Le témoignage de la commandante de police en charge de l’enquête sur le dossier Kerviel depuis 2008, révélé par Mediapart le 17 mai, remet la condamnation du trader en question. Ses soutiens appellent à une révision du procès.
La condamnation de Jérôme Kerviel à trois ans de prison ferme et 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts volera-t-elle en éclats ? Le témoignage recueilli par le juge d’instruction Roger Le Loire le 9 avril, et révélé par Mediapart le 17 mai, pourrait y contribuer. La commandante de police de la brigade financière en charge de l’enquête sur le scandale de la Société Générale depuis 2008, Nathalie Le Roy, y relate les dysfonctionnements qu’elle a rencontrés. Et raconte son intime conviction que la hiérarchie du trader ne pouvait ignorer ses agissements.
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« La hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer ses positions »
« A l’occasion des différentes auditions et des différents documents que j’ai pu avoir entre les mains, j’ai eu le sentiment puis la certitude que la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions prises par ce dernier », assure-t-elle devant le juge. Son témoignage correspond à la version défendue depuis le début de l’affaire par Jérôme Kerviel lui-même. Le trader ne nie pas ses actes, mais a toujours affirmé que sa hiérarchie était au courant, et qu’il faisait partie d’un système.
Selon l’enquêtrice, qui jouit d’une très bonne réputation, la Société générale l’a manipulée : « Je n’ai jamais demandé à entendre telle ou telle personne. C’est la Société générale qui m’a dirigé tous les témoins », « J’ai eu le sentiment d’avoir été instrumentalisée par la Société générale », confie-t-elle.
Mis bout à bout, les dysfonctionnements révélés par ce témoignage font basculer le dossier: l’enquête aurait été orientée par la Société générale, des scellés n’ont pas pu être exploités, la banque a donné des consignes à ses salariés pour noyer l’information dans la complexité, des enregistrements de conversations entre Jérôme Kerviel et ses supérieurs ont été tronqués…
« L’enquête a été fléchée par la Société générale »
Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de gauche (PG) et soutien de Jérôme Kerviel, accueille positivement ces nouveaux éléments :
« C’est un témoignage majeur qui confirme que nous avions raison de nous engager en défense de Jérôme Kerviel. Dans cette affaire, il y avait beaucoup de zones d’ombre, et il n’était pas possible d’imaginer que sa hiérarchie ignore son comportement. Le témoignage de cette fonctionnaire de police, respectée par les magistrats, montre que l’enquête a été fléchée par la Société générale. Ça doit amener à une révision du procès. »
Parmi les soutiens de Jérôme Kerviel, l’ex-candidate écologiste à la présidentielle et ancienne juge d’instruction Eva Joly s’est également prononcée pour la révision du procès sur Twitter :
Les éléments nouveaux transforment l’affaire #Kerviel en affaire Société Générale. Le procès doit être révisé #JusticeEnMarche @mediapart
— Eva Joly (@EvaJoly) 18 Mai 2015
Edwy Plenel, directeur de Mediapart, en fait de même dans son édito.
La Société générale a pour sa part rappelé au Monde que le trader « avait lui-même déclaré aux policiers qui l’interrogeaient en janvier 2008 qu’il avait agi seul et à l’insu de sa hiérarchie. Il avait aussi renouvelé ses aveux devant les deux juges d’instruction, Mme Françoise Desset, doyen des juges d’instruction, et M. Renaud Van Ruymbeke, en présence de ses avocats ».
« Un dossier qui nous concerne tous »
Les dysfonctionnements révélés par le témoignage de Nathalie Le Roy sont cependant plus largement révélateurs des difficultés à faire face au monde de la finance, selon le responsable du PG Alexis Corbière :
« Par incidence, on s’aperçoit que face au monde de la finance, la police elle-même n’a pas les moyens de travailler. La délinquance en col blanc est peu condamnée. Le cas Kerviel est l’occasion de dire que nous voulons récupérer le contrôle sur les banques. C’est un dossier qui nous concerne tous car la Société générale a bénéficié de 1,7 milliard de déduction fiscale suite à l’affaire Kerviel. »
Contacté, David Koubbi, l’avocat de M. Kerviel, n’a pas répondu à nos sollicitations.
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