Un jeu vidéo sans obligation de résultats ? Plus cool que jamais, Animal Crossing: New Horizons, nouvel épisode très abouti d’une série Nintendo, sort sur Switch. Deux concepteurs français, Mélanie Christin (Transformice) et William David (Beyond Good and Evil 2) racontent leur rapport à ce jeu où l’on prend son temps.
« Si la météo ne s’égare pas en vaines calembredaines, les étoiles filantes vont pleuvoir cette nuit », avait promis le tanuki. Evidemment, on n’a pas voulu rater ça. Alors, peu après 22 heures, on a rallumé la console, relancé le jeu. On est sorti de notre petite maison, on a marché vers la rivière. En chemin, on a croisé Nacer, un chevreuil au pelage bleu qui, armé de son filet, traquait le papillon de nuit. Et puis on a levé les yeux vers le ciel. Les étoiles filaient, Tom Nook ne s’était pas trompé. On a éteint la console, rasséréné.
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Avec Animal Crossing: New Horizons, c’est une série pas comme les autres qui fait son retour près de sept ans après son épisode précédent – sans compter les spin-off. Une série dont le principe est simple : offrir au joueur une seconde vie. Après un premier épisode paru en 2001 au Japon sur Nintendo 64 et GameCube et qui n’est arrivé en Europe qu’à l’automne 2004, c’est sur les consoles portables de Nintendo, d’abord la DS puis la 3DS, qu’Animal Crossing a vraiment pris son envol. Jusqu’à faire de cette version Switch, la plus riche de toutes, l’un des jeux les plus attendus de 2020.
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Les heures et les jours passent au même rythme que dans le nôtre
Tout arrivant dans le monde d’Animal Crossing suit la même routine. Il donne son nom, annonce s’il veut être une fille ou un garçon, et c’est parti. Sa première mission : rembourser le prêt qui lui a été accordé pour s’installer. Sauf que rien ne presse et que cette « mission » est tout à fait facultative.
Si l’on préfère passer son temps à pêcher, à chercher des fossiles pour le musée local ou à revoir sans relâche la déco de notre habitation, rien ne nous en empêche. Même chose si l’on décide d’enrichir plutôt notre garde-robe que notre créancier en collectionnant T-shirts, casquettes, jupes ou pantalons. Vous avez dit futile, bébête, infantile ? Et si c’était tout le contraire ?
Le premier signe distinctif d’Animal Crossing est son rapport au temps. Dans cet univers plus simple et lumineux, les heures et les jours passent au même rythme que dans le nôtre. Les habitants se lèvent le matin, le soleil se couche le soir, en été il fait chaud, le 31 décembre à 23h59 on décompte les secondes avant la nouvelle année – on le sait : on y était. Et quand on n’y est pas, c’est tout comme.
« La promesse du jeu, celle qui m’a poussé à l’achat alors que je m’apprêtais à quitter ma Charente natale pour intégrer une école de game design, c’est de découvrir un jeu qui évolue même quand je ne joue pas, se souvient William David, coauteur des superbes Seasons After Fall et Blocks That Matter qui travaille aujourd’hui sur Beyond Good and Evil 2. »
« Cette particularité, on ne la retrouve encore aujourd’hui que dans très peu de productions. Avec World of Warcraft, Animal Crossing est cet autre jeu qui m’a permis de fêter, une fois ou deux, Noël loin de ma famille et de mes amis. C’est aussi le seul à travers lequel on m’ait fait une déclaration d’amour. »
Un rapport singulier avec le mode multijoueur
Cofondatrice du studio Atelier 801 à qui l’on doit le jeu en ligne Transformice, Mélanie Christin est une autre fervente adepte d’Animal Crossing, dont elle a pratiqué la version DS quotidiennement pendant près de trois ans. Sans jamais s’en sentir prisonnière : « Le jeu décourageait les longues sessions, avec seulement trois objets en vente par jour dans le magasin, les fleurs et les arbres qui ne se renouvellent que toutes les 24 ou 72 heures… Ses concepteurs ont réussi à composer une expérience qui permettait d’être satisfait avec de petites sessions de jeu, tout en laissant quelques activités à ceux qui voulaient jouer plus longtemps. C’est un équilibre extrêmement délicat et ce qui m’a fait tenir sur le long terme : le jeu n’était pas une corvée, l’expérience était respectueuse de mon temps libre. »
Animal Crossing, c’est aussi tout un peuple de créatures anthropomorphes auxquelles on s’attache. L’histoire de Mélanie Christin avec le jeu est ainsi indissociable de sa relation avec Lobo, « un loup très grincheux et solitaire » : « Au fur et à mesure de notre amitié, il a fini par se montrer moins bourru et plus protecteur. Je m’identifiais un peu à lui. Je l’ai gardé très longtemps dans mon village, et il a fini par partir, ça m’a fait de la peine. » Alors, dans la version suivante du jeu, elle l’a cherché via internet chez des dizaines d’autres joueurs pour le convaincre d’emménager chez elle. Et puis Lobo est reparti.
