Davantage qu’un créateur, Alexander McQueen fut un poète visionnaire. “Savage Beauty”, au Victoria and Albert Museum jusqu’au 2 août, rassemble ses pièces iconiques pour faire le portrait de la dernière figure marquante de la mode.
“Ce ne sont que des vêtements !”, avait dit Alexander McQueen armé de ses ciseaux, en voyant la tête médusée de ses collaborateurs après qu’il avait taillé à vif dans un vêtement couture. En effet, la mode, ce n’est peut-être que des vêtements, sauf qu’Alexander McQueen fut un artiste. A la fois architecte, peintre, performer, sculpteur : un poète qui composait des images hantées, des visions magiques, à coups de vêtements.
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Pour retracer sa trajectoire, mais surtout composer son portrait, Claire Wilcox, commissaire de la magnifique exposition qui se tient à Londres aujourd’hui au Victoria & Albert Museum après avoir déplacé les foules au MET à NYC, a choisi de montrer les pièces iconiques du couturier, rangées par sections : romantisme gothique, romantisme primitif, romantisme naturaliste, etc.
Romantisme, donc, mais sombre, obsédé par la vanité et la mort, comme en témoigne cet hologramme de Kate Moss commandé par McQueen pour un show de 2006, The Widows of Culloden (référence à ses origines écossaises, une de ses influences majeures), qui apparaît, flottante, en robe blanche dont les voiles ressemblent à des ectoplasmes, puis disparaît, une expérience spectrale, l’une des étapes à couper le souffle de l’exposition.
Un style oscillant entre “tradition et sabotage”
Dès son premier défilé à la Saint-Martin’s en 1992 – où il fut étudiant après avoir tout appris du métier de tailleur en travaillant, dès 16 ans, pour Savile Row –, McQueen, 23 ans, impose son style, oscillant entre “tradition et sabotage”, comme le définit la rédactrice de mode Isabella Blow, qui le remarque, achète toute sa collection, et va le lancer. Suivront des défilés hyper théâtraux, provocateurs, voire profondément dérangeants : Highland Rape en 1995, où les mannequins défilent en robes déchirées, salies, le corps comme meurtri, suggérant qu’elles viennent d’être violées, devant des spectateurs renvoyés à leur passivité ; Voss, en 2000, où des mannequins se pressent contre les vitres d’une boite géante, prisonnières de leur folie et de leurs corsets victoriens.
A la fin du show, une boite restée close s’ouvre brutalement, révélant une femme obèse, nue, masquée, respirant par des tubes, couverte de phalènes, métaphore de la métamorphose imposée aux femmes par la société, du côté asphyxiant de la mode et du marché – une image calquée sur une photo de Joel Peter Witkin, que collectionne McQueen. “Mon travail est autobiographique, donc tout ce dont je fais l’expérience, je le digère et je le revomis dans la société.”
Pour sa propre marque, comme pour Givenchy dont il assure la direction artistique de 1996 à 2001, jusqu’au moment où le groupe Gucci (aujourd’hui Kering) rachète sa marque et lui assure soutien financier et liberté créative, Alexander McQueen forge de collection en collection une esthétique gothique inspirée du cinéma de Tim Burton, d’Alfred Hitchcock, des romans d’Edgar Allan Poe, d’une époque victorienne obsédée par le spiritisme, des oiseaux de proie (ses robes sont couvertes de plumes).
L’enfermement, les fantômes et la métamorphose
Les thèmes propres à ce genre se retrouvent dans ses créations : l’enfermement, voire l’emprisonnement, les fantômes et la métamorphose, la perversité. McQueen n’a de cesse de transformer le corps humain en allongeant l’abdomen, le dos, de jouer avec le grotesque, jusqu’à son avant-dernière collection, Plato’s Atlantis (2009), réinventant la silhouette de femmes futuristes, couvertes de robes en écailles brillantes, et chaussées de souliers bombés sur le devant, changeant radicalement la forme du pied.
Le créateur façonne des femmes hybrides, aussi vulnérables que puissantes car mutantes : femmes-cerfs, femmes-fleurs, femmes-oiseaux, femmes aux prothèses technologiques, etc. Son arme secrète, émouvante autant qu’explosive, est de faire coïncider des opposés : l’histoire et le futur, la fragilité de la mousseline la plus aérienne avec des morceaux d’armure, la délicatesse avec la brutalité, le savoir-faire des tailleurs de Savile Row avec de la soie déchirée, des broderies ultra-sophistiquées avec des coquillages ramassés sur une plage anglaise, la nature et la technologie, les corsets victoriens avec le punk, l’Angleterre et le Japon ou l’Inde.
Comme sa vie elle-même était faite de contraires : fils d’un chauffeur de taxi et d’une institutrice, élevé dans une famille de six enfants dans un faubourg populaire de Londres, propulsé dans les milieux du luxe, provoquant des critiques aussi admiratives que scandalisées. En voyant ses femmes malmenées, nombre de journalistes dénoncèrent sa misogynie sans voir qu’il faisait son autoportrait. Enfant, il fut abusé par le mari de sa sœur, qui la battait sous ses yeux.
Trois ans après le suicide de celle qui l’a lancé, Isabella Blow, quelques mois après le décès de sa mère, Alexander McQueen avale un cocktail de somnifères et de cocaïne et se pend dans son dressing le 11 février 2010, à 40 ans. Devenant, par la métamorphose de la mort, ce qu’il avait poursuivi de robe en robe : une enveloppe de peau, le vêtement ultime.
Savage Beauty au V&A à Londres, jusqu’au 2 aout 2015.
Eurostar offre deux tickets pour le prix d’un pour toute réservation de billets pour Londres.
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