Avocat le jour, Adam Steinbaugh se transforme la nuit en enquêteur du revenge porn. Rencontre à Los Angeles : il nous explique son combat contre ceux qui exploitent les images dénudées d’ex-petites amies.
C’est une règle quasi immuable : chaque affaire criminelle a ses personnages de bons et de méchants, ses coupables et ses justiciers. Dans le cas du revenge porn, ce nouveau phénomène initié aux Etats-Unis, qui consiste à se venger de son ex-petit(e) ami(e) en publiant sur le web des photos ou des vidéos privées à caractère sexuel, le bad guy a rapidement été désigné : il s’appelle Hunter Moore, il a 28 ans, et c’est « l’homme le plus détesté d’internet ». Après une rupture douloureuse, ce natif de Sacramento au look de trasher lance en 2010 le premier site officiel de revenge porn, Is Anyone Up? (isanyoneup.com), sur lequel il poste à intervalles réguliers des photos intimes de son ex et invite les internautes à faire de même.
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Devenu hyperfréquenté en quelques mois, le site a ouvert la porte à d’autres initiatives du genre, attiré l’attention de parents de victimes et, immanquablement, de la justice américaine : en janvier 2014, alerté par l’activiste et mère de victime Charlotte Laws, le FBI arrête Hunter Moore pour conspiration, accès non autorisé à un ordinateur protégé, et usurpation d’identité. En attendant son procès, en septembre, il s’est retiré du business mais reste dans les médias l’incarnation la plus symbolique et malveillante du revenge porn.
Qui pouvait alors lui répondre ? Qui pouvait occuper le rôle de justicier positif du revenge porn ? Pour le trouver, il faut se rendre à Downtown Los Angeles, dans le quartier financier de Spring Street. C’est ici qu’Adam Steinbaughnous a donné rendez-vous. Et c’est ici que cet avocat et blogueur de 31 ans aux airs de surfeur californien mène depuis plus de deux ans une lutte acharnée contre le revenge porn qui a vite attiré l’attention des médias américains.
« Sherlock Holmes d’internet »
Qualifié par le magazine Forbes de « Sherlock Holmes d’internet » et de « chasseur de revenge porn », ce jeune homme hyperdéterminé, passé sur les bancs de l’université de droit de Loyola, s’est lancé dans une traque informatique contre les sites de revenge porn et leurs propriétaires mystérieux. Il n’agit pas pour des raisons morales, ni par vengeance, n’ayant jamais été lui-même une victime de cette nouvelle mode, mais simplement en défense d’un concept auquel ce geek éduqué avec internet croit plus que tout : la protection de la vie privée et du droit à l’image.
« Je n’ai aucun souci avec le fait que des gens se prennent en photos à poil ou dans des positions sexuelles et les diffusent sur le web, ils font ce qu’ils veulent, nous assure-t-il en préambule. Ce qui me gêne, c’est lorsque ces photos sont publiées sans le consentement des personnes concernées, et que des mecs, puisqu’il s’agit en grande majorité de mecs, font du business avec ces contenus volés. »
Alors, Adam Steinbaugh part en quête de ces entrepreneurs du revenge porn, dévoile leur identité sur son blog, et ne s’arrête qu’à partir du moment où la justice s’intéresse à leur cas. Depuis deux ans, il a consacré des centaines d’heures à cette activité en parallèle à son travail d’avocat, et il ne compte plus les nuits blanches ou les week-ends passés à poursuivre une piste qu’il juge suspecte.
Sur son tableau de chasse, il a ainsi épinglé quelques-unes des plus grosses célébrités du revenge porn : Hunter Taylor, un étudiant texan et acteur porno connu pour avoir lancé le site Texxxan. com, qui diffusait des photos et vidéos de nombreuses femmes nues à leur insu ; Casey Meyering, le batteur d’un groupe de rock de l’Oklahoma, poursuivi par la justice pour son site WinByState.com ; et surtout Kevin Bollaert, un jeune habitant de San Diego qui fut à la tête d’un business très lucratif.
