchement dégueulasse. Apparemment, il a fallu l’intervention de la femme du Président pour qu’elle revienne sur sa décision. Quand on est capable de réfléchir comme ça, on reste rêveur sur ce pouvoir.
On est tout à fait dans le même registre quand ce pouvoir flingue l’hôpital, l’école ou les retraites, c’est-à-dire tout ce qui concerne les personnes les plus vulnérables de la société. Après le capitalisme fou, Macron invente le capitalisme ignoble avec sa doctrine : “L’être humain coûte cher.” C’est le roi Dagobert qui a mis son cerveau à l’envers : l’argent commun devrait servir à soigner, éduquer, aider les gens qui en ont besoin. Dans la logique bancaire de M. Macron, c’est l’inverse, il faut qu’un malade rapporte de l’argent, qu’un retraité soit rentable, etc. Mais alors l’argent ça sert à quoi ? La prochaine étape sera-t-elle “la liberté coûte cher” ?
Qu’est-ce qui vous chagrine dans la situation actuelle ?
En toute logique, la régression de l’Etat social s’accompagne du retour au religieux avec son inévitable intolérance. Le retour du religieux n’est rien de moins qu’une forme de l’Etat policier dans lequel nous vivons, qui se durcit de jour en jour et se croit tout permis. Le pouvoir religieux, c’est la police de l’esprit.
Et ce qui vous redonne de l’espoir ?
Les Gilets jaunes 2019 bien sûr ! Ce qui m’a le plus surpris dans ces manifestations, c’était la joie et le sentiment de fête. Que voulez-vous, depuis qu’on est gamin on nous apprend à fêter le 14 Juillet, ce moment où les gens ont tout cassé et renversé le pouvoir. Quand j’étais petit, on a fêté le bicentenaire en nous habillant en révolutionnaires. Du coup, quand les gamins grandissent, faut pas s’étonner qu’ils le reproduisent, c’est à l’école qu’on a appris ça ! D’ailleurs les Gilets jaunes chantaient fréquemment La Marseillaise.
Tous les Français connaissent le clergé, les nobles et le tiers état. Les Gilets jaunes, c’est le tiers état qui se révolte. Le clergé a fait la sourde oreille et les nobles ont envoyé la troupe, crevé des yeux, arraché des mains, oui, oui, on parle de la France… Ce que j’ai trouvé intéressant dans ce mouvement, mis à part sa non-organisation, c’est d’avoir adopté un accessoire imposé par la loi (le gilet jaune) et d’avoir pris les ronds-points comme une Bastille.
La France est le pays des ronds-points, on sait tous qu’ils ont été plus ou moins accompagnés de pots-de-vin et c’est un truc que personne n’a l’idée de prendre à contresens. Tout à coup, ces deux trucs colbertistes qui viennent « d’en haut » sont devenus synonymes de révolte. Retournés comme des gants, c’est dingue ! J’ai tourné des images tous les samedis lors des manifs de Gilets jaunes, c’est ma manière de ne pas désespérer. Quand j’ai trop l’impression que ça va dans le mur, c’est bien de faire un film, avoir un mur en face de soi, c’est le meilleur moyen de le projeter.
Vous Président, quels changements feriez-vous en priorité ?
Je démissionnerais pour laisser à tous une immense vacance. Vous avez vu Les Tuche (d’Olivier Baroux – ndlr) avec ses Gilets jaunes et le Président qui fait grève ? Pas notre Président apparemment. C’est bien de voir Les Misérables (de Ladj Ly – ndlr), mais il aurait dû lire le livre… et voir Les Tuche. Lui qui aime tellement les leçons, ça lui en aurait donné.
Dernier film en salle La Loi de la jungle
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