Rencontré dans ses appartements (de fonction) au Château de Versailles le dimanche 4 septembre. Jean-Jacques Aillagon, ex ministre de la culture de 2002 à 2004, revient sur son départ contraint et précipité de Versailles, le rôle déficient du ministère de la Culture et déploie en creux sa vision pour une politique culturelle.
Nicolas Sarkozy n’a pas souhaité prolonger votre mandat au Château de Versailles et sa conseillère Catherine Pégard a été nommée pour vous remplacer. Comment s’est passée cette décision ?
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Quand j’ai été reconduit, l’an dernier, dans des conditions un peu « sportives », je savais que mon mandat de trois ans serait frappé, en cours de route, par l’âge de la retraite à 65 ans. Si cette règle était pratiquée de façon universelle, j’y m’y serais rangé sans problème, Je constate cependant, qu’au cours des derniers temps, on n’a cessé de « déplafonner » l’âge de la retraite pour des responsables de structures culturelles, à l’Odéon, à l’Opéra Comique, au Grand Palais-RMN, à l’Institut Français.
Au début de l’été le Président de la République m’a personnellement, ce dont je lui sais gré, informé de sa volonté de procéder en septembre à une nouvelle nomination à Versailles. J’en ai pris acte. Cette situation renvoie cependant à deux questions. La première, c’est celle de la nécessaire affirmation d’une règle constante quant à l’âge de la retraite. Quand c’est 65 ans pour les uns, 67 ou 68, voire 69 pour les autres… on donne le sentiment que l’arbitraire a libre cours et que les choses se règlent « à la tête du client ». La deuxième question, c’est celle de la responsabilité du ministre de la Culture et de la Communication dans les processus de nomination. Que le Président de la République, qui signe le décret de nomination, ne soit pas un acteur passif du processus, cela va de soi. Sous la Ve République, il en a toujours été ainsi. Il est légitime qu’il ait un point de vue et qu’il discute avec le ministre de la Culture des propositions que ce dernier lui présente. Mais que sa volonté, son choix, sa décision se substituent à la responsabilité et au point de vue de ce ministre, ce n’est pas une bonne chose.
Un chef d’établissement n’a-t-il pas finalement plus de marge de manœuvre que le ministre de la Culture ?
Ils ne font pas du tout le même métier. Le ministre a en charge des objectifs généraux alors que le chef d’établissement gère une activité particulière. Il a la responsabilité d’un lieu, d’une collection, d’une programmation, d’un public, de projets de médiation. Son travail est concret. Son résultat est visible. Il est immédiatement évaluable. Le ministre, lui, à la responsabilité de contribuer à l’amélioration du cadre juridique et budgétaire qui déterminera l’évolution de la vie et des pratiques culturelles. C’est l’objet de la loi, du règlement, des conventions internationales, des directives européennes. Il lui faut aussi veiller à la composition satisfaisante et au bon fonctionnement du dispositif d’établissements à travers lesquels l’Etat met en œuvre le service public de la culture. C’est là qu’il assure sa mission de tutelle. La tutelle ce n’est pas l’étouffement mais l’accompagnement subtil des projets.
Il doit aussi avoir une vision de l’aménagement culturel global du territoire et être en mesure de concevoir des programmes nationaux qui mobiliseront les collectivités locales dans la mise en œuvre de projets communs. Le Ministre est là pour tenter de soutenir le tonus de la vie culturelle et non pour être, lui-même, producteur d’une activité – de concerts, de spectacles ou d’expositions. C’est la raison pour laquelle il est indispensable que le ministre expose clairement ses points de vue, sa vision, en un mot sa politique de façon à ce qu’elle soit perceptible tant par les citoyens que par les partenaires de l’Etat, les collectivités locales notamment. J’ajouterai que pour toutes ces raisons, on aimerait que s’atténue la volatilité des fonctions de ministre de la Culture et de la Communication. Songez qu’au cours des dix dernières années, depuis 2001, ce sont cinq personnalités qui se sont succédées rue de Valois : Catherine Tasca, moi-même, Renaud Donnedieu de Vabres, Christine Albanel et Frédéric Mitterrand. Peut-on installer une politique cohérente dans un tel tourbillon ? Je souhaite que le Président de la République issu de l’élection de 2012, quel qu’il soit, prenne soin de stabiliser le ministère. Malraux et Lang auront eu la grande chance d’une convenable longévité qui, ajoutée à leur talent, aura produit des résultats convaincants.
