Nazario Luque Vera est un dessinateur majeur de la movida, cette période d’intense liberté qui suivit la mort de Franco. Avec Anarcoma, il raconte les aventures d’une détective privée transsexuelle dans un Barcelone débridé.
Apartir de la fin de la guerre civile, en 1939, l’Espagne a vécu sous la chape morale imposée conjointement par l’Etat franquiste, l’Eglise et l’armée. Comme le dépeint Carlos Giménez dans ses albums autobiographiques ou ceux consacrés au génial Pepe González, les opposants, les artistes, les homosexuels, tous ceux qui dérogeaient un tant soit peu à la norme, étaient repoussés dans une marginalité inquiète.
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A la mort de Franco, en 1975, cet underground si longtemps réprimé explose en un singulier moment de liberté, de couleurs et d’outrances, un punk en positif qui prendra, dans les années 1980, le nom de movida. Nazario Luque Vera est l’un des acteurs majeurs de cette époque.
Un dessinateur homosexuel, frondeur et perpétuel agitateur
Dès 1973, ce dessinateur homosexuel, frondeur et perpétuel agitateur cofonde à Barcelone la première revue espagnole de BD alternative, El Rrollo enmascarado. Puis, aux côtés de Javier Mariscal, Vicente Sento ou Martí, il collabore à partir de 1979 à la fameuse revue El Víbora, dans laquelle il publie son chef-d’œuvre, Anarcoma.
Il y a dès lors trois façons de lire Anarcoma. La première, évidemment, est de la prendre comme un document de première main sur l’époque de sa création. A travers les aventures érotico-SF de cette transsexuelle détective privée, Nazario visite son Barcelone, celui des méandres obscurs du quartier El Raval, des boîtes de strip-tease et des bars à michetons, sales, dangereux et grouillant de vie. Une ambiance de rêve pour Marc Almond, le chantre absolu des bas-fonds, qui a consacré une chanson à l’héroïne en 1986.
L’impact étourdissant de chaque planche
La deuxième manière de lire cette BD, qu’il serait injuste de négliger, est de l’apprécier en elle-même, pour sa vigueur, son inspiration débridée, ses couleurs vibrantes, son récit mené à cent à l’heure, dont la cohérence importe moins que l’impact étourdissant de chaque planche.
Enfin, on peut y voir un pamphlet d’une singulière actualité au moment où les forces réactionnaires se redressent mais où le discours qui leur est opposé n’est guère moins moralisateur. En choquant salutairement les bourgeois de tous bords, cet artefact de la préhistoire de la culture LGBT vient rappeler que l’horizon de la différence n’est pas la respectabilité mais la liberté.
BD Anarcoma (Misma), 164 pages, 32 €
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