Vêtements et accessoires sont des instruments de communication politique. La circulation rapide des images sur les réseaux sociaux a amplifié un phénomène dont on use du côté du pouvoir comme de celui des opposants.
Ce serait le must du moment. Non, pas les Crocs à talons, certes irrésistibles, mais, à en croire le New York Times, le… gilet jaune. Selon Vanessa Friedman, la critique de mode du journal, celui-ci serait “l’uniforme ingénieux d’une rébellion moderne”.
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Entre pièce d’apparat et étendard, la frontière est mince dans la sape, tant le moindre signe esthétique est lourd de sens. Chose que les milieux politiques et militants ont bien saisie, aujourd’hui plus que jamais. A l’heure des réseaux sociaux et de l’image instantanée, les puissants et les opposants se saisissent de codes stylistiques pour activer un discours non verbal, aussi symbolique que photogénique.
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Prenons la jeune représentante de la 14e circonscription de l’Etat de New York, Alexandria Ocasio-Cortez : lors de sa prestation de serment au Congrès des Etats-Unis en janvier 2019, elle apparaît vêtue d’un costume blanc. Les féministes identifient immédiatement le clin d’œil fait aux suffragettes, qui arboraient cette même teinte en signe d’honnêteté et de pureté, ainsi qu’à Shirley Chisholm, qui reprend ce code vestimentaire lorsque, en 1968, elle devient la première femme noire à siéger au Congrès. “C’est pour honorer les femmes qui ont ouvert la voie avant moi, et toutes celles qui me suivront… Je ne serais pas là sans les mères du mouvement”, écrit Ocasio-Cortez sur Twitter au sujet de sa tenue.
Qu’y a-t-il de surprenant à passer par le vêtement pour répondre à un Président dont la vision est elle-même symbolisée par une casquette ? Avec, en guise de logo ou d’équipe sportive, en blanc sur rouge, les mots “Make America great again”, celle-ci se vend quasi immédiatement à un demi-million d’exemplaires. En détournant un objet iconique pour ce pays, particulièrement auprès des masses populaires, Donald Trump y appose une promesse de retour aux valeurs traditionnelles aussi essentielle que l’objet lui-même.
Une fois au pouvoir, Melania, à ses côtés, accumule ce qu’elle dira être des gaffes stylistiques. Pour rendre visite à des enfants sans-papiers à la frontière du Mexique, elle apparaît vêtue d’une veste ornée des mots “I don’t really care, do U ?” (“je m’en fous pas mal, pas vous ?”). Lors d’un safari au Kenya, elle se coiffe d’un chapeau colonial. Entre négation de l’autre et performance de bimbo écervelée, ces erreurs assoient le machisme blanc de Trump.
A quelques milliers de kilomètres de là, Boris Johnson met un point d’honneur à être systématiquement décoiffé et dépenaillé, façon d’appuyer son jeu de bouffon démagogue. On apprend sans surprise que sa coiffure est hautement travaillée : selon la presse britannique très au fait du sujet, il se ferait teindre les cheveux en blond et les entretiendrait chez un coiffeur toutes les trois semaines.
La tenue est historiquement une zone d’affirmation de soi pour les femmes, qui doivent, en plus, faire face au sexisme du milieu politique. N’oublions pas qu’en 2012, Cécile Duflot, alors ministre du Logement, apparut à l’Assemblée nationale en robe à fleurs et fut sifflée par certains députés. On ne s’étonnera pas alors que nombre de femmes optent pour des costumes à grandes épaulettes, dits power suit, pour signifier qu’elles peuvent occuper autant de place qu’un homme, physiquement et symboliquement. Là, les détournements sont subtils mais présents : Angela Merkel, Hillary Clinton, Dilma Rousseff quand elle fut présidente du Brésil, ou Michelle Bachelet au Chili choisissent souvent de porter une veste de couleur sur un pantalon noir : une façon de suggérer une plus grande richesse, une énergie et le refus de – totalement – se plier aux codes masculins dominants.
