Alors que les vidéos témoignant de violences de la part de la police comme des manifestants inondent les réseaux sociaux, et que l’appli Periscope est dans tous les smartphones, André Gunthert, maître de conférences en histoire visuelle à l’EHESS, invite à s’intéresser au message plutôt qu’au medium.
On a le sentiment que les vidéos témoignant de violences de la part des manifestants à l’encontre des forces de l’ordre répondent aux vidéos de violences policières. Assiste-t-on à une guerre des images?
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André Gunthert – Je me demande si la question qui se pose est vraiment celle de l’image. On a des témoignages qui abondent de toute part. Un très haut degré de violence est actuellement atteint dans l’espace public et se traduit par des images. Aujourd’hui, on a des outils d’auto-documentation, on a de l’auto-production de témoignages beaucoup plus importante qu’autrefois. D’un autre côté, la production médiatique continue à documenter elle aussi les violences qui se produisent. Donc tout ce que les images prouvent c’est qu’il y a un haut degré de violence. Si on en voit autant dans nos réseaux sociaux, sur nos médias, c’est parce que ça intéresse les gens. C’est plutôt ça le constat à mon avis. Ça traduit un certain état de la réalité.
https://www.youtube.com/watch?v=WTGF0ZyrAjs
Y a-t-il eu des phénomènes comparables par le passé ?
On a vu des phénomènes semblables par exemple en 2005 au moment des émeutes urbaines ou au moment des printemps arabes. Ce qui serait étonnant, plus de dix ans après les émeutes urbaines, c’est qu’on n’ait pas ces images. La présence iconographique restitue ce qui est important pour les gens, ce à quoi les contemporains accordent de l’importance. Les militants documentent leur activité. En d’autres termes : les soucoupes volantes n’existent pas et c’est pour ça qu’on n’a pas de photos de soucoupes volantes sur nos réseaux sociaux !
On ne peut donc pas commenter ces images selon vous ?
Pour les analyser, il faudrait prendre en compte l’ensemble des commentaires, car les violences ne constituent pas un phénomène neutre. On ne peut pas avoir de positions objectives en soi. Qu’on parle de violences policières ou de celles des manifestants, intervient un filtre qui est celui de la sensibilité politique, de la position par rapport au gouvernement, par rapport à la loi El Khomri. On a forcément deux lectures antagonistes. Il y a l’interprétation du spectateur, de celui qui regarde la vidéo et qui va avoir une grille de lecture en fonction de sa position politique. Les images en soi ne veulent donc rien dire. Il ne faut pas oublier que l’on a aussi énormément de témoignages écrits. C’est un ensemble dans lequel l’image joue son rôle mais pas seulement. On est dans un phénomène très important d’auto-documentation d’un moment de vie qui semble important pour une majorité de Français.
Dès lors, le « riot porn » – expression qui décrirait un phénomène de fascination pour les images de manifs violentes, d’émeutes – a-t-il une réalité selon vous ?
Le phénomène c’est la violence des deux côtés. Ne retenir, face à ce phénomène réel qui doit nous alerter, qu’une lecture esthétique, et cacher ce phénomène derrière une expression à la mode, un peu scandaleuse, de « riot porn », ça apporte un petit côté frétillant, sensationnaliste. Or, je pense qu’on est à côté du phénomène. J’ai beaucoup entendu ce terme, mais franchement, parler de « riot porn », c’est tout simplement ne pas parler de l’essentiel.
En parlant de « riot porn », les médias semblent surtout faire référence à des images de violences un peu sorties de leur contexte, sans grande utilité journalistique…
Moi je vois au contraire des vidéos sourcées, des commentaires qui parlent de coups reçus, échangés, des témoignages de ce qui a pu se passer. Je trouve au contraire que les images sont plus contextualisées qu’avant. On sait désormais qu’on peut truquer, manipuler, donc on fait plus attention. Je ne sépare pas les images du reste, comme si elles existaient de façon autonomes, de leur côté. Les images font sens dans leur contexte.
Et les témoignages montrent qu’il y a un contexte plus général d’auto-documentation. Les choses sont faites sérieusement : les gens donnent des lieux, des dates, des heures. On a beaucoup d’informations.
Que pensez-vous de la place de plus en plus importante que prend Periscope dans nos vies ? Se dirige-t-on vers une société panoptique?
La caméra semble désormais s’immiscer en direct, publiquement et partout… La première fois que j’ai visionné un témoignage lié aux manifs sur Periscope, c’était le premier jour de Nuit Debout. A ce moment, cette information n’était pas diffusée à la télévision, ou par un moyen qui m’aurait permis d’y accéder en direct. On est dans un cadre substitutif tout à fait normal permettant de diffuser une info en directe. Bien sûr qu’on va l’utiliser! Personne ne se pose ce genre de question pour les témoignages écrits. Pourquoi se méfie-t-on toujours du témoignage visuel ? Pourquoi faut-il forcément avoir un prisme moral de jugement dévalorisant sur cette pratique ?
La condamnation morale des images remonte à Platon, qui séparait la valorisation du texte, de la philo, de la condamnation des images, et donc de la télé. Mais aujourd’hui que l’image est devenue un langage populaire et un vecteur d’information, continuer à en juger comme d’une exception et non pas de la règle relève d’une mauvaise grille de lecture.
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