L’association de lutte contre le sida a fait de cette maladie une question politique. Alors que la Gay Pride a lieu samedi 27 juin à Paris, elle s’inquiète de la remise en cause des acquis.
“Silence = mort”. C’est le 26 juin 1989, jour de Gay Pride parisienne, que ce slogan emblématique de la lutte contre le sida est apparu en France pour la première fois. Une quinzaine de “pédés séropos en colère” s’allongent par terre pour représenter les victimes du sida et dénoncer l’inaction publique. Tous portent le fameux T-shirt noir Act Up frappé du slogan dans un triangle rose – référence à la déportation homosexuelle par les nazis.
La décennie 80 qui s’achève alors a été marquée à ses débuts par une libération et une malédiction : François Mitterrand dépénalise l’homosexualité pendant que les premiers malades d’une épidémie qui fera 25 millions de mort dans le monde sont hospitalisés aux Etats-Unis. Les gays seront frappés en premier, ce qui vaudra son surnom homophobe à la maladie : le “cancer gay”. Trente-cinq mille personnes mourront en France, principalement dans les années 80 et 90, avant la mise en place des politiques de prévention publiques et l’arrivée des traitements.
A la différence de bien d’autres, Act Up est une association militante activiste qui fait du sida une question politique. Elle prône l’empowerment : la prise de pouvoir par les malades sur tout ce qui concerne leur santé. En créant la figure du malade-militant, l’association casse la spirale de la honte et fait de la visibilité une arme politique, parallèlement à la construction de l’identité gay. Act Up réussit à politiser la fête, à lier clubbing et capote. “Radical et rigolo en même temps”, raconte Didier Lestrade, un des trois fondateurs, avant d’ajouter : “C’était une machine conçue pour plaire aux médias, afin de faire pression sur les politiques.” Le lobbying politique innovant d’Act Up a largement influé sur la politique de santé publique et de lutte contre les discriminations : reconnaissance de l’infection à VIH comme affection de longue durée, prise en charge à 100%, prise en compte des handicaps liés au VIH… Certains de leurs “zaps” (actions -éclairs) sont entrés dans l’histoire, telle la pose d’une capote rose géante sur l’obélisque à Paris. Les méthodes d’Act Up ont inspiré toute la nouvelle génération d’activisme militant.
En vingt ans d’épidémie, les visages du sida et de la prévention ont changé. La nouvelle génération est loin du “silence = mort”. L’amélioration des traitements depuis la mise sur le marché des premières trithérapies en 1996 a fait chuter la mortalité. Aux Etats-Unis, le nombre de décès est passé de 49 000 en 1995 à 9 000 en 2006. La maladie est moins visible, moins “spectaculaire”, donc moins médiatique. La lutte contre le sida ne fait plus recette chez les politiques. Pourtant, aujourd’hui, en France, le nombre de séropositifs est estimé à 200 000. Les nouvelles contaminations sont en légère baisse sauf chez les gays, qui en représentent 38 % (In Vs, 2007).
C’est dans ce contexte que le Conseil national du sida (CNS) – groupe d’experts – a rendu en avril un avis suivi de recommandation sur “l’intérêt du traitement comme outil novateur de la lutte contre l’épidémie d’infections à VIH”, qui stipule : “la mise sous traitement des personnes infectées réduit fortement le risque que ces personnes transmettent le virus par voie sexuelle”. Pour le CNS, c’est “un changement de paradigme”. Son mot d’ordre : “partage de l’information et du savoir”, une façon de prendre de court une association comme Act Up, critiquée pour ne pas délivrer un message clair sur la question. Ce “changement de paradigme” s’oppose au “tout capote”, ligne historique d’Act Up. “Si les préservatifs étaient utilisés à 100%, ça se saurait. Il faut passer à autre chose : améliorer le dépistage et le traitement. Ce n’est pas normal que 25 % des homos n’aient pas fait de dépistage”, explique le professeur Willy Rozenbaum, président du CNS. D’autant plus qu’un quart des nouvelles contaminations sont le fait de primo-infectés qui ignorent l’être. “Le CNS ne dit pas qu’il faut lâcher la capote. Le traitement est un outil de prévention supplémentaire”, précise Stéphane Vambre, coprésident d’Act Up. “Multiprévention” est le nouveau mot d’ordre.
Mais le cheval de Troie du CNS, qui fait suite à un avis d’experts suisses du 30 janvier 2008, pourrait avoir d’autres conséquences, alors que les nouveaux présidents d’Act Up-Paris s’inquiètent de la remise en cause des acquis nés de leur lutte par les projets de réforme du gouvernement – franchises, tarification à l’acte, prise en charge à 100 %, qualification de handicap. “La loi hôpital de Roselyne Bachelot est un vrai retour en arrière”, dénonce Stéphane Vambre. “Or la précarité engendre le sida et le sida engendre la précarité”, ajoute la coprésidente Safia Soltanie. Une personne séropositive sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté et 22% n’ont pas de logement.
Dans ce contexte, ils dénoncent la diminution des campagnes de prévention des pouvoirs publics et la baisse des subventions – 20 %, rien qu’en toxicomanie. Mais comment, dès lors, réclamer comme le fait aujourd’hui Act Up “une reconnaissance du VIH comme handicap à 80%” alors que nombre de médecins attestent qu’une personne atteinte du VIH qui suit son traitement a une espérance de vie presque équivalente à la moyenne, et que les nouveaux médicaments réduisent les effets secondaires ?
Act Up-Paris critique “la médicalisation de la prévention qui profiterait aux labos”. L’association craint surtout la dépolitisation de la lutte contre le sida avec la mise en place d’une politique de réduction des risques qui équivaudrait à la disparition d’une politique publique globale de prévention. Soit un retour du sida dans la sphère privée, qui renverrait le malade à sa responsabilité individuelle – porte ouverte à la pénalisation de la transmission, pour Act Up. Or, selon Willy Rozenbaum, alors que dire son VIH ou son sida est encore tabou aujourd’hui, le traitement permettrait de responsabiliser et déculpabiliser le malade. Mais pour l’association, cette vision “libérale” de la prévention serait naïve car biaisée par l’inégalité d’accès aux soins selon les populations touchées.