Le procureur a requis, hier, six ans de prison ferme contre le physicien accusé d’avoir préparé des actes terroristes. La défense a plaidé l’acquittement. Avant cela, ont été évoquées la notion de « djihad médiatique » prônée par Al-Qaïda, les incohérences des méthodes de la DCRI et l’ombre de l’affaire Merah sur le procès.
Ne pas faire entrer la politique dans l’enceinte de ce procès. Le procureur Guillaume Portenseigne s’y est engagé dès le début de son réquisitoire. « Ce serait facile, mais je vais mettre de côté le dossier Merah. Je n’exploiterai pas cette peur. » En guise de réponse, Patrick Baudouin, avocat d’Adlène Hicheur, entame sa plaidoirie en ironisant.
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« Chacun sait qu’en matière d’antiterrorisme, ce n’est jamais politique. D’ailleurs, le jour même de l’arrestation d’Adlène Hicheur, Brice Hortefeux, comme par hasard en déplacement près de Vienne, déclare de façon tout à fait intempestive que la DCRI vient de montrer une nouvelle fois ses qualités exceptionnelles sur un terroriste qui s’apprêtait à commettre un attentat. Ca créé d’emblée un climat. »
Hier, la seconde et dernière journée d’audience du procès d’Adlène Hicheur, physicien franco-algérien du Centre européen de recherche nucléaire (CERN) de Genève, s’est étendue jusqu’à onze heure du soir. L’enjeu : déterminer s’il y a eu, oui ou non, « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes« . La moiteur de la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris a couvé un réquisitoire envolé et une plaidoirie calme. Deux démonstrations à l’image du physicien de 35 ans, logiques et brillantes.
Profil Dracula
Toujours dans sa veste beige, Adlène Hicheur adresse ses premières paroles à la présidente Jacqueline Rebeyrotte. « J’ai apprécié hier que vous me laissiez voir ma famille, il y a des gens que je n’avais pas vu depuis deux ans et demi. » Des mots qui toucheront juste : dans quelques heures, ses proches pourront une nouvelle fois venir l’embrasser.
Quand il évoque l’enquête, le chercheur s’approche du micro et parle fort pour dénoncer « un exemple typique de la dégueulasserie de haut niveau. »
« L’histoire des pseudos où je suis présenté presque comme un psychopathe schizophrène, alors qu’ils ont avant tout été créés pour intervenir sur des forums. (Dans les garde à vue), on voit des gens malmenés qui disent tout et son contraire. Tous ceci pour dresser un profil Dracula : le jour, je suis un gentil garçon et la nuit, sur les forums, il y a des dents qui poussent. Ce sont des méthodes à dénoncer, ça m’a pris dans les tripes. Les gars là (DCRI), ils sont allés loin. On n’en est plus à juger des faits mais ma personne. »
Observant, comme tout au long du procès, une présidente imprécise et souhaitant davantage passer au point suivant qu’aller à la confrontation, le procureur intervient.
« Vous me permettez de poser une question. Derrière le poids des mots qui va faire le miel des journalistes ici présents (quelques confrères se regardent le sourire en coin). Relisez votre message ! Etes vous d’accord avec le message qui dit que vous légitimez le djihad armé ? C’est une réponse binaire : oui ou non ? »
L’index posé sur le menton, Adlène Hicheur sourit. Une nouvelle fois, il argue « qu’être de bonne foi » ne peut justement appeler une réponse binaire. Il soumet maladroitement l’idée qu’il a pu appeler au djihad armé « peut être pour réconforter quelqu’un qui venait de perdre son emploi« . Puis reprend du recul. « Je dénonce cette méthode de ponction à charge. Je ne veux pas me laisser piéger sur un seul message datant de sept ans« . Il se lance alors dans une démonstration toute scientifique. Il énumère les 89 messages privés archivés entre 2004 et 2008, c’est-à-dire une moyenne de 20 par an, soit deux par mois avec des interlocuteurs différents : « Ca montre une activité débordante ça ?« .
Tous les quarts d’heure, Halim Hicheur, l’un des frères d’Adlène, gère le turn-over des places dans le public « pour les gars du quartier« , précise-t-il à un gendarme. Deux types de l’affaire Tarnac participent aussi au jeu de la chaise musicale. Les soutiens du physicien sont venus trop nombreux (une trentaine), la moitié gauche des bancs s’avère trop petite. Halim Hicheur tente même de négocier des places côté droit, avec les journalistes. Le gendarme refuse toute l’après-midi. L’heure aidant, dans la soirée, il laissera les deux publics se mélanger.