» Cela m’a déchiré le cœur. J’ai trouvé ça terriblement injuste et j’ai arrêté de jouer du jour au lendemain. Ces personnages ne sont pas juste des poupées parlantes. Ils ont des personnalités propres, énormément de lignes de dialogues, avec des allusions fines, mais surtout c’étaient nos compagnons de jeu pendant très longtemps et à des moments clefs de notre vie. »
Au-delà de ces animaux, Animal Crossing se distingue aussi par son rapport singulier au multijoueur. Dès le premier jeu, il était possible à deux joueurs de partager le même village, mais sans jamais s’y croiser (ce que permet en revanche la version Switch). Ils pouvaient néanmoins s’envoyer des lettres ou des cadeaux et les habitants contrôlés par la console ne se privaient pas de parler à chacun de leur autre voisin humain.
Une certaine « libération » des joueurs
Jusqu’à provoquer des situations malaisantes. Il y a quelques mois, Brian Altano du site IGN racontait ainsi sur Twitter comment, après une rupture, les animaux de son village continuaient à lui parler de son ex qui y avait aussi « vécu ». En réponse, une internaute expliquait que, de son côté, c’est avec son père qu’elle avait partagé un village. Et qu’elle n’avait pu y retourner après sa mort.
« A l’origine, Animal Crossing devait être un jeu de rôle dans lequel les joueurs d’un foyer, parents et enfants, se seraient succédés pour progresser dans une même aventure, souligne William David. De ce concept, le jeu a conservé les notions de partage, d’entraide, de temps réel et de RPG (role playing game) : jouer un rôle, personnaliser son personnage, lui construire des relations, faire progresser son village… » Mais Animal Crossing est aussi l’un des titres par lesquels est arrivée une certaine « libération » des joueurs. Oubliée, l’obligation de résultat : ici, on peut n’en faire qu’à sa tête. Un peu comme avec une autre saga dont la popularité a crû au même moment et qui semble pourtant loin de sa gentillesse militante : Grand Theft Auto. Et si Animal Crossing et GTA étaient les deux faces d’une même pièce ?
Il y a une autre évolution que l’on pourrait soupçonner Animal Crossing d’avoir préparée : celle du jeu dit free-to-play mais jamais vraiment gratuit, avec ses incitations incessantes à la dépense. Une tentation à laquelle avait d’ailleurs succombé son spin-off mobile Pocket Camp. « C’est une abomination, s’insurge Mélanie Christin. D’un jeu lent, contemplatif, sans objectif, on passe à un jeu truffé de notifications anxiogènes, avec des villageois qui demandent des choses en permanence sans avoir leur vie propre et une monétisation ultra-présente qui brise l’immersion. » William David ne la contredira pas : « Je bondis à chaque fois que j’entends affirmer qu’Animal Crossing est un jeu avant tout capitaliste. » «
Animal Crossing ne contraint absolument pas à gagner de l’argent ou à meubler sa maison. Ce sont des buts que les joueurs se fixent s’ils le désirent. Au fil des années, j’y ai joué de bien des façons, et celle que j’apprécie le plus, c’est de prendre chaque jour comme il vient. Je ne cherche pas à être ultra-productif, juste à apprécier le moment. » Pas mieux, se dit-on en regardant la pendule. Bientôt l’heure de retourner voir si les étoiles sont de sortie ce soir.
Animal Crossing: New Horizons (Nintendo), sur Switch, environ 60€, disponible le 20 mars
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