Peut-on vendre des fringues en masse et à des prix modestes, tout en ayant une image cool et pointue ? C’est l’exploit que réalise l’enseigne américaine J. Crew, qui a enfin annoncé hier la mise en place d’un service de livraison globale.
On a reçu le mail ce jeudi 17 novembre, à 14h46. Après des années d’attente, de frustration, voire d’agacement, J Crew, l’enseigne mass-market la plus cool du monde, a enfin annoncé la mise en place d’un service de livraison globale. Pour être livré en France, il faudrait simplement s’acquitter d’un frais de port de 11,95 euros. Ce qui est quand même beaucoup moins cher que de filer aux Etats Unis pour faire son shopping. Voici ce que nous écrivions sur J Crew le 8 février dernier, dans l’attente de l’arrivée de J Crew en Europe.
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Commençons par le commencement. Créé en 1947, transformé au milieu des années 80, J. Crew est un réseau de 320 magasins à travers les Etats-Unis, également très présent sur Internet. Une enseigne de mode mainstream, pour petits et grands, surfant sur les piliers du look américain, le « everyday wear » des cols blancs. Un concurrent direct pour Gap, Uniqlo, Cos ou H & M, mais à l’image très différente. J. Crew est excitant et, indépendamment de ses tarifs plus abordables, jouit d’une image que l’on pourrait rapprocher de celle de Ralph Lauren. Aux Etats-Unis, c’est même l’enseigne préférée de la creative class chère à Richard Florida.
Pour expliquer ce succès, il y a les circonstances. Depuis plusieurs saisons, aussi bien chez l’homme que chez la femme, la tendance lourde revient à piller les vestiaires de papa, voire de papy. On vous en a déjà parlé, de ces néoréacs jouant avec les codes du look preppy, workwear ou outdoor pour mieux prendre à contre-pied l’idéologie véhiculée par un marché abruti de tendances sans âme ni histoire. Cela tombe bien pour J. Crew, dont le style de toujours est un doux mélange de ces styles authentiques.
Mais il y a autre chose. Le crew J. Crew, mieux que tous les autres, sait renifler l’air du temps, humer l’humeur qui aura l’heur de plaire, proposant le bon produit pile poil au bon moment. Des exemples ? La chemise en chambray il y a plus d’un an, quand celle en denim s’essoufflait et, plus récemment, des New Balance parce que la tendance sportswear est de retour.
Si J. Crew est aussi précis, c’est parce que ses chefs designers ne sont pas, comme ailleurs, des rats de studio occupés à recopier les créations des maisons de prestige. Ici, les chefs designers ont une marge de manoeuvre. Employée depuis 1990, Jenna Lyons dirige la femme. Pour l’homme, c’est Frank Muytjens, formé à l’école Ralph Lauren, qui est en charge depuis 2004. Et sa cote est telle qu’il fut le premier styliste d’une marque grand public nominé – en 2010 – au titre de meilleur designer américain par GQ/CFDA, le Conseil américain des fashion designers, équivalent de notre Fédération du prêt-à-porter. Preuve qu’il est possible de conjuguer mode grand public et qualité.
Produit soigné, vendeurs formés…
Chez J. Crew, si le produit est important, le point de vente l’est tout autant. Ainsi en 2009, la marque décide de développer l’homme pour répondre à la stagnation du marché féminin et installe un magasin-vitrine dans un ancien « liquor store » au coeur de Tribeca à New York. La sélection est plus restreinte mais surtout plus qualitative. Le mobilier de l’ancien tenancier est conservé afin que la communication reste congruente. Les vendeurs sont super formés, super sapés, le service client est une politique avec laquelle on ne rigole pas, ici ce n’est pas Paris…
Chez J. Crew, le vêtement est pourvu d’un contexte autour duquel la marque peut raconter une histoire à ses clients fidèles. Pour valoriser ses produits, J. Crew accueille ainsi des pièces sélectionnées chez d’autres marques haut de gamme, institutions renaissantes comme Barbour ou Gloverall, ou labels plus confidentiels tels Warehouse ou Mister Freedom. On y retrouve même des magazines, ou des carnets de note. L’éditing est précis, tout semble savamment choisi, pièce par pièce, comme par la main d’un ami proche. De façon générale, le tour de force de J. Crew est là. Etre un énorme groupe avec le circuit de distribution correspondant, mais renvoyer l’image d’une échoppe vendant des produits rares.
Doucement mais sûrement, la marque étend son influence
Résultat des courses ? Un succès marketing doublé d’un succès commercial. Malgré une baisse des revenus lors du second semestre 2010, due à une mauvaise gestion des stocks femme, la marque ne s’est jamais aussi bien portée.
En 2010, deux sociétés d’investissement ont proposé près de 3 milliards de dollars pour racheter l’enseigne, soit la plus grosse offre publique d’achat de l’année pour une marque du secteur de l’habillement. En attendant, J. Crew étend doucement son influence. Par Internet, elle livre désormais au Japon et au Canada. Dans les semaines qui viennent, on pourra aussi commander depuis l’Angleterre. Puis ce sera l’Europe entière. Encore un peu de patience.
Herbert Nozick
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