Après sept ans, Paye ta shnek tire sa révérence. Le Tumblr consacré à la publication de témoignages de femmes sur le harcèlement restera accessible mais n’enregistrera plus de nouveaux messages.
Une page qui se tourne dans l’histoire des mouvements féministes en ligne. Paye ta shnek (PTS), l’une des plus importantes communautés françaises à mettre en avant la parole des femmes, ne sera plus. Agressée dans la nuit du samedi 22 juin, Anaïs Bourdet a annoncé le lendemain qu’elle arrêtait ce blog et sa page Facebook qui recueillaient depuis sept ans des témoignages de femmes victimes de harcèlement de rue. « Je n’en peux plus. Je n’y arrive plus, écrit-elle. Je n’arrive plus à lire vos témoignages et à les digérer en plus des violences que je vis dès que je mets le pied dehors. »
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La créatrice de Paye ta shnek explique aux Inrocks sa décision de mettre fin à cette aventure et revient pour nous sur le succès de PTS.
Malgré le succès rencontré par PTS, vous avez décidé d’arrêter de publier des témoignages. Pourquoi ?
D’abord pour des raisons personnelles. C’est très violent d’accueillir la parole des victimes, en plus des violences que je vis moi dans la rue et sur Internet. J’ai commencé à avoir des symptômes de burn out en plus du harcèlement qui va avec ce genre de projets… Mais aussi pour des raisons politiques. On est après Me too. Ce mouvement est allé bien plus loin que PTS, mais il n’y a toujours pas d’effet. Les choses ne changent pas alors que ça fait des années que les femmes témoignent. C’est dur pour elles de le faire, alors si c’est pour qu’il n’y ait aucun résultat… Témoigner ne suffit plus. Il faudrait qu’il y ait un déclencheur pour passer à l’étape suivante. Je n’ai pas la force de taper plus fort et je ne veux pas non plus encourager la stagnation alors j’arrête.
Vous avez ouvert un véritable espace de parole avec Paye ta shnek il y a 7 ans. Qu’est ce qui vous a décidée à recueillir et publier ces témoignages ?
Tout est parti d’une vidéo de Sophie Peeters qui avait fait un gros buzz en juillet 2012. Elle s’était filmée dans la rue et avait montré le harcèlement dont elle était quotidiennement victime dans l’espace public. Ça m’a fait me rendre compte que, moi aussi, je vivais cela alors que jusqu’à ce moment là, je n’en avais pas conscience. Un peu après, j’ai été poursuivie par un homme en voiture à Marseille. J’ai réussi à le semer parce que je suis une pilote (rires), mais ça m’a vraiment marquée. Après, on a parlé de tout ça avec mes copines alors qu’on ne l’avait jamais fait avant, et là je me suis rendu compte qu’on avait toutes vécu des situations de ce genre. Alors j’ai créé PTS pour mes copines. Et en fait, j’ai commencé à recevoir plein de témoignages de femmes de toute la France. Là, j’ai décidé, en plus de les publier, de les géolocaliser pour prouver que le harcèlement arrive partout, pas que dans les quartiers ou les villes populaires.
PTS est l’une des plus grosses communautés féministes qui existent aujourd’hui en France, qu’est-ce que cette page a représenté pour vous ?
Le féminisme m’est venu au fur et à mesure, je ne me revendiquais pas comme telle au départ mais maintenant je l’assume. Avec PTS, j’ai vraiment eu l’impression d’avoir ouvert une vanne. Je recevais environ 150 témoignages par jour, ça a vraiment été un espace de parole sain entre les femmes. A chaque fois qu’un nouveau post était publié, il y avait immédiatement des réactions de soutien et d’entraide. Jamais la parole de l’une d’entre elles n’a été mise en doute. Il y a vraiment eu des réactions de solidarité, de sororité même, c’est ce que je retiendrais de PTS. Je ne suis toujours pas sûre du rôle que ça a joué pour elles mais depuis que j’ai annoncé la fermeture j’ai reçu environ 1300 messages de remerciements. Ça leur a permis de se rendre compte qu’elles n’étaient pas seules, de s’autoriser à refuser ces comportements sexistes, c’est ce qu’elles m’ont dit.
Après que PTS a connu un tel succès, un grand nombre de pages ont été lancées sur le même modèle : Paye ta robe, Paye ta blouse, Paye ta fac…
En fait, j’ai été contactée par des avocates qui voulaient lancer Paye ta robe. Je me suis alors dit que c’était intéressant qu’il y ait des espaces dédiés au harcèlement au travail et j’ai créé Paye ton taf, mais ça commençait à faire beaucoup à gérer. Alors j’ai fait un appel en disant : « Lancez vos projets dans vos domaines. » Maintenant on est à plus de 50 pages « Paye ta… » ou « Paye ton… » donc on a créé un groupe pour communiquer. Le fait d’être plusieurs a permis de démultiplier la puissance et de montrer que ça arrivait partout, dans tous les domaines. J’ai vraiment été émue par ces initiatives, c’était très intense comme tout depuis le début de PTS.
Vous avez publié un livre en 2014 qui recueille l’ensemble des témoignages que vous aviez reccueillis jusque-là sur votre page, pourquoi avoir décidé de multiplier les supports ?
Ça m’a permis d’intervenir en préface et de faire un point sur ce que dit la loi sur le harcèlement de rue avec les avocates Leila Hamzaoui et Valence Borgia. Le support livre permettait aussi de toucher un public plus large parce que Tumblr est une plateforme surtout connue des jeunes. Et en plus, quand quelqu’un soutient que le harcèlement de rue n’existe pas, c’est facile à sortir à table !
Vous arrêtez PTS mais vous êtes impliquée dans d’autres projets de lutte contre le harcèlement, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Je viens de terminer la saison 1 du podcast Yesss (lancé avec Margaïd Quioc et Elsa Miské ndlr). Avec ce projet, on valorise les victoires, et ça fait du bien ! On donne la parole à des femmes qui ont triomphé sur le sexisme, on leur donne aussi des armes pour qu’elles puissent se défendre et choisir la technique qui sera la plus adaptée pour elles. Je fais aussi des formations dans des lieux qui souhaitent lutter contre les comportements sexistes dans leur établissement, dans des bars de nuit par exemple. Et je continue mon projet Mauvaise compagnie, où je vends des affiches où sont inscrites des insultes qui sont souvent adressées aux féministes. Sur chaque achat, environ 30 % du prix est reversé à diverses associations.
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