Anaïs Bourdet, la créatrice du blog Paye ta Shnek, dénonce sans relâche le sexisme ordinaire. Il y a quelques jours elle secoue la toile avec son post « J’en ai marre d’être femme ». Portrait.
Depuis une semaine, c’est un message qui tourne en boucle sur les réseaux sociaux. Derrière un titre choc ( « J’en ai marre d’être femme » ), la publication dénonce l’overdose de sexisme dont l’auteure a été victime ou témoin. « Il y a quelques jours, je rentrais chez moi en courant pour semer un homme qui me suivait. Le lendemain, je découvre que des députés rient des agressions sexuelles dénoncées récemment. Le jour suivant, je vois qu’un prétendu comique fait des blagues sur les accusations de viol, les qualifiant de puritanisme. Tous les jours, tous les foutus jours, on me rappelle que je n’ai pas gagné au bingo des genres. »
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Très vite, les réactions pleuvent, les likes, les partages, les haters, les soutiens, etc. Celle qui est derrière ce coup de gueule, c’est Anaïs Bourdet, créatrice de la page Paye ta Shnek et du blog éponyme.
Gare à celui qui osera lancer un « hey, mam’zelle, t’as un 06 ? » à Anaïs Bourdet. Si son nom ne vous est pas familier, son blog vous est peut-être déjà passé sous les yeux. En 2012, elle crée le Tumblr Paye Ta Shnek, un véritable défouloir pour les femmes qui sont victimes de harcèlement de rue. Le déclic est venu du court métrage de Sophie Peeters. Cette jeune Bruxelloise s’était filmée dans la rue et avait révélé aux yeux du grand public le harcèlement dont elle est quotidiennement victime.
Anaïs a vu ce film, et quelques jours plus tard, elle vivra une expérience franchement inquiétante : un homme la poursuit en voiture car elle n’a pas répondu à ses avances. Elle court jusque chez elle et en sort indemne mais vraiment troublée. Elle en parle à ses amies, et les langues se délient. Anaïs se rend alors compte que toutes ont vécu ce genre de situation. Ni une ni deux, elle créé PTS pour ses copines.
Quelques jours plus tard son blog a fait le tour de la France. Aujourd’hui, il compte des milliers de témoignages venant de toute la France et des pays francophones; sur Facebook, c’est plus de 180 000 personnes qui se sont reconnues dans le combat d’Anaïs Bourdet.
Paye ta quoi ?
« Paye ta shnek », si la rue vous a épargné cette interpellation, c’est « paye ta chatte » en argot alsacien. Une expression tout en vulgarité qui symbolise très bien la virulence du harcèlement de rue. Il y a trois ans, PTS sort de l’écran et devient un livre, « le meilleur du pire » pour Anaïs qui voulait toucher un public qui n’est pas over-connecté. C’était aussi un moyen pour la jeune graphiste de se frotter au monde de l’édition.
Après une campagne de financement participatif, l’ouvrage voit le jour grâce à 222 donateurs. La couverture bleu pétant a une allure de manifeste pour le droit de se balader dans la rue sans se faire importuner. Il n’a pourtant pas été un succès en librairie, Anaïs l’avoue, « en même temps, c’est un contenu particulier ».
En effet, au fil des pages (et des scrolls sur le blog) le lecteur rit au début et en sort dégoûté. C’est le but : faire ressentir ce sentiment d’être salie après un « quand je vous vois, j’ai envie de me reproduire ». Elle se félicite tout de même d’avoir pu prendre la parole en préface et de se joindre aux voix de Leila Hamzaoui et Valence Borgia, deux avocates « passionnées » qui font un rappel de la loi en ce qui concerne le harcèlement de rue.
« Ce que j’ai beaucoup apprécié, confie Valence Borgia, c’est qu’Anaïs avait une démarche empirique : elle part d’une expérience personnelle et elle a décidé d’agir. Elle est graphiste et elle réussit à donner une dimension esthétique à son blog. J’aime ce travail concret, dans l’action, qui fait bouger les choses. C’est rafraîchissant que le combat soit porté par de nouveaux visages. Elle a touché énormément de femmes qui avaient été victimes. C’est quelqu’un qui a une énorme énergie, qui se démène pour faire bouger les choses. Je pense que ça peut faire vachement évoluer le débat. Elle a vu que j’étais avocate sur l’égalité et elle m’a contactée sur les réseaux sociaux. C’est vraiment quelqu’un de bien, que j’aime beaucoup ».
Désormais c’est à Leïla et Valence, qui sont devenues ses amies, qu’Anaïs fait appel quand une internaute lui confie son témoignage et qu’elle demande de l’aide. De vraies partenaires de lutte pour un trio infernal contre le sexisme.
