En 1971, huit activistes américains révoltés par la violence policière lors de manifestations pacifistes cambriolent les bureaux du FBI et balancent les infos récoltées à la presse. Un coup décisif contre Edgar J. Hoover, le sinistre patron de l’agence fédérale.
Le 8 mars 1971, pour les fans de boxe, c’est la date du “combat du siècle”. Au Madison Square Garden de New York, Joe Frazier expédie Mohamed Ali au tapis d’un redoutable crochet du gauche lors du quinzième round. Mais pour les défenseurs des droits civiques, cette date est celle d’un cambriolage qui va porter un coup décisif aux pratiques du FBI de J. Edgar Hoover.
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Ce jour-là, huit activistes s’introduisent dans un bureau de l’agence fédérale, dans la banlieue de Philadelphie. L’objectif ? Voler des documents confidentiels puis les envoyer à la presse afin de prouver que le FBI mène des opérations illégales contre les mouvements pacifistes qui s’opposent à la guerre au Vietnam. A l’époque, ces révélations vont déclencher un scandale comparable à celui d’Edward Snowden avec la NSA aujourd’hui.
Rompre le silence
Durant des années, le FBI a tout fait pour découvrir l’identité des fameux cambrioleurs mais n’y est jamais parvenu comme le raconte le New York Times. Alors qu’ils ne peuvent plus être poursuivis pour ce qu’ils ont réalisé cette nuit-là, ces inconnus ont décidé de rompre le silence. Dans un livre qui vient de sortir, Betty Medsger, ancienne journaliste au Washington Post, a persuadé cinq d’entre eux de raconter leur folle expédition.
En 1970, de grandes manifestations pacifistes sont organisées après l’annonce par le président Richard Nixon de l’invasion du Cambodge par les Etats-Unis le 30 avril. Le contexte est extrêmement tendu. Le 4 mai, la Garde nationale de l’Ohio ouvre le feu sur des étudiants de l’université d’Etat de Kent, qui manifestaient pacifiquement. Quatre d’entre eux sont tués et neuf blessés, dont un paralysé à vie.
Au nom de l’idéal américain
Révolté par la répression policière et l’échec des manifs, William C. Davidon, prof de physique à l’université de Haverford, décide de porter un coup fatal au FBI. Au cours de l’été 70, il constitue une petite équipe de militants activistes déterminés. “Quand vous parliez aux gens des pratiques du FBI, personne ne voulait vous croire, a récemment confié au New York Times Keith Forsyth, l’un des protagonistes. Il n’y avait qu’une seule façon de les convaincre, c’était de leur mettre les documents dans les mains.”
“Les motivations de ces cambrioleurs ressemblent beaucoup à celle d’Edward Snowden, confirme Thomas Snégaroff, spécialiste des Etats-Unis à Sciences-Po Paris. C’est au nom de l’idéal américain et de ses valeurs qu’ils ont décidé de contrevenir à la loi.”
Le plan initial est alors de cambrioler les locaux principaux du FBI à Philadelphie. Mais les lieux sont très protégés. Le groupe décide donc de se rabattre sur un bureau périphérique sans savoir véritablement ce qu’ils vont y trouver. Durant des mois, ils surveillent le bâtiment, nuit et jour. Ils notent les allers et venues des agents, leurs habitudes. Le jour J, tout se déroule sans accroc. Le groupe pénètre dans l’enceinte grâce à une porte secondaire qu’ils forcent avec un pied de biche.
A l’intérieur, Davidon et ses complices raflent tous les documents et les mettent dans des sacoches avant de s’engouffrer dans des voitures garées à proximité. Après l’opération, ils se retrouvent dans une ferme pour faire le tri : à leur grand soulagement, les preuves de l’espionnage réalisées par le FBI sur des groupes pacifistes sont accablantes. Ils s’empressent d’envoyer les éléments aux journaux, dont le Washington Post où Betty Medsger va être la première à les utiliser.
L’administration Nixon fait alors pression sur la direction du journal pour empêcher leur diffusion. En vain. Le document le plus compromettant n’est pas révélé immédiatement. Il s’agit d’un bordereau siglé Cointel Pro. Au début, les journalistes ne comprennent pas sa signification. Bien des années plus tard, un reporter de NBC News éclaircira le mystère. Ce sigle énigmatique signifie Counter Intelligence Programme.
Menaces contre Luther King
Depuis 1956, le FBI a mis sur pied un coûteux programme de contre-espionnage pour surveiller les leaders des droits civiques et les organisations politiques considérés comme dissidentes (des Black Panthers au Ku Klux Klan en passant par les activistes non-violents des droits civiques). Parmi la série de révélations, on découvre que des agents du FBI ont envoyé une lettre anonyme à Martin Luther King, menaçant d’exposer ses aventures extraconjugales s’il ne se suicidait pas.
“Ce scandale va empêcher la généralisation de Cointel Pro réclamée par Richard Nixon, explique Fabrizio Calvi, auteur de FBI – L’histoire du bureau par ses agents (Fayard). En 1975, la commission sénatoriale Church va s’appuyer sur ces informations pour changer certaines pratiques du FBI. A partir de cette date, l’agence fédérale arrêtera enfin de se croire tout permis.”
Après ce fameux cambriolage, le groupe des huit se disperse. J. Edgar Hoover mobilisera pourtant deux cents agents pour les retrouver. « Avec la révélation des protagonistes de cette opération, c’est l’un des derniers grands mystères des Etats-Unis des années 60 qui se dissipe, estime Fabrizio Calvi. Après, il ne reste plus que l’assassinat de Kennedy… »
à lire The Burglary – The Discovery of J. Edgar Hoover’s Secret FBI de Betty Medsger (Knopf), 608 pages, 23 €
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