Depuis la vague d’agressions sexuelles survenues dans la nuit du 31 décembre 2015 dans plusieurs villes d’Europe, des voix s’élèvent pour dénoncer la politique d’accueil des migrants. Plusieurs collectifs féministes s’inquiètent, eux, de l’instrumentalisation de crimes sexuels à des fins xénophobes.
Treize jours après les agressions sexuelles survenues à Cologne, en Allemagne, la nuit du Nouvel An, plusieurs voix féministes s’élèvent en France et outre-Rhin pour mettre en garde contre le risque de récupération de ces attaques dans l’optique d’alimenter un discours populiste anti-migrants.
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En Allemagne, un collectif féministe a lancé le hashtag « aufschrei », un « cri » d’appel pour dénoncer le racisme de certains discours: « On ne peut pas parler de la violence sexuelle uniquement quand les auteurs sont prétendument “les autres” : les hommes musulmans, les Arabes, les Noirs ou les Nord-Africains. » expliquent-elles dans un communiqué partiellement traduit par Le Monde.
Les mêmes questions agitent certaines féministes françaises. Comme la blogueuse Crêpe Georgette qui estime, dans un billet publié le 12 janvier, que l’écho médiatique et politique que rencontrent ces agressions sexuelles s’explique en majeure partie par l’identité des agresseurs : « La vérité est que les femmes ne sont pas en sécurité où que ce soit dans le monde et l’on n’a pas attendu l’arrivée de demandeurs d’asile pour que cela soit le cas. Le fait est que les foules masculines matinales des transports en commun français sont déjà un danger pour les femmes donc les foules avinées en sont également un. (…) »
De son côté, Osez le féminisme dénonce dans un communiqué mis en ligne le 11 janvier « une indignation à géométrie variable » :
« Selon l’origine des agresseurs, y aurait-il des victimes de viol qui mériteraient d’être soutenues plus que d’autres? Tous les jours, de Cologne à Paris, de Pékin à New York, du Caire jusqu’à Rio de Janeiro, dans l’hémisphère nord et dans l’hémisphère sud, des hommes, de tailles et de corpulences variées, de métiers variés, de confessions religieuses différentes, et de toutes origines sociales, agressent et violent des femmes. »
Et d’ajouter : « Instrumentaliser ces crimes, laisser à penser que la violence machiste est un fait étranger à nos sociétés, qu’il suffirait de fermer nos frontières pour nous en prémunir, c’est occulter la réalité du quotidien des femmes. »
Des idées que ne partage pas Valérie Toranian. L’ancienne directrice de la rédaction du magazine ELLE prend leur contre-pied dans un édito publié sur le site conservateur La Revue des deux mondes. Après avoir assuré que « l’égalité entre les hommes et les femmes est un acquis fondamental de notre civilisation » (ah bon?), elle explique que les féministes font actuellement face à ce qu’elle appelle « l’épreuve du réel »:
« Les féministes ont fait « fausse route » selon l’expression d’Élisabeth Badinter en minimisant pendant des années la montée de l’islam politique et son influence négative sur les droits des femmes. L’oppresseur ne pouvait être que l’homme blanc, capitaliste, héritier du colonialisme. Critiquer la culture islamiste qui surveille les mœurs et les tenues des femmes, faisait de vous une alliée de Satan, une néo-colonialiste, une islamophobe, une raciste. »
En conclusion, elle conseille de ne pas « transformer le coupable en victime », et oublie, au passage, que la/les religion(s) des très nombreux agresseurs de la Saint-Sylvestre n’a/ont jamais été communiqué(e)s :
« Pour ces hommes chargés de surveiller les bonnes mœurs [d’après ce que l’on comprend, les défenseurs d’un islam politique issu de la mouvance salafiste, ndlr], une femme convenable ne porte pas de jupe, est voilée, ne sort pas le soir et ne ressemble en rien à l’image de la « Française » qu’ils qualifient de débauchée, buvant des coups aux terrasses des cafés avec des hommes, portant des vêtements provocants (une jupe, une robe…), une femme aux mœurs légères, une femme qui couche. Bref, une moins que rien. Et pourquoi respecter une moins que rien, à Cologne, à Paris, en Finlande ou ailleurs ? »
Marine Le Pen en France, Pegida en Allemagne
En France, l’instrumentalisation est orchestrée par Marine Le Pen. Dans une tribune publiée sur le site de L’Opinion, la présidente du FN dresse clairement un pont entre la politique migratoire actuellement à l’oeuvre en Europe et la vague d’agressions sexuelles survenues au Nouvel An : « La deuxième conséquence dramatique de la crise migratoire tient à la situation de la Femme. Si celle-ci est encore l’égale de l’homme en droits, la réalité est qu’elle ne peut plus jouir comme un homme de ces mêmes droits ! » Elle en profite pour tacler « l’irresponsabilité d’Angela Merkel », la « faiblesse de François Hollande » et le « silence inadmissible voire l’assentiment tacite de la gauche française ».
