Dernier juré originel du télé-crochet « Nouvelle Star », André Manoukian s’est vu confier par France Inter une chronique matinale musicale « Erudit Doudam » en septembre et le divertissement de fin de matinée « On va tous y passer » début 2014. Rencontre avec un apprenti-présentateur passionné.
Comment se retrouve-t-on propulsé en si peu de temps deux fois par jour sur France Inter?
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André Manoukian – Par un concours de circonstances et grâce à Isabelle Giordano. J’étais venu dans son émission « Les Affranchis » qui a précédée celle de Frédéric Lopez pour présenter mon album et elle m’avait demandé de revenir une fois par semaine. Après j’ai eu envie de proposer un truc à un média aussi cool mais j’étais trop fainéant. Or, un jour que je me rendais en TGV à Montélimar pour un concert, je tombe sur le directeur Philippe Val en allant aux toilettes qui me dit : »Il faut qu’on se voit ». Ensuite, il m’a fallu préparer l’émission d’été. Et là, ce n’était pas la TV, où il est facile d’être borgne dans ce royaume d’aveugles. France Inter tire les gens par le haut, tandis que la TV prend la ménagère pour une conne. Pourtant, des émissions intelligentes fonctionnent : le « Vinvinteur », qui a été arrêté sur France 5, « Entrée libre » de Laurent Goumarre, ou ce que fait Frédéric Taddeï. Mais les cultureux en TV, on se sent un peu comme des infiltrés.
Et vos premières prestations d’animateur ?
Me retrouver en roue libre à l’antenne cet été m’a donné le vertige. Finalement, les retours ont été bons et j’avais mon piano pour me rassurer. Je suis musicien avant tout, je n’aime pas trop le mot animateur, sans avoir aucun mépris pour les gens qui font ce job. Puis on m’a confié la rubrique de Didier Varrod, qui avait l’air soulagé. J’ai vite compris pourquoi : je passais au début entre 4 et 7 heures sur l’écriture, j’en pleurais presque. Maintenant, je vais un peu plus à l’essentiel. Mon critère est d’inscrire le disque dans un courant, pour pouvoir raconter son histoire.
Avec le rôle prescripteur de France Inter se pose la question de la sélection de l’album. Est-ce un choix personnel ou un équilibre à trouver entre différents styles, labels…?
C’est l’envie de faire découvrir des artistes méconnus, de réhabiliter des légendes maudites. Dès ma toute première chronique, j’ai parlé de l’artiste folk Karen Dalton. Plus tard de Donny Hathaway, qui jouait mieux que Ray Charles et chantait comme Stevie Wonder, ou du jazzman Dan Tepfer qui improvise sur les variations Goldberg de Bach. Cette chronique a fait entrer l’album en haut du top jazz. Je reçois parfois des petits mots de remerciement. Mais je veux être guidé simplement par ce qui me fait vibrer.
Concernant l’émission de 11h00, est-ce le magazine de promotion animé par ceux qui ont une image de gentil, comme Bern, Giordano, Lopez ou vous ?
Je n’y avais pas pensé mais j’assume. Ce n’est pas non plus Bisounours. Même si un film ou un livre n’est pas forcément un chef d’œuvre, l’idée est de raconter une histoire. L’invité étant là, cela m’intéresse d’aller dans des conversations profondes, même à partir d’un objet parfois futile. Je crois que cela me vient de mon père, un tailleur pour dame. Autodidacte, il racontait des histoires pour nous intéresser, ma sœur et moi, et parlait de « mon copain Socrate », « mon copain Sénèque »… J’avais l’impression que c’était des personnages familiers. Il nous a transmis cette manière fun et pédagogique de parler de choses assez profondes. Et comme j’aime l’ésotérisme, je cherche le côté caché de tout.
Votre marque de fabrique réside-t-elle dans ce portrait psycho-érotico-cosmico musical ?
Ce portrait permet un moment d’intimité avec l’invité. Cela m’intéresse toujours de mesurer où je suis par rapport à l’invité et d’aller chercher du côté de l’archétype, du symbole. Et c’est la musique qui me relie à la personne.