Pour ma part, il m’arrive d’être impressionné par tout ce que j’ai pu mettre en œuvre en deux ans seulement : la loi sur le mécénat et les fondations, avec ma collègue canadienne Sheila Copps, le texte de ce qui allait devenir la convention de l’Unesco sur la diversité culturelle, le règlement du vieux conflit entre le ministère et la cinémathèque française et le renouveau de cet organisme, la clarification de la relation de la Réunion des Musées Nationaux et des musées nationaux, l’élaboration d’un statut d’établissement public pour Orsay et Guimet, le Louvre-Lens… Je ne peux tout énumérer, ce n’est pas l’objet de cette interview. Mais je suis fier de ne pas avoir perdu mon temps. Mon regret, c’est de n’avoir pas eu plus de temps pour continuer ce travail. C’est aussi d’avoir dû traiter, dans une très grande solitude, alors que le dossier relevait autant du ministre des Affaires sociales, à l’époque François Fillon, que du ministre de la Culture, la situation de l’assurance chômage des professionnels du spectacle et de l’audiovisuel. La blessure, c’est de m’être retrouvé confronté à l’hostilité et à l’incompréhension de gens que j’estimais, que je respectais et dont le travail faisait depuis des décennies le bonheur de mon existence.
Vous avez souligné le manque d’efficience du ministère de la Culture. Comment peut-il répondre à la situation ?
Je crois que le ministère doit apprendre à mieux recentrer son action. Il est partagé entre un discours qui voudrait accréditer l’idée qu’il sait tout, qu’il est partout et qu’aucune action ne pourrait avoir lieu sans ses interventions et, d’autre part, la marginalisation effective de son rôle et de sa capacité d’intervention face à l’émergence d’autres opérateurs. Je suis frappé par le nombre de communiqués de presse qu’il diffuse pourtant. Il est devenu une véritable agence nécrologique. Cette hyper communication n’est-elle pas le moyen d’exorciser le sentiment d’une certaine impuissance. Frédéric Mitterrand ne compte ni son temps, ni son ardeur. Son hyperactivité sur le terrain, dans la ligne de celle de ses prédécesseurs – et je m’y inclus – n’est-elle pas le symptôme d’une réalité qui rend de plus en plus difficile une prise sur la réalité des choses.
Qu’avez-vous pensé de la tentative (échouée) de Nicolas Sarkozy à mettre en place un relais avec la création du Conseil artistique de la création ?
Je trouve que cette initiative a suscité des oppositions disproportionnées. Que l’Etat expérimente, à travers des structures nouvelles, de nouveaux modes d’intervention, qu’il se propose ainsi de nouveaux horizons, ne me semble pas condamnable et me paraît même souhaitable. Le pêché originel du Conseil de la Création Artistique ce n’est pas, à mes yeux, son objet mais les modalités de sa création. On a eu l’impression que ce Conseil aurait été créé contre le Ministère, en tout cas à l’insu du ministre. Quant à prétendre qu’il aurait privé la rue de Valois d’une partie significative de sa substance budgétaire, c’est évidemment exagéré si on met dans la balance, d’un côté le budget du ministère, d’un autre côté ce que fut la dotation de ce Conseil. Je crois aussi que c’est son nom de Conseil qui portait à la confusion.
Ce phénomène s’est-il amplifié sous Nicolas Sarkozy ?
Notre constitution a institué une monarchie républicaine. L’introduction du quinquennat et la confusion des séquences d’élection du Président de la République et du Parlement ont accru ce caractère. Le tempérament du Président de la République ne l’a pas amoindri. Il faut y prendre garde. A tout concentrer au sommet, on le fragilise. Je crois à la nécessité d’une meilleure répartition des responsabilités. A terme, si on prive un ministère comme celui de la Culture de trop de ses responsabilités, on finira par constater qu’on n’en a plus besoin ! Non pas tant parce que ses moyens seraient insuffisants mais parce que son autonomie se serait amoindrie. Cette remarque concerne l’Etat en général et non seulement le ministère dont Frédéric Mitterrand a aujourd’hui la responsabilité.
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