L’histoire d’Anna, telle qu’elle est racontée dans ”Le Figaro” du 5 février, a de quoi choquer. En septembre 2013, la police des Yvelines aurait tenté d’obliger cette jeune fille russe de 18 ans, pro-Manif pour tous, à espionner les Veilleurs versaillais, la menaçant de rejeter sa demande de naturalisation.
“Abracadabrantesque”, comme dirait Chirac paraphrasant Rimbaud. A en croire l’histoire relatée dans le Figaro du 5 février, les craintes les plus extravagantes des militants de la Manif pour tous sont fondées : la “dictature socialiste” dispose d’une “police politique” à ses ordres, qui se compare rêveusement au KGB, et convertit, sous la menace, les enfants modèles de la bourgeoisie en mouchards contraints de dénoncer les opposants au gouvernement. Le Figaro s’émeut.
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intimidation et menaces
C’est l’histoire d’Anna, jeune fille russe de 18 ans, son bac mention très bien en poche, étudiante fraîchement intégrée en prépa littéraire, et qui aspire à entrer à l’ENS. Pas le genre de profil qu’on classerait parmi les plus vulnérables à l’expulsion. Elle vit dans les Yvelines depuis 2004, date d’arrivée de ses parents en France, naturalisés depuis. Elle ne cache pas au Figaro ses convictions de droite : elle a participé en tant que bénévole à un meeting de Nicolas Sarkozy, et à des manifestations anti-mariage pour tous. Le jour de ses 18 ans, elle fait logiquement sa propre demande de naturalisation.
Seulement voilà, fin septembre 2013, elle est convoquée au commissariat de Viroflay. Les policiers, au fait de son militantisme, la menacent de faire obstruction à sa demande de naturalisation si elle n’accepte pas d’espionner et de dénoncer ses camarades de la Manif pour tous. Ils exigent d’elle qu’elle se rende à une action des Veilleurs, à Versailles, le jeudi 10 octobre 2013, pour leur en faire un rapport détaillé, et l’intimident pour qu’elle n’en parle à personne : “En France, on n’a pas les mêmes moyens qu’au KGB, mais on peut quand même vous surveiller!”, aurait même lâché un policier selon Le Figaro.
L’édile à la rescousse
Anna en parle immédiatement à ses parents, puis à une enseignante, qui la dirige vers un adjoint à la mairie de Versailles, François-Xavier Bellamy. Contacté par Les Inrocks, celui-ci n’en croit d’abord pas ses oreilles : “Au début je ne l’ai pas crue du tout, je me suis dit qu’elle était quelqu’un de la Manif pour tous, persuadée d’être victime du gouvernement, qui invente des histoires abracadabrantes. Mais elle m’a donné des détails si précis que je ne pouvais plus douter de sa parole. D’ailleurs, lorsque je suis allé à la préfecture, personne n’a pensé à démentir cette histoire”, relate-t-il.
François-Xavier Bellamy lui aurait recommandé de ne pas se rendre au rendez-vous fixé par les policiers. Ceux-ci l’ont appelée et lui ont envoyé des SMS. Ces preuves matérielles en main, l’édile se rend à la préfecture et demande l’arrêt immédiat de cette procédure de renseignement. L’affaire remonte très vite en haut de la hiérarchie, et, suite à la publication de l’article du Figaro, le ministère de l’Intérieur publie un communiqué annonçant l’ouverture d’une enquête dont les résultats seront connus dans un mois maximum.
Histoire banale ou affaire d’Etat ?
Alors, histoire banale, dans le monde opaque des renseignements généraux, ou affaire d’Etat ? Pour François-Xavier Bellamy, les faits sont graves. “Elle a été placée devant le dilemme assez horrible de dénoncer ses amis parce qu’ils avaient participé à la Manif pour tous, ou de se voir refuser la naturalisation, de devoir quitter le territoire français et abandonner tous les projets de ses études en France. Ce n’était pas un marchandage, c’était une menace de la conduire à une expulsion du territoire sauf si elle collaborait”, affirme mordicus l’édile versaillais.
“Expulsion”, le mot est fort. La menace n’était pourtant pas immédiate, Anna disposant d’un titre de séjour. Et Le Figaro comme François-Xavier Bellamy vont vite en besogne dans leur narration des faits : ils omettent de rappeler que la convocation au commissariat fait partie de la procédure normale lors d’une demande de naturalisation. C’est ce qu’on appelle, dans le jargon de la police, une « enquête de moralité », rapporte un policier à Rue89. A cette occasion, les policiers peuvent essayer de faire de l’interrogé un “indic”.
La fabrique à martyre
Sous la plume du Figaro, Anna est transformée en martyre. L’article du 5 mars nous décrit l’interrogatoire comme si nous y étions, n’hésitant pas à avoir recours à des procédés narratifs relevant du storytelling. Cette « jeune fille aux manières douces et au regard clair », face aux policiers qui l’« attaquent » et la « mitraillent » de questions, « balbutie », « répète timidement », « blêmit ». Ambiance Stasi garantie.
« Elle a eu à faire face à des méthodes d’intimidation extrêmement affirmées, caractérisées, avec tout l’effet que ça peut produire sur une jeune fille de 18 ans qui n’a jamais eu à faire à la justice ni à la police », commente François-Xavier Bellamy. Certes, cette expérience n’est jamais agréable. Rue89 rappelle à juste titre que de nombreux militants d’extrême gauche en ont fait l’amère expérience, et ont refusé d’être indic, sans pour autant être à ce point médiatisés.
La singularité non négligeable de l’affaire Anna, c’est la menace de faire obstacle à sa naturalisation. Un ancien officier des RG témoigne dans Rue89 et affirme que « si on lui a dit uniquement ‘ma petite chérie, tu vas faire ce qu’on veut parce que sinon je te donne pas la nationalité’, c’est inadmissible ».
La Manif pour tous en embuscade
L’enquête de la police des polices est en cours, ce qui ne satisfait pas François-Xavier Bellamy : “Cette enquête est une façon habile pour le ministre de se défausser et de ne pas assumer une part de responsabilité politique. Pour moi cette affaire n’est pas une bavure policière, mais une question d’orientation politique, de mobilisation par le gouvernement de forces de l’ordre dans un but strictement politique. Il s’agit de ficher des opposants.”
Quoi qu’il en soit la Manif pour tous s’est trouvé une nouvelle résistante en ballerines. Une égérie victime du pouvoir socialiste. Sur Twitter et dans les médias, les organisateurs de la Manif pour tous dénoncent une “affaire politique”. François-Xavier Bellamy a publié une tribune intitulée “L’oppression au pouvoir”. A droite certains s’étranglent, comme le député de la Manche Philippe Gosselin, selon lequel “ces faits, s’ils sont confirmés, révèlent des méthodes d’intimidation et des pressions inacceptables, exercées par des services placés sous l’autorité directe du ministre de l’Intérieur. On est loin de la gauche morale, soucieuse de l’Etat de droit et du respect des libertés !” Anna fait désormais office de caillou dans la chaussure du pouvoir.
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