Le 24 décembre, la reine d’Angleterre a gracié avec 60 ans de retard Alain Turing, savant génial, héros du décryptage des codes secrets nazis, qui se suicida en mangeant une pomme au cyanure après avoir été condamné pour homosexualité.
La libération de Khodorkovski par le tsar Poutine n’aura pas été la seule grâce accordée par un souverain en fin d’année. La reine d’Angleterre a elle aussi fait usage de son pouvoir d’amnistie régalien. Mais contrairement à l’oligarque, bien vivant fort heureusement, cette grâce intervenue le 24 décembre a concerné un personnage mort depuis près de soixante ans, l’Anglais Alan Turing, savant génial, héros secret de la Seconde Guerre mondiale et homosexuel martyrisé.
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Le 7 juin 1954, on découvrait le corps d’Alan Turing, mort après avoir croqué une pomme imprégnée de cyanure. Ce suicide mettait un terme tragique à un vie digne d’un roman d’espionnage et qui va d’ailleurs faire l’objet d’un film en 2014, avec Benedict Cumberbatch dans le rôle principal. Ce savant britannique, né en 1912, est un personnage de légende, un Galilée des temps modernes. Si il est resté à peu près inconnu alors que l’importance de ses découvertes pourrait le faire comparer à un Einstein, c’est qu’il était condamné au secret à la fois par la nature militaire de ses recherches et à cause du scandale qui entacha la fin de sa vie du fait de son homosexualité assumée, dans une Angleterre pudibonde et hypocrite.
Turing, personnalité difficile, eut une enfance compliquée dans l’Angleterre d’avant-guerre. Rétif à l’atmosphère des collèges, il éprouve pour un de ses condisciples, très brillant en mathématiques mais mort très jeune, une amitié amoureuse qui lui révèle son homosexualité et développe sa passion pour la science. Bien qu’antimilitariste, il est recruté au début de la guerre pour ses prodigieuses capacités de cryptologue par les services secrets. La Grande-Bretagne doit décrypter les messages codés de la marine allemande qui fait des ravages parmi les navires qui traversent l’Atlantique pour ravitailler l’Angleterre, un cordon vital pour le dernier pays européen qui résiste à la puissance nazie.
Enigma décrypté
Les services secrets ont réuni à Bletchley, un manoir qu’on croirait sorti d’une aventure de Blake et Mortimer, la fine fleur des spécialistes de cryptologie et de mathématiques pour tenter de déchiffrer les messages émis à partir de la mythique machine Enigma. Turing parviendra à percer les mystères d’Enigma, donnant un avantage décisif aux Alliés. On estime que ces découvertes ont raccourci notablement la durée de la guerre, certains ajoutent, plaisantant à moitié, que si les responsables de Bletchley avaient découvert l’homosexualité de Turing, Hitler aurait gagné la guerre.
Les travaux de Turing et de ses acolytes sont restés couverts pendant des années par le secret militaire. Après la guerre, il invente un procédé connu sous le nom de test de Turing, qui préfigure les méandres de l’intelligence artificielle. Il est intimement convaincu qu’il sera possible d’inventer des « robots pensants » d’ici quelques dizaines d’années. Sa curiosité insatiable l’amène ensuite à s’intéresser à la biologie et à la morphogenèse.
Mais il est rattrapé par son destin tragique au début des années 50. Dans l’Angleterre des années 50, l’homosexualité reste un crime poursuivi par la loi, comme celle qui soixante-dix ans plus tôt a condamné Oscar Wilde à la prison. De plus, la guerre froide a commencé et le pays a été marqué par de retentissantes affaires d’espionnage au profit de l’URSS mettant en cause de brillants intellectuels homosexuels. Mais Turing est un esprit trop libre pour renier son attirance pour les garçons que, sans faire de provocation, il n’a jamais cachée à son entourage et ses collègues. Il sait qu’il est condamné aux amours éphémères des rues chaudes et aux rencontres clandestines.
Castration chimique
En 1952, il a une aventure passagère avec un jeune homme qui donne son adresse à un voyou qui cambriole son appartement. Turing porte plainte, mais le cambrioleur une fois arrêté s’empresse de dévoiler la nature des relations entre Turing et son amant. Interrogé par la police, le savant se refuse à toute hypocrisie et reconnaît ce qu’on lui reproche. A la suite d’un procès douloureux et scandaleux, il est contraint de choisir entre la prison et la poursuite d’un cure médicale qui s’apparente à une castration chimique. Il doit prendre des œstrogènes censés réduire sa libido et le remettre dans la droit chemin. Ce « traitement » très en vogue à l’époque durera une année et aura pour seul résultat tangible de lui voir pousser des seins.
Turing ne se remettra jamais de cette douloureuse aventure, même s’il voyage en Scandinavie et en Grèce, toujours à la recherche d’aventures masculines, même s’il continue ses recherches, il n’est plus le même. Il suit de son propre chef une psychanalyse qui le passionne, au début de 1954, en compagnie de son analyste, il consulte par jeu une voyante dans une fête foraine. Il en ressort hagard et perturbé. Le 7 juin, telle Blanche-Neige dans le film de Disney qui paraît-il, le fascinait, il croque la pomme. Sa femme de chambre le découvre allongé sur son lit. Cette pomme, dont il restait une moitié sur la table de nuit, allait participer au mythe puisqu’on prétend que le logo d’Apple est une référence cryptée au génial mathématicien, précurseur de l’informatique, rebelle à l’autorité et ouvert aux idées nouvelles, toutes valeurs dont se targue la firme du Mac. Et même si cette version a été démentie par Apple, on sait bien qu’il vaut mieux parfois print the legend, quand, comme c’est le cas ici, la légende dit mieux la vérité que les plates réalités du quotidien.
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