Les tics de langage et les gestes des candidats en disent beaucoup sur leur personnalité. Elodie Mielczareck, sémiologue et auteur de Déjouez les manipulateurs (novembre 2016), est spécialisée dans l’analyse de ces petits riens. Elle nous livre les clés de compréhension de cette nouvelle campagne.
Que nous disent les nouvelles affiches de Marine Le Pen et Emmanuel Macron ?
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Quelle qualité les candidats veulent-ils mettre le plus en avant ?
Je pense que pour Emmanuel Macron, la question de l’équilibre est centrale. C’est quelque chose que l’on retrouve aussi dans ses discours, dans lesquels il insiste sur son côté rationnel. Marine Le Pen se présente plutôt en conquérante. Au niveau de la forme, sa posture évoque la conquête intime, avec le jeu de séduction. Et d’un point de vue du fond, c’est le territoire à reconquérir.
Comment avez-vous analysé les réactions des candidats après le premier tour ?
Contrairement à ce que l’on a pu entendre, le dirigeant d’En marche! était très grave dans ses mots et sa gestuelle. Un moment il dit : « J’ai bien conscience du poids qui est sur mes épaules » et on le voit, il est cerné, il a les épaules basses, il a une attitude qui rappelle la gravité. Mais, la Rotonde, les caméras qui le suivent partout, toute cette mise en scène l’a amené à penser qu’il était déjà président.
Vive la République ! Vive la France ! pic.twitter.com/DO0Izv3HzG
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 23 avril 2017
Sa gestuelle, avec le « V » de la victoire, était tout de même très optimiste…
C’est aussi un signe de compétiteur. Certes les sportifs le font quand ils franchissent la ligne d’arrivée mais les hommes politiques savent qu’en temps normal, ce genre de signe leur permet de dégager une image positive d’eux-mêmes. Quant à Marine Le Pen, je l’ai trouvée assez neutre ; elle était encore dans sa campagne. Mais ce qui est très fort, c’est l’opposition entre Macron à la Rotonde et Le Pen à Hénin-Beaumont. Déjà, les territoires symboliques ne sont pas les mêmes.
Cette opposition élite-peuple a aussi été visible à Whirlpool…
Tout à fait. Whirlpool, n’est qu’une illustration du fait qu’il y a des territoires où le Front national est déjà implanté. Il suffit que la présidente du FN reste 15 minutes et les gens, même quand ils ont une chasuble CGT, sont heureux de faire des selfies avec elle.
À #Amiens où je suis allée rencontrer et soutenir les salariés de #Whirlpool. Avec moi, leur usine ne fermera pas ! pic.twitter.com/6529H1y1HP
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) 26 avril 2017
Au-delà des idées politiques, comment expliquer cette proximité avec une partie du peuple ?
Dans ses structures de phrases, Marine Le Pen est beaucoup plus simple qu’Emmanuel Macron. Sujet, verbe et objet… Le parler de la candidate FN est très direct, un peu comme Donald Trump. Cette forme de discours crée un lien de proximité fort avec les gens. Macron, en revanche, apparaît encore comme un technocrate. Il multiplie les références philosophiques et abusent des constructions complexes, avec des subordonnées, des adverbes… Les gens ont tendance à décrocher au cinquième mot.
Quel discours est le plus susceptible de séduire l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, à la fois populaire mais friand des envolées lyriques du candidat de la France Insoumise ?
Les neurosciences ont montré que l’on a plusieurs parties dans notre cerveau. Il y a une partie qui est plus réflexive et une partie qui est plus archaïque. On sait très bien aujourd’hui que les discours émotionnels, qui jouent avec le plaisir (hausse du pouvoir d’achat) ou sur la peur (des étrangers), sont les discours qui fonctionnent le mieux. Et Marine Le Pen manie très bien ce tandem plaisir/peur.
A quoi on peut s’attendre pour le débat du 3 mai prochain ?
Le vrai enjeu pour Macron va être de sortir de l’habit du technocrate pour rentrer dans le champ de l’émotion. Il ne l’a fait qu’une fois dans sa campagne, durant le salon de l’agriculture. Il y a un moment extraordinaire où une dame se met à pleurer. Elle dit : « Vous vous rendez compte, j’ai travaillé 20 ans pour eux et aujourd’hui j’ai plus rien ». Et on voit, ce qui est très rare chez les hommes politiques, le visage de Macron qui expriment tous les signes naturels de la tristesse. Ce genre d’attitude spontanée ne peut pas être joué. On sent bien que l’ancien ministre de l’Economie a une capacité d’empathie assez forte mais trop peu apparente. A l’opposé, le pari de Marine Le Pen va être de montrer que son projet est cohérent et crédible. Elle, qui est très forte sur le registre émotionnel, va devoir gagner en épaisseur pour prouver qu’elle a les épaules pour mener à bien son programme.
Les débats télévisés ont-ils une vraie influence sur le vote des téléspectateurs ?
Bien sûr, sauf chez les personnes déjà convaincues. Mais cette élection est marquée par une très forte présence des indécis ; pour eux ce débat peut-être décisif. En 1960, ceux qui avaient écouté Nixon à la radio étaient persuadés de sa victoire. Mais ceux qui ont regardé Kennedy à la télévision, tout bronzé, avec le sourire ultra bright, face à un Nixon fatigué car il sortait de grippe, étaient convaincus que Kennedy allait gagner. L’impact de l’image est vraiment non négligeable. On sous-estime le nombre de personnes qui votent parce qu’ils trouvent un candidat beau.
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