Selon oncle Finkie dans les colonnes du JDD, Marie NDiaye ferait preuve d’“ivrognerie verbale”. Le dérapage de trop?
Après des années à déraper du côté de la sortie à l’emporte-pièce et des bavardages à la nano-hauteur du zinc du café du commerce, Alain Finkielkraut nous avait surpris à la rentrée avec un essai sur la littérature, Un cœur intelligent, contredisant par la finesse de ses analyses sa propre attitude : attaques du cliché, de la réaction épidermique, pour mieux privilégier la pensée, etc. On le croyait calmé, comme un vieil oncle honteux qui découvre brusquement les vertus tranquillisantes de la musique classique et devient charmant – mais il suffit que l’actu le gratte un peu, et que celle-ci concerne des “Blacks” ou des “Beurs” pour que le vieil oncle revête sa cape de vengeur 100 % blanc.
Le problème d’oncle Finkie, qui finit par devenir aussi gênant qu’encombrant, c’est qu’il ne semble pas avoir lu son dernier livre. Dommage, s’il avait pris le temps de se lire lui-même, il n’aurait peut-être pas sombré une nouvelle fois dans le n’importe quoi, dimanche 22 novembre, dans les colonnes du JDD, où il déclarait à propos de l’affaire Marie NDiaye, et de l’adjectif “monstrueuse” dont elle qualifiait la France de Sarkozy : “Marie NDiaye n’est certes soumise à aucun devoir de réserve mais à un devoir de justesse car comme le dit Albert Camus, “mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde”. Tout en se livrant lui-même à ce qu’il dénonce : “C’est de l’ivrognerie verbale”.
Sémantiquement, la ressemblance est flagrante avec le “sida mental” dont Louis Pauwels, parangon des ultraconservateurs nauséabonds, gratifiait la jeunesse de 1986 s’opposant à la loi Devaquet (dans son édito du Figaro Magazine, le 6 décembre 1986). Même structure, même rhétorique : pour mieux anéantir l’ennemi, soit le jeune ou l’écrivaine noire s’opposant à un gouvernement de droite, il s’agit de le disqualifier en le déclarant intellectuellement “malade” (le sida mental) ou “ivre” (l’ivrognerie verbale).
L’opposition à ses propres “idées” (de droite) ne peut relever que de la maladie ou de l’ivrognerie – les arguments de l’autre sont donc incohérents, gangrenés par un vice (la “débauche” : le sexe, la drogue, qui transmettent le sida ; l’alcool à haute dose de l’ivrogne, qui fait délirer). L’autre qui ne serait pas de droite est forcément dépravé, criminel, perdu, bref à enfermer ou à mépriser. Mais Pauwels, après tout, n’était pas philosophe. Qu’est-ce qu’un philosophe qui ne prend pas en compte l’autre dans sa différence, refuse toute dialectique et nie la contradiction ? Alain Finkielkraut. C’est tout dire.