Entretien avec la maire de Paris qui décrit une ville ébranlée mais debout. Elle évoque les mesures prises par l’Assemblée nationale, l’accueil des réfugiés et la prise d’otages à Bamako.
François Hollande a qualifié Paris de “ville martyre”. Comment la capitale, en état de choc posttraumatique, peut-elle se remettre sur pied après cette horreur ?
Anne Hidalgo – La ville est éprouvée. Les attentats du 13 novembre se sont déroulés moins d’un an après ceux de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Le 11 janvier, les Parisiens avaient réagi magnifiquement, s’étaient levés à l’unisson des Français dans un mouvement extraordinaire. Moins d’un an après, nous sommes replongés dans un terrible cauchemar.
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Je suis allée à la rencontre des Parisiens dans les arrondissements touchés et au-delà. Une semaine après les attentats, l’onde de choc reste forte : certains connaissaient des personnes qui ont perdu la vie ou des blessés qui parfois luttent encore pour vivre, d’autres ont été témoins directs des drames.
Ce sont des milliers de Parisiens qui sont directement impliqués, sans compter ceux qui ont porté secours, ont eu des comportements héroïques. Cette immense onde de choc reste diffuse mais, jour après jour, les Parisiens se relèvent. Samedi 14 novembre, il n’y avait personne dans les rues, le lendemain les citoyens sont sortis. Il y avait un besoin d’être ensemble et de dire : “Nous sommes debout.”
Des défenseurs des libertés estiment que proroger l’état d’urgence de trois mois fait reculer nos libertés et fait le jeu des terroristes. Etes-vous d’accord ?
Je soutiens les mesures votées par l’Assemblée nationale, comme toutes les perquisitions effectuées en ce moment. S’il faut être vigilant sur la question des libertés, n’oublions pas que c’est notre liberté globale que les terroristes ont voulu réduire à néant. Notre ville vient de vivre un drame terrible. Une partie de notre jeunesse a été ciblée.
Je suis frappée par l’absence de discours de haine chez les Parisiens. Ils sont parfois nés ici, souvent ailleurs, un ailleurs qui peut être lointain. Ils sont de toutes religions, toutes philosophies, de tous âges. Mais ils ont en commun cette capacité impressionnante à incarner la fraternité, une incroyable résilience dans un moment comme celui-ci. Leur force et leur dignité m’inspirent une grande fierté.
A votre avis, pourquoi les terroristes ont-ils frappé les Xe et XIe arrondissements, ainsi que le Bataclan ? Quels étaient leurs objectifs ? Tiraient-ils au hasard ? Visaient-ils les Français ? Un mode de vie ?
J’étais sur place, au Bataclan, dans la nuit, avec le procureur, le préfet de police. J’ai vu sortir, avant même l’assaut, des victimes gravement blessées. Beaucoup sont mortes. J’ai vu ces visages, ces jeunes femmes, ces jeunes hommes, les otages qui sortaient hagards. Ils ont visé la France, sa capitale, notre ville, des quartiers où existent la fraternité, la joie de vivre, une jeunesse, une insouciance, des restaurants d’habitués.
Les terroristes ont visé un art de vivre très cosmopolite que l’on retrouve dans d’autres grandes villes. Dans ces quartiers, la fraternité et la laïcité sont une langue vivante. La liberté n’y est pas seulement une expression républicaine, c’est l’air que l’on respire.
Les mots “bobos” ou “quartiers gentrifiés” ont beaucoup été utilisés pour décrire ces lieux…
Avant les attentats, ces quartiers ont pu être décrits ainsi pour les disqualifier et les déconsidérer. J’en ai même entendu certains, par le passé, expliquer que les bobos parisiens feraient monter le FN. Si être bobo, c’est être dans une humanité bienveillante, avoir une ouverture à l’autre, une capacité à aimer la vie, à la partager, à ne pas faire de différences, alors, être bobo doit devenir une fierté.
Loin de Paris, ne peut-on pas avoir l’impression que ce sont des jeunes de quartiers défavorisés qui frappent ce qu’ils estiment être une jeunesse privilégiée ?
Non, les terroristes frappent ce qu’ils détestent : des gens qui aiment la vie, le partage, se mélanger et rire ensemble et ne se définissent pas par leur niveau de revenus. Certains ont des hauts revenus, d’autres sont dans des situations bien plus difficiles. Ils se mélangent, vivent ensemble et partagent le goût de la vie, de la liberté et de la culture.
A Paris, la mixité sociale est pour nous un projet politique car elle est l’aspiration de nombre de citoyens. Et nous agissons d’ailleurs pour empêcher que le marché immobilier ne pousse le cœur battant de Paris vers l’extérieur.
Parallèlement à ces attentats, l’Europe fait face à la grave crise des réfugiés, dont une bonne partie fuit la guerre en Syrie. La France en accueille 30 000, Paris ouvre sept nouveaux centres d’accueil. Craignez-vous que, dans un tel contexte, cette crise profite à l’extrême droite lors des prochaines élections ?
Il faut être précautionneux et faire attention aux risques d’infiltration dans certains camps. Mais dans le même temps, il faut accueillir et intégrer des réfugiés eux-mêmes victimes de Daesh. Je suis allée il y a peu à Erbil, au Kurdistan irakien, où se trouvent plusieurs camps.
La menace d’infiltration existe, il faut y répondre et ne pas être naïf. Mais il ne faut pas accepter l’instrumentalisation pour autant. Nous devons agir en responsabilité et ne jamais oublier que chacun de nous a, dans son histoire familiale, un ou des parcours de migrants. Il faut chercher en soi cet altruisme et cette ouverture à l’autre.
C’est un exercice plus compliqué que le repli sur soi mais il est nécessaire face à un risque majeur pour la démocratie et notre patrie. Comment peut-on imaginer qu’ériger des murs partout pourrait nous protéger ? Daesh a tout intérêt à la montée des extrêmes et à la division dans notre pays.
Que faudrait-il faire pour éviter que des jeunes basculent dans la violence jihadiste ?
Je suis impressionnée par le discours du pape François alors que je suis laïque et athée. Il a trouvé des mots justes pour qualifier le principal défi auquel nous faisons face : celui de l’inculture. Ces jeunes se font laver le cerveau, entrent dans des processus de radicalisation. Ils disent parler au nom d’un dieu alors que leurs discours et leurs actes sont la négation même de toute divinité.
Il faut travailler sur la raison. Car l’un des dénominateurs communs de ces assassins était leur absence d’esprit critique. Nous devons agir pour permettre à nos jeunes d’être en capacité de réfléchir et de penser, pour ne pas tomber dans le piège de la haine et du rejet de l’autre.
La ville de Bamako a été attaquée. Avez-vous été en contact avec le maire ?
Oui, j’ai rapidement appelé Adama Sangaré pour lui exprimer mon soutien fraternel et la solidarité amicale des Parisiens. Nos deux villes sont unies dans une communauté de destins. Paris sera debout aux côtés de Bamako et du peuple malien pour lutter face à la haine terroriste. Vous savez, dans ces moments où tout se dérobe sous vos pieds, la solidarité internationale prend tout son sens.
Comme tous les Parisiens, j’ai été touchée par les témoignages et les images de New York, Londres, Montréal, Rio, Séoul, Tokyo, Madrid, Bruxelles, Sydney ou encore Mexico. Les villes-mondes font face aux mêmes défis, elles se soutiennent et s’entraident car nous savons que c’est ensemble que nous les relèverons.
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