Brûler son soutif sur la toile
Dès qu’on la lance sur le sujet, on sent toute la passion et l’énergie qui l’habitent. La jeune femme se dandine sur la chaise du café et dit « Comme je ne n’ai pas toujours revendiqué le féminisme, je me sens d’autant plus légitime à le défendre. Il faut le comprendre, et arrêter de lutter contre ce mot, et à partir de ce moment-là on va pouvoir lutter contre les vrais problèmes ».
Le mouvement qui lui parle le plus, c’est l’afro-féminisme (mouvement qui inclut une réflexion sur les questions périphérique au sexisme et notamment la couleur de peau) car il est inclusif et sort du combat uniquement centré sur le sexisme social. Une personne qui l’inspire tout particulièrement ? Amandine Gay dont elle « dévore » les conférences.
Rokhaya Diallo, une des figures de l’afro-féminisme français, a également été séduite par le travail d’Anaïs Bourdet. Tant sur le fond que sur la forme : « ça met en lumière la violence et les phrases. C’est super efficace, et c’est difficile de contester qu’il y a un problème structurel partout en France. Ça rafraîchit le monde militant et les gens lambdas se retrouvent dans ce discours intelligible. J’étais heureuse de voir ce blog surgir, c’est une forme qui permet la circulation des voix ».
Anaïs Bourdet prend part à ce nouveau genre de combat, le militantisme sur internet, qui touche énormément de monde en très peu de temps. Si on peut aisément dire qu’Anaïs est une figure digitale du féminisme, elle ne s’est jamais revendiquée proche d’une association comme la célèbre Osez le féminisme, ou Chiennes de garde. « Je tenais à ça. explique-t-elle, J’ai déjà mis du temps à trouver mon féminisme à moi. Avant de créer le blog je ne me revendiquais pas féministe, je disais que j’étais égalitariste. Et à force qu’on me demande mon avis sur le féminisme, je me suis rendu compte que j’étais un peu courte sur les arguments, je me suis renseignée, et j’ai découvert qu’il y avait plusieurs féminismes et pas un seul. J’ai trouvé des courants qui me conviennent mais je ne veux pas me lier avec qui que ce soit car ce serait arrêter mon discours une fois pour toute alors qu’il n’arrête pas d’évoluer au fil du temps ».
Elle avoue que c’est PTS qui lui a ouvert les yeux. « Le militantisme en ligne et physique sont complémentaires, dit-elle, on a besoin des deux et il n’y en a pas un qui est plus important. Il faut respecter le fait que chacun a sa façon d’être libre ». C’est également l’avis de Marie-Noëlle Bas, présidente de l’association féministe Chiennes de garde : « C’était vraiment dans la mouvance de ce renouveau du féminisme grâce aux réseaux sociaux. Ils ont développé l’information, la communication, donc la prise de parole et la sensibilisation de gens qui n’étaient pas conscients du sexisme ambiant ».
Passer le flambeau
Aujourd’hui, Anaïs Bourdet inspire de plus en plus de personnes qui, à leur tour, n’hésitent pas à taper du poing sur la table. C’est le cas d’un groupe d’étudiantes à l’ESC Dijon de Lyon. Pour un projet d’étude, les jeunes femmes ont tourné une vidéo lors d’un hapenning au centre-ville : « Ma façon de m’habiller mérite-t-elle de me faire agresser ? »
Une autre façon de questionner le harcèlement de rue et le viol. Louise, une des participantes, suit le blog Paye Ta Shnek depuis longtemps et le travail d’Anaïs a été une source d’inspiration. Souvent elle est contactée pour trouver une oreille attentive, un soutient. Beaucoup de jeune filles victimes de viol se confient à elle. Anaïs, douce et bienveillante, ne s’érige pas en sauveuse du monde exubérante, mais se dit surtout qu’ « il ne faut pas baisser les bras car des gens comptent sur moi. PTS m’est tombé dessus mais maintenant je vois ça comme une mission« .
Après des études à Aix-en-Provence, la jeune femme aux yeux rieurs s’installe à Marseille, puis part vivre trois ans en Argentine avec son amoureux de l’époque. Aujourd’hui, cela fait six ans qu’elle est graphiste et, enrichie par son expérience avec PTS, elle va se pencher de plus en plus sur des projets engagés, pas forcément féministes. Elle est d’ailleurs en ce moment à la direction artistique de Womanhood, une série de portraits de quinze Egyptiennes qui témoignent de leurs conditions de femmes en Egypte. La campagne de financement participatif est encore en cours.
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