Rendre public le nom des créateurs de sites de revenge porn
Fondateur du site Ugotposted.com, sur lequel 10 000 photos de filles dénudées ont été diffusées entre décembre 2012 et septembre 2013, ce dernier avait lancé en parallèle un autre site, Changemyreputation.com, où les victimes de revenge porn pouvaient obtenir le retrait de leurs photos compromettantes en échange de 250 à 350 dollars. Il aurait gagné près de 10 000 dollars par mois avant d’être arrêté pour « vol d’identité » et « extorsion ». Adam Steinbaugh fut le premier à révéler la nature de la fraude et l’identité de son auteur sur son blog.
« On retrouve ce genre d’arnaque dans la plupart des affaires de revenge porn, précise-t-il. La personne qui crée un site pour diffuser des photos volées va presque toujours ouvrir un second site, où il proposera aux victimes de supprimer ces contenus en échange d’argent. Ils se présentent souvent comme des avocats ou des spécialistes de l’e-réputation, et ils peuvent être très convaincants. »
Toute la stratégie d’Adam Steinbaugh consiste alors à démontrer les liens entre ces différents sites, et surtout à rendre public le nom de leur propriétaire. « Le meilleur moyen de lutter contre ce phénomène, c’est de le sortir de son anonymat, dit-il. Les créateurs de ces sites ont généralement très peur que leurs identités soient dévoilées. Ils tiennent au secret, ce qui est assez ironique pour des mecs qui font du fric avec le revenge porn. »
« J’ai communiqué mes informations à plusieurs juges »
Pour arriver à ses fins, Adam Steinbaugh, qui a travaillé pendant un an au service de la sécurité informatique de la compagnie Myspace, procède toujours de la même manière : il traque les adresses IP des sites suspectés, fouille dans les registres publics des noms de domaines, déniche les contacts e-mails des potentiels propriétaires et se lance dans un interrogatoire à distance. Il lui arrive aussi de contacter directement les victimes de revenge porn ou leur entourage, et enquête parfois en collaboration avec la justice :
« J’ai été contacté par plusieurs juges dans divers Etats, ou des avocats de victimes à qui je communiquais mes informations. Mais la plupart du temps, je travaille à mon compte. »
Bien sûr, Adam Steinbaugh n’est ni le premier, ni le seul à lutter activement contre le fléau du revenge porn aux Etats-Unis. Depuis la campagne très médiatique menée au début de l’année 2012 part la militante Charlotte Laws, qui a conduit la justice à s’intéresser au cas de Hunter Moore, les associations et les initiatives individuelles se sont multipliées pour empêcher la propagation de ces pratiques sur internet, forçant les autorités à réagir.
En mai 2014, l’Arizona devenait ainsi le dixième Etat américain à adopter une loi punissant la publication sur internet de photos ou de vidéos privées à caractère sexuel. Mais la réaction politique est encore trop lente selon les associations de victimes, qui regrettent que les condamnations ne visent le plus souvent que les diffuseurs de contenus (et non les administrateurs des sites dédiés au revenge porn), et se heurtent dans certains cas au premier amendement de la Constitution américaine, préservant la liberté d’expression.
« Tant qu’il y aura de l’argent à se faire, ces pratiques resteront attractives »
Il y aurait d’ailleurs eu une augmentation du nombre de sites de revenge porn aux Etats-Unis en 2013 selon le magazine The Economist, et la tendance ne semble pas prête à s’inverser. « Tant qu’il y aura de l’argent à se faire, et que certains bénéficieront d’une immunité devant la loi, ces pratiques resteront attractives, note Adam Steinbaugh, qui voit dans le revenge porn l’expression des « pires dérives des nouvelles technologies ».
A son échelle, il continuera en tout cas à lutter contre ce phénomène et ceux à qui il profite. Il s’est d’ailleurs lancé dans la traque d’un nouveau site : myex.com, une immense plateforme de revenge porn qui diffuse près de 6 000 photos et vidéos privées de femmes et d’hommes, ainsi que leur nom complet et leur ville. Quand on lui demande s’il se sent un peu justicier, s’il se voit comme un superhéros du revenge porn, Adam Steinbaugh répond qu’il n’est « qu’un passionné de droit », qu’il ne fait que « mettre des informations dissimulées à la disposition du public et de la justice ». Classe.
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