Alexia Cassar s’est formée à la technique du tatouage 3D dans un seul objectif : offrir un téton aux femmes ayant subi une ablation du sein. Une spécialité unique en Europe. Portrait d’une tatoueuse pas comme les autres.
« Ça va, t’es en vie. De quoi tu te plains ? » Après l’ablation d’un sein, suite à un cancer, Aurélie avait cette petite voix dans sa tête. Des années de lutte jusqu’à une reconstruction mammaire imparfaite. Un sein incomplet, sans téton. Mais bon, « t’es en vie, de quoi tu te plains ? »
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Un temps, Aurélie se résigne. Parce que souvent, « on a juste envie de tourner la page ». Jusqu’à ce qu’à ce qu’une petite annonce dans une revue spécialisée fasse germer l’espoir. Jusqu’à chasser la petite voix. Jusqu’à ce qu’elle franchisse la porte de la tatoueuse qui répare les seins.
La seule formée en Europe
« Attention, je ne fais pas de miracle, prévient d’emblée Alexia Cassar en ouvrant la porte de sa petite clinique de la grande banlieue parisienne. Je triche juste un peu avec la nature. » Avec ses cheveux blonds coiffés en crête, ses yeux bleus cerclés de noir et les tatouages vifs qui ornent ses bras, elle a comme un air de Veerle Baetens dans Alabama Monroe. On s’attendrait presque à ce qu’elle fredonne du bluegrass en claquant des doigts. Bref, la gueule de l’emploi.
Mais Alexia Cassar n’est pas n’importe quelle tatoueuse. A 40 ans, elle est la seule en Europe a être formée à la technique du tatouage 3D pour réparer les aréoles, la zone sombre autour du mamelon. Là aussi, elle émet une réserve. « D’autres tatoueurs proposent ce type de services. Je suis la seule en Europe à être formée à cette technique particulière et à ne faire que ça. » Peu de salons offrent une telle prestation, aucun exclusivement. Les tatoueurs ne sont pas formés pour traiter de peaux si fragiles.
Relief définitif
Lorsqu’une patiente subit une mastectomie suite à un cancer, les chirurgiens s’efforcent de refaire au mieux la poitrine sectionnée. Souvent en prélevant de la graisse du ventre ou des muscles du dos. Parfois avec une prothèse. Mais le moins maîtrisé reste la reproduction du téton. Il arrive qu’on prélève une partie des grandes lèvres pour faire l’aréole, un bout d’orteil ou du mamelon restant pour faire le nouveau. Des traitements lourds où la greffe ne prend pas forcément.
Il y a aussi le tatouage médical, avec des pigments épais qui ne s’intègrent pas définitivement sous la peau. Celui-ci disparaît au fil du temps, nécessitant de le refaire régulièrement. Des visites qui empêchent de se remettre complètement, de se sentir pleinement reconstruite.
Ici encore, Alexia Cassar tient à préciser. « Le tatouage 3D est une alternative parmi d’autres. Il y a beaucoup de solutions valables. » Il n’empêche, sa technique présente de gros avantages. C’est définitif : un premier tatouage d’environ quatre heures et une visite de suivi suffisent à fixer le nouveau téton. C’est parfaitement effectué. Détails minutieux et effet de relief saisissant.
Quinze ans dans la recherche
Alexia Cassar passe après les tumeurs, les chirurgiens, les mastectomies et les cicatrices. Son boulot, c’est la dernière étape avant de pouvoir « définitivement tourner la page ». Armée de son stylet, elle dessine un téton en trompe-l’œil. Une technique importée des Etats-Unis, développée par le pape en la matière, Vinnie Myers, superstar outre-Atlantique du tatouage de tétons. Il y a deux ans, elle est partie se former au Texas, auprès d’une des disciples du maître.
Mais la particularité d’Alexia Cassar ne s’arrête pas là. Son rapport avec le cancer est quasi-charnel. Biologiste de formation, elle a passé quinze ans dans la recherche en cancérologie, au sein de différents hôpitaux et laboratoires pharmaceutiques.
Plus tard, c’est dans sa vie personnelle que le cancer s’invite et bouscule tout. Il y a deux ans et demi, on diagnostique une leucémie à sa petite fille, alors âgée de 10 mois. L’enfant et la famille surmontent l’épreuve.
Pivoines, clinique et discrétion
« J’ai pris conscience de certaines choses, ça m’a remise à ma place », raconte-t-elle, sans réussir à verbaliser réellement sa mue. Elle se tatoue. Des pivoines rouges sur le bras. Quand elle raconte ce morceau de vie, on distingue de l’invisible, de l’insaisissable. Elle ne l’explique pas mais comprend une chose. « Ça a signé ma séparation avec le milieu pharmaceutique. »
Alexia Cassar lâche tout quelques mois plus tard et décide de se mettre au service des ces patients qu’elle côtoyés pendant quinze ans sans jamais véritablement les voir. Elle découvre Vinnie Myers. A partir de là, tout s’enchaîne.
« J’ai toujours dessiné, depuis que je tiens un stylo. Ça m’a semblé naturel comme choix. » Elle dégotte un tatoueur chez qui elle part en apprentissage à presque 40 ans. Elle suit en parallèle une formation de tatouage médical. Avant de partir au Texas, pour l’ultime étape, le trompe-l’œil.
« The Téton Tattoo Shop »
Objectif suivant : une clinique. « Je ne voulais ni bosser à l’hôpital ni dans un salon de tatouage, ni chez un esthéticien. » Mais les banques la fuient. Elle lève donc des fonds en crowdfunding, amasse plus 30 000 euros en deux mois et complète le reste avec ses économies.
Début septembre, elle ouvre un espace dédié, « The Tétons Tattoo Shop ». Un petit box de 20 m2 fixé au fond de son jardin et séparé en trois espaces. Salle d’attente, bureau, table de tatouage. Difficilement trouvable au milieu des pavillons de sa banlieue tranquille. « Je ne veux pas mettre d’enseigne. Quand on vient ici, on n’a pas forcément envie que ça se sache. » A l’intérieur, « un petit cocon » où tout est fait pour « se sentir bien ». De grandes fleurs ornent les murs. Des références au téton partout, sous forme de des clins d’œil. Ici un galet en forme de sein. Là, une cerise sur le gâteau. Elle éclate de rire. « Comme je suis un peu rock, j’ai eu du mal à ne pas mettre une petite tête de mort.” On la rassure, c’est très bien comme ça.
« Une renaissance »
Les patientes sont de plus en plus nombreuses. Envoyées par les anciens réseaux d’Alexia Cassar dans les hôpitaux parisiens, bouche-à-oreille ou annonces sur Facebook. Elle a réparé plus d’une vingtaine de femmes.
« C’est comme une renaissance, explique-t-elle. Elles remettent le sein à la place où il doit être. » Une de ses patientes a réussi à enlever son t-shirt devant son mari pour la première fois en trois ans. Une autre a ressenti des sensations sur son téton pourtant disparu.
Pour Aurélie, qui a franchi toutes les étapes hospitalières du cancer, « bête et disciplinée », l’intervention d’Alexia Cassar était « nécessaire pour tourner la page. Je ne me rendais plus compte combien c’était important. Pour reconstruire mon image. »
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