Outre-Rhin, c’est le mouvement islamophobe Pegida qui s’appuie sur ces crimes pour alimenter son discours anti-migratoire. Le 9 janvier, il organisait un grand rassemblement sur le parvis de la gare de Cologne, où se sont déroulées la majorité des agressions le soir du Nouvel An, afin de dénoncer la politique d’accueil mise en place par Angela Merkel.
Au même moment circulent sur Internet des vidéos censées représenter des femmes se faisant agresser à Cologne la nuit du Nouvel An, comme le rapporte Libération. Or, elles ont pour la plupart été postées bien avant le 31 décembre 2015. L’une d’entre elles, baptisée « Woman in Cologne Germany dragged into subway by migrants », qui a recueilli plus de 200 000 vues, a par exemple été mise en ligne pour la première fois sur le site d’un journal égyptien le 2 juillet 2013 sous le titre « Agression sexuelle sur la place Tahrir le 30 juin ».
Que s’est-il passé le soir du Nouvel An?
De nombreuses zones d’ombre demeurent. Un premier rapport de police rendu public lundi 11 janvier rapporte que 516 plaintes ont été déposées, dont 40% concerne des agressions sexuelles. Sur les 19 hommes actuellement considérés comme suspects, dix seraient des migrants, et neuf en situation irrégulière.
Commentant le rapport de police, le ministre de l’intérieur de l’Etat régional de Réhanine-du-Nord-Westphalie, Ralf Jäger, a confirmé lundi 11 janvier que les agresseurs de Cologne étaient en très grande majorité des demandeurs d’asile récemment arrivés en Allemagne : « Tant les déclarations des témoins que les rapports de la police [locale] et les descriptions de la police fédérale montrent que les personnes qui ont commis ces crimes étaient presque exclusivement d’origine immigrée. » Il a toutefois rappelé que « stigmatiser un groupe [de population] comme des agresseurs sexuels est non seulement une erreur mais aussi dangereux. C’est ce que font les charognards de l’extrême droite, c’est leur seul argument. (…) ».
Des faits similaires se sont déroulés le même soir dans différentes villes européennes. En Allemagne, une douzaine de villes ont rapporté des agressions sexuelles, parmi lesquelles Hambourg, Munich, Düsseldorf. A Helsinki (Finlande), la police a constaté de « nombreux faits de harcèlement sexuel », et deux plaintes ont été déposées. Même chose à Zurich (Suisse), où les forces de l’ordre ont enregistré plusieurs plaintes concernant des viols et des vols. D’après Le Monde, l’Autriche serait également touchée : huit plaintes concernant des agressions sexuelles auraient été déposées à Salzbourg; trois jeunes femmes auraient été agressées et volées à Vienne, une à Innsbruck, et une adolescente de 16 ans dans la campagne de Haute-Autriche. Toutes les plaignantes auraient décrit leurs agresseurs comme « originaires de pays du Sud« . Un Syrien et deux Afghans ont pour l’instant été interpellés.
Un effet de masse
Le quotidien suédois Dagens Nyheter, a également révélé dans son édition du 11 janvier, une série d’agressions sexuelles à Stockholm que la police aurait étouffées. Aux mois d’août 2014 et 2015 combinés, alors que le festival de rock We Are Sthlm secoue la capitale, 38 plaintes pour agressions sexuelles sont déposées par de jeunes filles. Pourtant, rien ne filtre. Mercredi 13 janvier 2016, le premier ministre suédois, Stefan Löfven, a déclaré ressentir « une grande colère » suite à ces révélations, et assuré que « les coupables devront être punis. »
Pourquoi la Suède aurait-elle fait de la rétention d’informations ? Selon le quotidien, qui s’appuie sur plusieurs témoignages de policiers, la réponse serait à chercher du côté de l’identité des agresseurs : de nombreuses jeunes filles les auraient décrits comme d’origine étrangère. Interrogé par le quotidien suédois, Peter Ågren, chef de la police dans le quartier de Södermalm à Stockholm, confirme : « Si nous faisons un signalement, par exemple, nous ne pouvons pas présenter une description qui, de la moindre manière, risque d’être comprise comme si nous ciblions un groupe particulier. Cela prend beaucoup trop de temps et d’énergie de nous défendre contre des accusations de racisme et de fascisme. »
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