Dans “Le Vieux Monde est de retour. Enquête sur les nouveaux conservateurs”, la journaliste Pascale Tournier dissèque la nouvelle génération de jeunes conservateurs.
En 2012, ils sont descendus dans la rue pour la première fois avec la Manif pour tous. Cinq ans plus tard, ils ont grossi les rangs au meeting de la dernière chance de François Fillon, place du Trocadéro. Entre-temps, les « néo-réacs » ont réussi à former un écosystème foisonnant, décidés à imposer leur vision conservatrice du monde. Pascale Tournier, rédactrice en chef adjointe de La Vie, s’est plongée dans l’univers de ces nouveaux antimodernes, et décortique avec acuité leurs combats culturels et politiques, leurs références idéologiques mouvantes et leurs stratégies de conquête de l’opinion – à défaut, pour l’instant, de pouvoir prendre les urnes.
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« Pays réel » contre « start-up nation »
Sortis de l’ombre à l’occasion du débat sur le mariage pour tous, « ces conservateurs à la française s’accordent à peu près tous sur un projet qui tourne autour de l’idée de limite. Ils demandent des repères dans le temps et dans l’espace« , écrit Pascale Tournier. À la « start-up nation » d’Emmanuel Macron, ils répondent « enracinement » et « pays réel« . Leurs figures de proue médiatiques s’appellent Alexandre Devecchio, Charlotte d’Ornella et Eugénie Bastié, à qui l’on doit la formule « le vieux monde est de retour« , prononcée face à Jacques Attali sur le plateau de Ce soir ou jamais en 2015. On retrouve aussi le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté, le maire adjoint de Versailles François-Xavier Bellamy ou l’essayiste Natacha Polony.
Ils s’opposent au progressisme, au libéralisme et au multiculturalisme ; dénoncent « l’individualisme contemporain« , la « théorie du genre » et n’hésitent pas à brouiller les lignes entre droite traditionnelle et extrême-droite. Orphelins politiquement après la défaite de leur poulain François Fillon, ils ont mènent la bataille culturelle théorisée par le philosophe Antonio Gramsci.
“La dynamique du conservatisme actuel repose sur toute une jeunesse décomplexée, qui a grandi après la chute du mur de Berlin”, analyse Pascale Tournier.
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Comment les reconnaître ? Tout d’abord par leur verbe. Ceux qui refusent l’appellation de « réactionnaires » déploient une rhétorique inspirée de la philosophie chrétienne. Ils font appel à l’anthropologie pour justifier leur opposition au mariage pour tous, à la PMA ouverte à toutes les femmes et au transhumanisme. Dans leurs bouches, les courants de pensée modernes (écologie, féminisme) sont accompagnés de l’adjectif « intégral« . À la défense de la chose publique, ils opposent celle du « bien commun« , plus spirituel, et préfère le terme « personne » à celui d’individu, symbole des maux de la société moderne. Enfin, ils chérissent l’ »enracinement » théorisé par la philosophe Simone Weil et repris pendant la campagne présidentielle par François Fillon, Marine Le Pen et même Emmanuel Macron.
Héritiers cathos de Finkielkraut et Zemmour
Comme le décrit la journaliste de l’hebdomadaire chrétien La Vie, l’un des points communs de cette nouvelle génération est d’être catholique. Au sein de cette mouvance, la foi se brandit ouvertement, elle est la clé de leur compréhension du monde. Mais au-delà de leur appartenance religieuse, ces trentenaires et quarantaines antimodernes sont d’autant plus difficiles à saisir qu’ils investissent chacun des champs différents, de l’écologie au féminisme, en passant par l’éducation, l’identité et la lutte contre l’islamisme.
Pascale Tournier identifie plusieurs courants de pensée qui possèdent chacun leur propre média : les « bioconservateurs » de la revue d’ « écologie intégrale » Limite, les « anarchrists » de L’Incorrect, nouveau magazine de la « droite hors les murs« , les catholiques identitaires du site Le Salon beige ou encore les antipédagogistes, pourfendeurs de l’ex-ministre de l’Education Nationale Najat Vallaud-Belkacem. Les conservateurs s’attaquent à tous les thèmes, si ce n’est l’économie : l’angle mort de leur pensée.
Autre particularité des descendants d’Éric Zemmour, Alain Finkielkraut et Élisabeth Lévy : ces lecteurs assidus du FigaroVox, de Causeur ou Valeurs Actuelles n’hésitent pas à piocher du grain à moudre idéologique de part et d’autre du spectre politique. Parmi leurs auteurs de référence, on trouve Jean-Claude Michéa, Pascal Bruckner, l’incontournable Patrick Buisson, « mauvais génie » de Nicolas Sarkozy, mais aussi Michel Houellebecq, Marcel Gauchet, ou encore Antoine de Saint-Exupéry et George Orwell.
Retour en force de l’Action Française
Ce bagage idéologique leur est notamment enseigné à l’Institut de Formation Politique (IFP), dans le XVIe arrondissement de Paris, « devenu le point de passage incontournable pour toute une génération d’activistes de droite« . Même Marion Maréchal-Le Pen, leur favorite, y a suivi un cursus sur la « sortie de l’euro« . Plus inquiétant, l’auteure note un « retour en force » de l’Action française, passée de 1 000 à 3 000 membres, dont d’anciens étudiants de l’IFP venus « affiner » leur pensée chez les héritiers de Charles Maurras. « L’Action Française est une force intellectuelle qui continue d’exister depuis plus d’un siècle avec un corpus solide« , pointe le politologue Jean-Yves Camus dans Le Vieux Monde est de retour. Hasard du calendrier : le 20 avril 2018 marque le 150e anniversaire de Charles Maurras, fer de lance de l’Action Française…
À l’heure des célébrations du cinquantenaire de Mai-68, ces penseurs anti-soixantehuitards féroces sont plus forts que jamais mais pâtissent de l’absence d’un leader politique. « Contre-pouvoir » en devenir, selon Pascale Tournier, on risque de voir à nouveau les néo-conservateurs battre le pavé à l’occasion de la révision des lois bioéthiques cet été.
Pascale Tournier, Le Vieux monde est de retour. Enquête sur les nouveaux conservateurs, Stock, 280 pages, 2018.
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