Nouveau prodige du songwriting ultrasensible, Andy Shauf publie i>The Party, une célébration pop qui le hisse déjà très haut.
Quelque chose de particulier flotte assurément dans l’air au Canada. Des particules fines de génie qui se déposent génération après génération sur les épaules de quelques élus dont la mission, quasi divine, sera d’illuminer les nuits et de bouleverser les jours de leurs contemporains.
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Sans remonter jusqu’à la sainte trinité Leonard Cohen/Neil Young/Joni Mitchell, les dernières décennies nous ont présenté d’aussi précieux compagnons de songes que l’introverti et tendre Ron Sexsmith ou l’extravagant et lyrique Rufus Wainwright.
Un coup de cœur qui pourrait durer toutes la vie
Mais, depuis l’an dernier, le phénomène semble s’accélérer et, après la découverte de Tobias Jesso Jr., c’est au tour d’Andy Shauf de hisser au plus haut la feuille d’érable comme emblème du songwriting propre à transpercer les cœurs.
Musicalement et émotionnellement, les deux garçons, sensiblement du même âge – 30 ans pour Tobias, 27 pour Andy –, paraissent ainsi aussi proches que leurs physiques sont éloignés. Au géant brun et bouclé succède donc cette saison le petit blond aux longs cheveux de fillette, mais leurs albums respectifs forment la paire stéréo idéale d’une certaine félicité pop, la palpitation binaire d’un coup de cœur qui pourrait durer pendant toute une vie.
“Lorsque j’ai écouté Tobias l’an dernier, confesse Andy, j’avais l’impression de m’être découvert un cousin dont j’ignorais l’existence, c’était assez perturbant.” Pendant que son aîné parade sur un nuage et va jusqu’à convoler en noces artistiques avec Adele, l’inconnu Andy Shauf met la dernière touche à The Party, son troisième album mais le premier enregistré pour un gros label. “Habituellement, je joue de tous les instruments moi-même, y compris le violon, le violoncelle, mais cette fois j’ai pu m’offrir des musiciens additionnels.”
Une petite ville de « la taille d’une assiette »
C’était donc la fête, comme l’indique le nom de l’album, dont chaque chanson dresse plus ou moins le portrait d’un personnage lors d’une soirée, observé en caméra embarquée par un narrateur qui en tire les fils, nouant et dénouant les intrigues amoureuses et pelotonnant d’une voix douce les ressentiments de chacun.
“C’est la bande-son d’un réveil difficile”
“Tous les personnages sont inspirés de gens que je connais, certains croisés furtivement et d’autres qui figurent parmi mes amis. L’album parle de ces petits drames qui peuvent se produire dans une fête, des choses que les participants regrettent après coup, des mauvaises décisions en matière d’alcool ou d’attitude. C’est la bande-son d’un réveil difficile où l’on se pose la question : qu’ai-je fait la nuit dernière ?”
Le décor choisi est celui d’une petite ville “de la taille d’une assiette”, neigeuse et isolée, semblable à celles de la province de Saskatchewan où a grandi Andy, dans une famille pieuse où l’on écoutait du gospel à s’en déflagrer les tympans, et dont la messe du dimanche était l’occasion de se vider en chœur les poumons.
La force des grands fébriles
“Mes parents n’écoutaient pas de pop, seule la musique chrétienne avait droit de cité à la maison. Par réaction, j’ai eu ma période punk-rock, liée à la pratique du skate et du BMX. J’écoutais Blink-182, Limp Bizkit, Green Day, je n’avais jamais entendu parler d’Elliott Smith avant de découvrir ses chansons alors qu’il était déjà mort depuis un an.”
Le choc ressenti est énorme, il laissera une trace profonde sur l’écriture feuilletée, les arrangements en élévation et la voix en contre-jour d’un jeune songwriter qui se découvre une nature de torrent, allant jusqu’à composer plus de cent chansons en sept ans pour n’en conserver que quelques dizaines. “Elliott Smith m’a aussi réconforté dans l’idée que l’on puisse monter sur scène lorsqu’on est quelqu’un de timide, et d’exposer sa vulnérabilité en transformant ce handicap en une forme d’exaltation.”
Après les fragiles mais déjà prometteurs Darker Days en 2009 et The Bearer of Bad News trois ans plus tard, The Party vient maintenant libérer des fluides aussi enivrants que ceux du regretté Elliott époque Either/Or, sans le vécu de bad boy tatoué mais avec cette même force des grands fébriles dont les chansons résonnent télépathiquement avec la part la plus sensible de ceux qui les reçoivent.
Son idole ? Randy Newman
Il faut voir Andy et ses 40 kilos de chair translucide happer son auditoire en concert comme Elliott, à l’époque, imposait sa lourde carcasse et son cœur blessé au silence des mouches qui volent. Les types capables de faire taire le tintement des verres et le brouhaha frivole des foules estudiantines ne sont pas légion, et c’est de ce bois-là que Shauf se chauffe.
Désormais installé à Toronto, il a laissé derrière lui sa petite enclave protectrice de Regina et ses personnages tourmentés, les Martha et Alexander qui habitent désormais aussi dans ses chansons. Il refuse qu’on lui accole l’étiquette de storyteller car il s’estime encore un peu jeune pour prétendre à des récits capiteux et ironiques comme ceux de son idole Randy Newman.
Encore un point commun qu’il partage avec Tobias Jesso Jr. : cette admiration immodérée pour le vieux roublard californien, décidément l’homme le plus convoité du moment. L’auteur de There’s a Party at My House n’aurait d’ailleurs sans doute aucun mal à reconnaître en The Party une partie de sa plus glorieuse descendance.
album The Party (Anti-/Pias)
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