Quant à Christine Lagarde, elle orne sa veste d’une broche étoilée pour rappeler le drapeau de l’Union européenne. Ce geste n’est pas sans rappeler l’attitude de Madeleine Albright, secrétaire d’Etat sous Clinton qui, dans son livre Read My Pins, écrivait que les broches faisaient partie “de (son) arsenal diplomatique”. Statue de la Liberté faisant la moue ou corbeau aux griffes pleines de pierres précieuses, elle envoyait des signaux qui troublaient les médias cherchant à déchiffrer les messages gouvernementaux ainsi transmis.
Aujourd’hui, une jeune génération se permet des choses autrefois interdites : le costume blanc d’Alexandria Ocasio-Cortez se voit relevé de rouge à lèvres écarlate et de créoles dorées, des marqueurs féminins traditionnels et assumés. En Allemagne, Diana Kinnert, jeune femme politique qui œuvre aux côtés d’Angela Merkel, sort toujours la tête couverte d’une casquette à la visière placée sur le côté droit ou d’un grand chapeau – un geste de “normalité” qui lui permet de se montrer autant citoyenne que politicienne. “Quand j’ai découvert que les politiciens doivent s’habiller de façon formelle et que porter un chapeau est une marque d’irrespect, j’en ai fait – peut-être inconsciemment – mon style, et c’est devenu un geste politique. Conserver mon propre style symbolise la richesse, les différents héritages et la diversité d’une démocratie”, explique Diana Kinnert (instagram.com/dkinnert/).
En France, Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, adopte des Repetto (et la presse crie au scandale devant ce qu’elle identifie comme des baskets). Marlène Schiappa apparaît souvent en décolleté avec d’imposantes boucles d’oreilles, loin de l’ultra-sobriété traditionnelle. Les deux femmes politiques expriment en silence leur vision du pouvoir, comme la promesse d’une institution qui se voudrait décontractée.
“Avant, les politiciens étaient tributaires de Paris Match. Aujourd’hui, beaucoup de possibilités sont offertes. Le vêtement est un élément phare, face à un changement d’échelle et une rapidité de circulation des images. Les clichés ne proviennent plus seulement des journalistes professionnels, mais de gens dans la rue”, explique Claire Blandin, historienne des médias. Ainsi, face à la surveillance permanente des réseaux sociaux, les jeunes femmes et hommes politiques ont compris l’importance de créer un personnage identifiable, rassurant, accessible. Ce qui est également le cas des activistes : Greta Thunberg prend quasiment toujours la parole coiffée de deux nattes, renforçant ainsi le décalage entre la vieille garde et sa fraîcheur.
“On remarque une professionnalisation de la communication militante”, dit Claire Blandin, qui note que militer via le vêtement est un choix “qui devient à la fois un acte politique et de communication”. Effectivement, les exemples visuellement parlants fleurissent, depuis les nombreuses têtes coiffées de pussy hats lors de la Women’s March jusqu’aux actrices tout de noir vêtues lors des Golden Globes en réaction au sexisme dans le cinéma, le tout appuyé par le hashtag #wewearblack.
Sans oublier la force du gilet jaune, qui a fait d’un objet commun l’icône d’une lutte démocratique, et dont la teinte criarde permet de l’identifier rapidement sur le moindre cliché. “D’après la législation, tout le monde doit en avoir dans sa voiture. Cela indique que l’on est en danger, qu’il y a une urgence. Là, le gilet jaune indique une situation de détresse, mais sociale cette fois”, analyse Claire Blandin.
En France, pays de la mode, c’est d’autant plus évocateur : des Sans-Culottes aux Bonnets rouges, les vêtements agissent comme des contre-uniformes face aux costumes haute couture des dominants et mettent littéralement en lumière ceux que l’on ne voit pas. Ils rappellent ainsi le caractère polysémique du vêtement, à la fois ancré dans une histoire, performatif et moteur de mouvement.
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