A chaque élection, les contributeurs de l’encyclopédie en ligne s’activent pour renseigner les profils des nouveaux élus. Un travail de fourmi effectué dans l’anonymat.
Mercredi 21 juin, jour de rentrée parlementaire, Antoine découvre l’Assemblée nationale en même temps que 424 nouveaux députés. Appareil photo dans les mains, l’étudiant en informatique arrête les élus pressés. Accrédité par Wikipédia, il a posé deux jours de congé pour photographier les parlementaires qui n’ont pas encore d’image sur le site.
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@Wikipedia déboule à l’@AssembleeNat pour tirer le portrait de nouveaux députés ???? https://t.co/tvgSbgNXhJ cc @0x010C
— Wikimédia France (@Wikimedia_Fr) 22 juin 2017
Le soir même de ce renouvellement historique, leurs fiches sont créées à la hâte par des internautes de passage et des contributeurs habitués. Pour la plupart inconnus, le parcours de ces nouveaux députés est immédiatement scruté sur la gigantesque encyclopédie en ligne. Chaque mois, environ 15 000 utilisateurs ajoutent une pierre à l’édifice de 1,8 million d’articles paru sur la version française de l’encyclopédie des temps modernes. Aujourd’hui, n’importe qui peut modifier un article, sans inscription préalable, pour corriger une faute d’orthographe ou ajouter des paragraphes.
Bâtir une encyclopédie totale
« Je crée des articles pour tous les partis, y compris ceux extrémistes », explique Vincent, contributeur régulier des pages politiques. Depuis les années 2000, ce commissaire aux armées de 54 ans passe au moins une demi-heure chaque jour sur le site pour corriger des fautes, compléter des articles ou mettre en forme leur contenu.
Le 21 juin, toutes les fiches Wikipédia des députés élus le 18 juin sont faites, et certaines sont déjà illustrées https://t.co/SQtA6zwd1k
— Authueil (@Authueil) 21 juin 2017
Au moment d’intervenir sur un article, les utilisateurs sont informés des principes fondateurs de Wikipédia : s’appuyer sur des sources reconnues, garder un point de vue neutre, ne pas plagier… Un travail presque journalistique que les contributeurs effectuent bénévolement, satisfaits de bâtir une encyclopédie totale du monde. Vincent raconte ce goût de l’érudition en citant Casanova : “L’homme ne peut jouir de ce qu’il sait qu’autant qu’il peut le communiquer à quelqu’un.” Il a consacré ses premiers articles à la République des Kiribati, un micro-Etat perdu dans le Pacifique.
Pour Jules, wikipédien de 23 ans, le site contribue à la démocratisation de la culture :
“On essaye de donner accès au savoir à tout le monde. Pour acheter les 30 volumes des anciennes encyclopédies en papier, il fallait débourser des milliers d’euros.”
Un risque de noyautage ?
Installée à Paris, l’antenne française de la fondation Wikimedia existe depuis 2004, créée par des défenseurs des libertés numériques, des développeurs et des auteurs du site. Une dizaine de personnes y travaillent pour apporter un soutien logistique aux contributeurs, enrichir l’encyclopédie et promouvoir quatorze autres projets : Wiktionnaire, Wikibooks… Pour la rentrée parlementaire, Wikimedia a prêté des appareils photos. A partir des dons que l’association reçoit, elle finance aussi des voyages ou l’achat de livres qui permettront d’étoffer des articles. Cette partie des dépenses qui sont votées par la communauté Wikipédia.
Le plaisir de photographier des véhicules uniques grâce au soutien de @Wikimedia_Fr https://t.co/5s3XB5mOyS pic.twitter.com/It75Y0xUup
— Thesupermat (@Thesupermat) 27 juin 2017
Les contenus Wikipédia sont indépendants de Wikimedia. N’importe qui peut écrire sur le site mais le risque de manipulation politique par des militants est limité selon Cyrille Bertin, secrétaire général de Wikimedia France : “Pour passer sous les radars, il faut avoir contribué pendant un temps non négligeable. Avant ça, les contributeurs vont tous être suspects. Il n’y a pas de modération a priori mais leurs modifications vont être vérifiées.”
Sur chaque article Wikipédia, l’onglet “discussion” donne à voir les débats qui peuvent exister entre les utilisateurs sur certains sujets. Pour les articles des nouveaux députés, peu d’accrochage en coulisses. Il est trop tôt selon Jules :
“Les députés sont encore peu connus. Des fois il peut y avoir ce qu’on appelle des guerres d’édition : des suites de modifications et d’annulations sur un article. Mais il y en a plutôt lors de poursuites judiciaires ou lorsque les personnes tiennent des propos polémiques dans la presse.”
Guerres d’éditions sur des articles polémiques
Il y a peu de hiérarchie sur Wikipédia. Des administrateurs élus par la communauté peuvent tout de même restreindre l’accès à des pages polémiques pour éviter les guerres d’édition, comme celle d’Emmanuel Macron ou celle sur le conflit israélo-palestinien.
Un ensemble de règles régulent aussi la création et la modification des articles pour éviter les débats politiques. Pour qu’un article soit créé, il faut qu’il relève d’une notoriété nationale. Une condition qui peut tout de même engendrer des désaccords comme le retrace Cyrille Bertin :
“Avant l’élection présidentielle de 2012, François Asselineau avait une notoriété locale importante mais pas encore nationale. Les contributeurs proches de ce parti étaient plus structurés que les autres, il y a eu des problèmes. Du fait de la campagne il a rempli les critères mais ça a fait longuement débat.”
En dépit du principe de neutralité, les groupes d’intérêt peuvent essayer de peser davantage dans l’encyclopédie : “Il paraît qu’il y a des gens payés pour améliorer les fiches de certains hommes politiques, évoque Vincent. On n’a jamais pu le prouver, même si les fiches de certains hommes politiques sont beaucoup mieux faites.”
Mais selon Cyrille Bertin, les articles politiques sont loin d’être les plus polémiques :
“Les plus gros combats ont lieu sur des sujets d’une bêtise affligeante : est-ce qu’on dit chicon ou endive, pain au chocolat ou chocolatine. Ça peut déclencher des guerres éditoriales sans nom et des débats à n’en pas finir. Par contre François Asselineau conspirationniste ou pas, il y a moins de discussions.”
Wikitribune, nouveau projet contre les fake news
L’encyclopédie ne relaie que des sources “reconnues” mais la prolifération des fake news, parfois difficiles à distinguer, pourrait parasiter les contenus Wikipédia. Pour endiguer le phénomène, Jimmy Wales, fondateur de l’encyclopédie en ligne, a annoncé en avril le lancement de Wikitribune : un média indépendant de Wikipédia proposant un journalisme basé sur les faits.
Jules admet que l’encyclopédie n’est pas infaillible : “Wikipédia retranscrit l’état du savoir humain actuel et il ne correspond pas forcément à la vérité. Si les sources se trompent, Wikipédia se trompe avec.”
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