Poursuivi pour violation du secret professionnel, Olivier Thérondel sera jugé ce vendredi 21 mars. La direction du service anti-blanchiment lui reproche d’avoir divulgué sur son blog des informations internes sur l’affaire Cahuzac.
Sweat à capuche, bonnet, Olivier Thérondel n’a pas vraiment le look qu’on prêterait à un agent de Tracfin. Pourtant, cet homme de 41 ans a passé une dizaine d’années dans la cellule anti-blanchiment de Bercy avant d’en être soudainement mis à pied, le 5 septembre 2013.
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S’il n’y travaille plus, c’est parce qu’il a voulu dénoncer ce qu’il considère comme une bienveillance de Tracfin envers Jérôme Cahuzac, son ancien ministre de tutelle. Le 5 avril 2013, trois jours après que le ministre démissionnaire a avoué sur son site avoir détenu un compte à l’étranger, Tracfin reçoit une déclaration de soupçon d’une banque Française qui indique qu’un virement de Singapour vers le compte français de Jérôme Cahuzac se prépare. L’ancien ministre cherche à faire rapatrier 685 000 euros en plusieurs virements. Chaque semaine, Olivier Thérondel reçoit des centaines de déclarations de ce type. Son travail : vérifier les informations rédigées par les banques, les enrichir, s’assurer qu’il n’y ait pas de doublons et les intégrer au système interne pour qu’elles soient ensuite traitées par d’autres services de Tracfin. Pourtant, ce 5 avril, il ne pourra pas aller au bout de sa tâche : le divisionnaire du service donne l’ordre de ne plus traiter le dossier Cahuzac. Le lendemain, en tentant à nouveau d’accéder à la fiche informatique, il s’aperçoit que le dossier a été anonymisé. Depuis 2009, les fiches concernant des personnalités publiques peuvent en effet être chiffrées sur décision de la direction de Tracfin. Ce procédé permettrait d’éviter les fuites.
Pourtant, rendre illisible un tel dossier, à la une des journaux depuis plusieurs mois, n’a aucun sens pour Olivier Thérondel. Pire, il cache forcément quelque chose de louche.
« C’était ridicule, Jérôme Cahuzac avait déjà annoncé qu’il rapatrierait son argent en France pour le mettre à la disposition de la justice. Tracfin n’en informe les juges qu’au bout de plusieurs semaines, ça lui laisse le temps de négocier des conditions au niveau de son contrôle judiciaire par exemple. »
C’est « pour servir la République » qu’Olivier Thérondel publie, le 22 avril 2013, sur un blog Mediapart, les révélations sur ce qu’il qualifie de « black-out sur l’affaire Cahuzac ». Si les révélations n’intéressent pas la presse, elles sont très vite repérées à Tracfin, qui surveille de près la moindre fuite.
« S’ils violent le secret, ils seront virés du jour au lendemain »
Jean-Baptiste Carpentier, directeur de Tracfin depuis 2008, dépose aussitôt plainte pour violation du secret professionnel. Il veut connaître l’origine de ces fuites. Pour lui, ces révélations n’ont aucun sens et décrédibilisent inutilement les services de l’Etat. « Pour Tracfin, analyser une information que la justice connaît déjà et sur laquelle elle enquête largement, ce n’est pas forcément intéressant et ça peut même causer des difficultés au moment de sa transmission. La justice n’a pas besoin de nous, elle connait parfaitement les comptes de M.Cahuzac à partir du moment où il est allé voir le juge Van Ruymbeke. D’une, elle connait ces choses mais, en plus, et c’est un cas assez rare, l’intéressé l’a lui-même annoncé par voie de presse. Il n’y a clairement pas de sujet. »
Pour autant, il n’est pas décidé à passer l’éponge, de ce cas il veut faire un exemple. « La première chose que je dis à mes agents quand ils arrivent, c’est que si je les prends en violation du secret, ils seront virés du jour au lendemain. »
Une enquête préliminaire est rapidement ouverte et, le 13 août, Mediapart se voit obligé de livrer les informations du blogueur à la police.
Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart explique :
« Quand on décide d’être un blogueur, juridiquement, on ne peut pas jouir des mêmes protections qu’une source journalistique. Malgré ça, nous avons donné le strict minimum aux autorités policières. On leur a uniquement transmis l’adresse mail du blogueur et son adresse IP. »
« J’aurais dû passer par un journaliste »
Le 4 septembre, Olivier Thérondel est convoqué à la police judiciaire, il assume ses actes, considérant qu’il n’a pas violé le secret professionnel mais informé justement sur des pratiques illégales au sein de Tracfin. Le lendemain, en se rendant à son bureau, à Montreuil, l’entrée du bâtiment lui est refusée, il doit rendre son badge, il a perdu son habilitation « secret défense ». Aujourd’hui, si c’était à refaire, il ne s’y prendrait plus de la même façon. « Le truc du blog c’est une connerie. J’aurais dû passer par un journaliste, ça m’aurait évité beaucoup de problèmes. »
Mis à pied, il sera réaffecté un mois plus tard à son service d’origine, les Douanes. Mais aujourd’hui, son avenir est un peu en suspens. Il risque un an de prison et 15 000 euros d’amende. Son avocate, Nathalie Roze, prévient : « dès le départ, on s’est mis d’accord pour prendre tous les recours possibles. Dans aucun cas on ne pourra se satisfaire d’une condamnation, même symbolique. » L’avocat William Bourdon, qui avait défendu le lanceur d’alerte Philippe Pichon, a rejoint l’équipe de défense à titre gracieux, il a même convaincu Edwy Plenel de venir témoigner en sa faveur. Une condamnation lui ferait perdre son emploi actuel, les Douanes exigeant de ses employés d’avoir un casier judiciaire vierge.
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