Vous jouez le joker de luxe, de Frédéric Lopez ou Didier Varrod, et même de Dave pour « Incroyable talent » sur M6. Est-ce votre autre spécialité ?
J’ai parfois l’impression qu’on me donne les clefs d’un porte-avion nucléaire alors que je n’ai pas le permis bateau. Tant que je ne suis pas un imposteur, je veux bien être le joker. Au début, dans la matinale de Patrick Cohen, je me sentais encore comme le saltimbanque de service. C’est ce côté déterritorialisé de Deleuze, que j’adore. Déjà, petit, j’étais l’Arménien au milieu de mes copains lyonnais, cathos, dans un quartier de bourges. Je me sentais un peu différent. Même à 55 ans, j’ai gardé ce côté amuseur que je tiens depuis que je suis gosse, pour être accepté. C’est pour cela que je ne suis pas un critique, sûr de son fait, ayant une science derrière lui, une légitimité. Je reste un saltimbanque.
Ne craignez-vous pas de connaître la suractivité que Lopez a prétextée pour passer la main ?
J’essaie de me préserver. « La Nouvelle Star » se termine dans un mois et ne demande pas de travail en amont. A la radio, on a trois minutes de chronique mais jusqu’à sept heures de préparation avant. C’est dur, d’autant qu’il faut se lever à 6h00. Je tiens avec l’excitation, avec le plaisir de croiser de vraies plumes, des personnalités. Et Lopez m’a laissé un beau cadeau avec une émission où j’échange avec des scientifiques, des philosophes… A la TV, ils sont tous de droite. Quand j’étais à M6, c’était terrible, je n’osais même plus l’ouvrir.
Et aucune crainte de saturer le public ?
Ce sont des publics différents sur Inter et « La Nouvelle Star » dure trois mois et c’est fini. Je n’ai pas ce sentiment d’overdose, qui vient d’un discours lénifiant qui dirait toujours la même chose. Là, je suis encore en train de me chercher et c’est tellement le bordel. Mais j’ai plutôt des retours sympas sur la twittosphère.
Cette référence à vos origines arméniennes, c’est pour remplacer Aznavour ? Comme l’Arménien de service ?
Non, mais j’ai découvert la musique arménienne il y a peu. Mon père détestait le communautarisme et le nationalisme. Toute sa vie, il a fui dans la littérature, la musique et la philosophie les récits de massacre qu’il entendait. Ma phrase préférée de Mitterrand est « le nationalisme, c’est la peste ». Et, pour moi, le communautarisme, c’est de la merde. Maintenant, une réalisatrice qui faisait un documentaire sur la diaspora arménienne m’a demandé de témoigner et pendant l’entretien, de jouer un air arménien au piano. Je me rappelais juste d’une vague mélodie que jouait ma grand-mère. Elle voulait ça pour son film. Je me suis du coup immergé et j’ai découvert des trésors. Et le meilleur de mes origines puisque la musique est l’âme des peuples.
En 2005, dans le morceau Dédé, MC Jean Gab1 et Less du 9 chantaient « Jusqu’à présent, Dédé, solidifié par le tempo, déterminé à rentrer dedans, à démolir la toiture, Dédé disposé à grimper sur la toiture ». Cela vous correspond ?
C’est pas mal du tout. Quant à grimper sur la toiture…il y a un instinct de survie, une volonté de se faire entendre chez les rappeurs. Moi, cela passe par le fait d’être accepté par des gens avec lesquels je serai fier d’être. La TV était vraiment un accident, la seule chose me faisant dire que je n’ai pas foiré mon coup est d’être devenu pote avec le Dr Garriberts (Garrigos et Roberts, les deux journalistes TV du journal Libération-Ndlr). Ce n’est pas une histoire de snobisme, de bobo, d’intello… A l’intérieur du milieu hostile dans lequel on vit, sans arrêt soumis au jugement, se reconnaître entre potes fait du bien. La TV est anxiogène, avec un audimat qui vous tombe chaque matin sur la gueule. A Inter, j’ai l’impression de pouvoir aller dans la colonie de vacances où je rêvais de me rendre enfant. J’ai plus ce sentiment là que celui d’y arriver à tout prix.
Didier Si Ammour
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