On a peu entendu les Etats-Unis dans la crise des réfugiés. Depuis le début de la guerre civile, le pays a accueilli seulement 1500 Syriens. Bien peu, au vu de la taille du pays, de son rôle au Moyen-Orient, et surtout de l’image qu’il a de lui-même.
« Donnez moi vos pauvres, vos exténués… Qui en rangs serrés aspirent à vivre libres, Le rebut de vos rivages surpeuplés« … La devise inscrite au pied de la statue de la liberté, c’est pas de la blague. C’est l’ADN des Etats-Unis, qui a accueilli des millions de migrants persécutés avant, pendant et après la Seconde Guerre Mondiale. Y compris certains dont l’Europe entend peu parler, comme les Hmongs d’Asie du Sud-Est . Le pays en est fier, et se pose en modèle universel dans ce domaine. Mais dans le cadre du conflit syrien, et surtout depuis la récente accélération de la fuite des populations du Moyen-Orient vers l’Europe, les Etats-Unis se tiennent à l’écart et ne collent pas à l’image qu’ils se font d’eux-mêmes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Les Etats-Unis ont accueilli entre 1300 et 1500 réfugiés syriens depuis le début de la guerre civile en Syrie – soit 0,03% du total, calcule CNN. Loin derrière, en nombre absolu comme relatif à la population du pays d’accueil, le Liban, la Turquie, la Jordanie, l’Allemagne ou les pays scandinaves.
L’isolement géographique y est certes pour beaucoup. L’océan Atlantique n’est pas la mer Egée. Mais il y a autre chose. La procédure de demande d’asile aux Etats-Unis pour un réfugié syrien est très dissuasive par sa longueur: entre un an et demi et deux ans. Pour une victime de persécutions coincée dans un camp turc ou jordanien, une éternité.
Depuis la diffusion, le 2 septembre, de la photo du bébé syrien échoué sur une plage turque, la pression monte du côté des Etats européens, des ONG, de l’opinion internationale. David Miliband, ancien ministre britannique aujourd’hui à la tête de l’ONG International Rescue Committee, demande le même jour aux Etats-Unis d’accueillir 65.000 réfugiés syriens l’année à venir, en distribuant cette baffe au passage :
« Les Etats-Unis sont historiquement les leaders mondiaux pour l’obligation morale d’accueil de réfugiés. […] En quatre ans de crise syrienne, ce n’est pas ce leadership qui a prévalu, mais l’inertie. »
Les candidats à la Maison Blanche ne se bousculent pas pour donner leur avis sur le problème. Ce lundi, le Guardian US a demandé aux 22 candidats à la présidentielle l’attitude que devrait avoir la pays avec les réfugiés syriens. Seul le démocrate Martin O’Malley, placé loin derrière Hillary Clinton et Bernie Sanders, a eu une réponse claire et favorable. Sanders, Jeb Bush et Marco Rubio (fils de réfugié cubain) n’ont pas répondu aux demandes du journal. Sur NBC, Hillary Clinton a donné une réponse pleine de compassion mais sans aucune directive :
« Le monde connaît son plus grand afflux de réfugiés depuis de nombreuses années, je crois, depuis la seconde guerre mondiale. J’espère que sous l’égide des Nations-Unies, avec l’appui du Conseil de Sécurité et je l’espère des Etats-Unis, si généreux dans le passé, nous allons les aider à trouver la sécurité dans d’autres pays ».
Le plus surprenant de toute la meute est resté Donald Trump : à la surprise générale, il s’est déclaré sur Fox News favorable à l’accueil de réfugiés syriens, alors qu’il diabolise les immigrants latinos depuis le début de sa campagne: « La réponse est peut-être oui, peut-être oui !.. C’est horrible, humainement, ce qu’on voit… Incroyable, ce qu’il se passe« . Constatant vite l’effet de ces propos plein de compassion sur sa base électorale, Trump s’est depuis rattrapé. Il a dit ce jeudi que « les U.S.A. ont d’abord leurs propres soucis à régler« et bougeront une fois que les autres pays comme la Chine, « qui ne fout rien« , ou les Etats du Golfe en auront fait autant.
10.000 Syriens l’an prochain
Que dit l’administration aux manettes ? L’annonce est tombée jeudi 10 septembre: elle s’engage à accueillir 10.000 réfugiés syriens pour l’année 2016.
White House @PressSec: @POTUS has directed team to make preparations to accept 10K #refugees from #Syria in FY16. http://t.co/eygoAbUAAT
— Department of State (@StateDept) 10 Septembre 2015
C’est raccord avec ce qui se serait murmuré la veille. Le secrétaire d’Etat John Kerry, lors d’une réunion à huis-clos avec les membres du Congrès, aurait dit ce mercredi qu’il voulait augmenter le nombre d’entrées de réfugiés aux Etats-Unis à 100.000 par an, selon plusieurs sources anonymes recoupées par le New York Times. Si ce chiffre de 100.000 se confirme, ce serait une augmentation de 30.000 réfugiés par rapport à 2015 : 10.000 Syriens, donc, et le reste réparti entre réfugiés d’autres pays en guerre, notamment l’Irak, l’Afghanistan et la corne de l’Afrique.
Il n’est pas encore clair si le Département d’Etat accueillera 10.000 Syriens sans sourciller ou s’il étudiera leur dossier pendant deux ans comme c’est le cas aujourd’hui. Le temps nécessaire pour juger si le demandeur d’asile est « un réfugié dans un état désespéré » et pas un extrémiste.
Avec une telle suspicion au sommet de l’Etat, il n’est pas étonnant que l’amalgame dans l’opinion publique entre « réfugié syrien » et « terroriste potentiel » soit également un gros problème. Il a été publiquement soulevé par une candidate à la Maison Blanche, la républicaine Cary Forina cette semaine sur CBS :
« Je pense que c’est triste, mais les Etats-Unis ne peuvent pas adoucir leurs critères d’entrée. Nous devons […] nous assurer que les terroristes ne viendront pas ici ».
Fiorina laisse la patate chaude aux Européens, qui, eux, « doivent faire face en terme d’aide humanitaire, et laisser ces réfugiés entrer dans leurs frontières« . Mais l’Europe est elle aussi confrontée au terrorisme… Perpétré par ses propres ressortissants dans presque tous les cas, remarque l’expert Mattia Toaldo sur les ondes de la National Public Radio :
« Si migration de terroristes il y a, c’est d’Europe vers la Syrie, pas l’inverse. Les Syriens fuient justement le terrorisme. Et si nous ne les prenons pas en charge, ce sera pain bénit pour les radicaux sur place, qui pourront dire que l’Occident se fiche de leurs problèmes ».
{"type":"Banniere-Basse"}