Rencontré dans ses appartements (de fonction) au Château de Versailles le dimanche 4 septembre. Jean-Jacques Aillagon, ex ministre de la culture de 2002 à 2004, revient sur son départ contraint et précipité de Versailles, le rôle déficient du ministère de la Culture et déploie en creux sa vision pour une politique culturelle.
Le Centre Pompidou a, un temps, convoité les sous-sols du Palais de Tokyo… Vous pensez que cela aurait été le bon endroit ?
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Non : je trouve extravagant qu’on ait pu envisager de faire cohabiter, dans le même bâtiment, avec le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et le « site d’art contemporain » qui s’y trouvent déjà, une extension du Centre Pompidou. Vous imaginez le salmigondis que cela aurait produit. Je crois à l’efficacité d’une règle simple « un bâtiment, une institution » quitte à ce que ladite institution abrite elle-même, comme le Centre Pompidou, plusieurs entités. J’ajoute que le retour du Musée National d’Art Moderne au Palais de Tokyo aurait été, à mes yeux, une Restauration au sens de 1815 du terme. Le Centre Pompidou s’étant fait grâce à l’extraction du MNAM hors du Palais de Tokyo. L’affaire n’avait pas été simple. Elle a même été douloureuse. Revenir là dessus aurait été symboliquement fâcheux. De surcroît, un bricolage comme celui-là aurait dispensé l’Etat de se poser la seule vraie question : comment donner au Centre Georges Pompidou-Musée National d’Art Moderne l’équipement que requiert son action dans le domaine de l’art contemporain, alors que, les décennies passant, il apparait que si le bâtiment de Piano et Rogers se prête convenablement à la présentation de l’art historique du XXe siècle, jusqu’aux années 80, il est mal adapté et de taille insuffisante pour l’art contemporain.
Il faut une création de site alors ? A Paris, en province, ou sur l’île Seguin ?
Oui, un deuxième site est nécessaire avec une architecture simple, souple, extensible, offrant des surfaces suffisantes pour déployer des collections contemporaines et développer un programme d’expositions. Ce site doit, c’est la logique d’un pays centralisé par son histoire, se trouver, sinon à Paris, au moins en région parisienne. J’y avais rêvé, quand j’étais Président du Centre Pompidou, et visité plusieurs sites envisageables dont, avec Patrick Braouezec, maire de Saint-Denis, l’usine dans laquelle Luc Besson a, in fine, installé son activité de production et ses studios. Mais ce site aurait été insuffisamment bien desservi par les transports en commun, or on sait que le succès d’un grand équipement culturel repose aussi sur la qualité de sa desserte, comme le montre le Centre Pompidou-Metz quasi directement accessible en TGV. La question de la capacité à agir de son Musée National d’Art Moderne est aussi celle de son rayonnement international, n’est pas une question accessoire. C’est une vraie question de politique culturelle. L’Etat ferait mieux de s’engager dans le règlement de ces questions-là, plutôt que de susciter des projets controversés, comme le musée d’histoire de France dont la nécessité n’est pas avérée… Quant au choix de l’Ile Seguin… pourquoi pas, encore que ce site finisse par me paraître frappé d’une sorte de fatalité !
A-t-on besoin oui ou non, d’un ministère de la Culture ? Quelle est au final, sur ce sujet votre position ?
Je crois à la nécessité de l’action culturelle de l’Etat et d’une action forte de sa part. Je sais aussi que cette action est antérieure, historiquement, à l’existence du ministère de la Culture créé, en 1959, pour André Malraux. Cela dit, son existence en tant que tel est devenue tellement symbolique qu’il vaut mieux ne pas disserter inutilement sur une politique culturelle qui se passerait d’un ministère ad-hoc. Son existence suppose cependant deux choses. Tout d’abord, cela va de soi, qu’on en fasse un usage efficace mais aussi qu’on s’interroge sur son périmètre.
A mon avis, le périmètre actuel n’est pas suffisant. Il éloigne le ministère de la Culture de celui de l’Education nationale alors que l’école est le principal espace d’acculturation de tous les jeunes qui vivent en France. Jack Lang avait, un temps, tenté de régler la difficulté en exerçant conjointement la responsabilité des deux ministères. Leur réunion au sein d’une entité unique me paraît cependant peu probable et même peu souhaitable car elle associerait une énorme mécanique, celle de l’Education nationale, à un outil léger qui, pour être efficace, doit rester mobile et nerveux, la rue de Valois. Une intense coopération entre les deux est cependant nécessaire. Par ailleurs, je crois utile de mettre fin à l’éloignement de l’action culturelle internationale de la responsabilité du ministre de la Culture.
Dans un contexte de construction européenne et de mondialisation de la scène culturelle, on ne peut plus tenir pour légitime la distinction entre l’action culturelle nationale et l’internationale. Les établissements publics ont déjà largement dépassé cette question. Leur action concerne autant le territoire de notre pays que les territoires étrangers avec lesquels ils ont vocation à développer des partenariats. Le ministère de la Culture doit conquérir sa pleine responsabilité à cet égard. La pire des choses serait que ce ministère se recroqueville, se réduise à n’être qu’un ministère des Beaux Arts et des Belles Lettres et que la progressive dépossession de sa responsabilité le condamne à devenir un ministère du faire-semblant plutôt que du faire.
Qu’avez-vous prévu pour la suite ?
J’achève un essai sur Versailles de Louis XIII à Nicolas Sarkozy qui paraîtra avant la fin de l’année chez Albin Michel et me consacrerai, ensuite, à la rédaction d’un livre plus personnel. Il est clair qu’étant à la retraite à partir du 1er octobre, je n’aspire plus à aucune responsabilité administrative. Par ailleurs, je ne suis pas demandeur de présidences honorifiques ou de distinctions qui pourraient apparaître comme des lots de consolation. Je n’exclus pas d’accepter quelques missions au sein de fondations privées en France et à l’étranger. C’est à la fin de l’année que je me déterminerai à ce sujet.
Attentif au débat politique que suscitera l’élection présidentielle, je compte y prendre part comme citoyen. Enfin, j’espère disposer de plus de temps pour m’occuper de l’association des Amis du Centre Pompidou-Metz que je préside et pour soigner mes rhododendrons en Bretagne. Vous le voyez, ce sera une retraite qui n’en est pas une.
Propos recueillis par Jean-Max Colard, Claire Moulène et Alice Poujol
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