Six ans de prison ferme requis
Sonnerie du retour de la pause, tout le monde se lève pour l’entrée des juges. « C’est un peu théâtral tout ça« , glisse un type de Tarnac à son voisin. C’est l’heure du réquisitoire. L’agitation qui gagne certains confrères dans leur box entraîne une douce pensée pour le Tigre du mois et l’entretien fleuve mené par Raphaël Meltz avec l’auteur du livre Tarnac, magasin général. David Dufresne y glisse :
« Les chroniqueurs judiciaires, c’est une petite bande qui finit toujours au resto, il y a des paris : « Il est coupable, il va prendre vingt ans »… »
Une journaliste du box se tourne. « Alors ? Vu comment le procureur a claqué la porte qui dit dix? » Très concernée, une consoeur munie d’un Nagra « Europe1 » s’enquiert d’un : « Moi je dis cinq« .
Guillaume Portenseigne se passe la main gauche dans les cheveux et tonne: « Adlène Hicheur n’est pas un martyre de la lutte antiterroriste« . Et le procureur d’enchainer par une autre punchline: « la défense n’a pas le monopole de la sincérité« . Pour le procureur, pour entendre la « totale duplicité d’Adlène Hicheur« , il faut se défaire de ses préjugés.
« Le statut social n’empêche pas de tomber dans le terrorisme. Les terroristes du 11-Septembre étaient de bon voisins, de bon collègues, diplômés… »
Second point, on peut « comme dans le cas de la pédopornographie sur Internet » être « un terroriste en puissance » sans quitter la chaise de son domicile. Guillaume Portenseigne souhaite introduire la notion de « djihad médiatique« . Il cite Ayman Al Zawahiri, actuel numéro 1 supposé d’Al-Qaïda, qui a théorisé ce principe: la moitié des affrontements se dérouleraient désormais « sur le champs de bataille médiatique« .
Relisant les mails et documents évoqués hier, il s’exclame par quatre fois : « Si les mots ont un sens madame la présidente« . Pour lui, Adlène Hicheur serait responsable d’avoir été l’un des principaux relais de cette « cause mortifère« , « un conseiller technique en attentat« . Invoquant l’article 421-2-1 du code pénal, il requiert six ans de prison ferme.
« Opération de marketing sécuritaire »
Une courte pause et maitre Patrick Baudouin s’avance. Sans effets de robe, sur un ton quasi monocorde, l’avocat va plaider comme un joueur d’échecs. Il reprend minutieusement chaque étape de l’enquête. Il regrette que Marc Trévidic, juge d’instruction antiterroriste, n’ait pas été saisi du dossier. Puis, les policiers en prennent pour leur grade.
« La DCRI va d’emblée faire d’Adlène Hicheur une sorte de trophée. Une belle prise que ce « physicien nucléaire », oubliant de dire au passage qu’il travaille dans une recherche purement intellectuelle. L’opération de marketing sécuritaire commence. »
Patrick Baudouin rappelle les huit certificats médicaux rédigés durant les 96 heures de garde à vue. Adlène Hicheur termine l’interrogatoire allongé, « grabataire », insiste l’avocat. Il énumère les écoutes, les fadettes, les épluchages de comptes qui n’ont permis de trouver aucun personnage douteux dans l’entourage du chercheur. « Tout ce temps passé sur Hicheur… Je me demande si on aurait pas mieux fait de s’intéresser à d’autres« .
Il dénonce également les inscriptions des enquêteurs sur l’ordonnance de renvoi « semant la confusion« . Exemple des fichiers dits « cryptés » quand il ne sont que « compressés« . Puis viennent les mails « inquiétants » et « critiquables« . « Mais n’en déplaise à l’oreille du parquet : ces mots restent virtuels. »
Il rappelle qu’Adlène Hicheur propose à son interlocuteur « soleil36 » – qui serait selon la DCRI Mustapha Debchi, l’un des responsable d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) – de « travailler à accélérer la récession économique« . « En voilà un projet d’une précision considérable. Il n’y a pas d’opération, il y a un flop« . Joignant ses mains comme pour amorcer une prière, Patrick Baudouin termine sa plaidoirie en appelant les juges à ne pas oublier que leur décision sera « examinée attentivement ».
« Des propos excessifs sont-ils de nature à embastiller quelqu’un ? Si vous rentrez dans cette logique, je ne suis pas sur que les prisons françaises soient aptes à contenir tout le monde. »
Avec le collègue du Monde, nous demandons au procureur s’il peut nous re-chuchoter la phrase exacte qui concluait son réquisitoire. »
Six ans d’emprisonnement avec maintien en détention, nous dit-il. Avec la remise de peine, souvent la mi peine, il devrait sortir dans les semaines qui viennent… Enfin s’il est condamné. »
La décision a été mise en délibéré jusqu’au 4 mai à 13h30.
Geoffrey Le Guilcher
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