La semaine dernière dans le JDD, Najat Vallaud-Belkcem, ministre des Droits des femmes, se prononçait pour l’abolition de la prostitution. Rencontre avec des « traditionnelles » du bois de Boulogne.
Minouche et Geneviève n’ont pas le coeur à discuter. Sept heures qu’elles font le pied de grue, et pas le moindre client à l’horizon. Les deux prostituées partagent un minibus pour travailler dans les allées du bois de Boulogne. Aujourd’hui, elles sont dépitées. « On parle tellement de nous en ce moment dans les médias que les clients ont pris peur, ils ne viennent plus. »
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La semaine dernière, dans une interview accordée au JDD, Najat Vallaud-Belkacem affirmait sa volonté de « voir la prostitution disparaître. » La ministre des Droits des femmes – et porte-parole du gouvernement – a notamment évoqué la résolution votée par le Parlement en 2011, qui prévoit de pénaliser les clients de la prostitution. « Le ministre de l’Intérieur Manuel Valls et moi-même ne resterons pas inactifs sur cette question. Sans aucun jugement moral, il s’agit de protéger l’immense majorité des prostituées, qui sont d’abord des victimes de violences de la part des réseaux, des proxénètes« , a-t-elle déclaré.
Après le vote en 2003 de la loi interdisant le racolage passif, puis l’entrée en vigueur, le 1er mars dernier, d’un arrêté préfectoral interdisant le stationnement des camionnettes sur tout le territoire du bois de Boulogne, cette prise de position abolitionniste énerve passablement les traditionnelles.
« Nous sommes des proies faciles. Tous les mois il y a un nouveau truc, les politiques ne savent plus quoi inventer pour nous emmerder ! », s’indigne Rachel, la quarantaine, en ajustant son décolleté corail plongeant.
Des formes généreuses, les collants filés, Rachel ne manque pas une seule manifestation et découpe tous les articles relatifs à la prostitution dans les journaux. « Nous payons les pots cassés, alors que le seul vrai problème, ce sont les réseaux. Je ne veux pas perdre ma place. Ce qui nous arrive est injuste alors j’ai décidé de résister. »
« Nous sommes des assistantes sociales »
Si Rachel, Minouche, Geneviève, Kim et Marie-Claire sont toujours là, au volant de leur camionnette ou à l’arrière avec un client, c’est qu’elles sont convaincues de servir à quelque chose. « Nous sommes vraiment utiles. Nous agissons comme des soupapes de sécurité. Là où il n’y a pas de prostituées, il y a beaucoup plus de viols et d’agressions« , assure Marie-Claire, 64 ans, les cheveux d’un blond passé et le soutien-gorge bien visible.
Elle reprend : « Comment pensez-vous que les veufs, les personnes âgées, les handicapés, les célibataires timides et les beaux gosses débordés assouvissent leurs besoins ? Et ceux dont les femmes sont fatiguées ou fâchées ? Et ceux qui ont un fantasme irréalisable avec leur conjointe ? » Vingt ans de moins, la taille mannequin moulée dans une robe d’un rouge éclatant, et les yeux très maquillés, Kim l’interrompt. « Nous sommes des assistantes sociales. Certains clients viennent juste pour discuter, ils nous paient pour qu’on leur donne des conseils de cœur. »
Une « stupidité »
« Nous coûtons beaucoup moins cher que les maîtresses. Et nous sommes moins chiantes ! » plaisante Rachel, qui se réjouit de l’arrivée d’un client. Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvre à nouveau. L’homme en costume reprend son scooter. Rachel allume une cigarette.
« La prostitution ne peut pas disparaître. Si on nous interdit d’exercer, on se cachera dans des coins perdus et on donnera nos numéros de téléphone aux clients pour qu’ils nous retrouvent.«
Pour celle qui exerce route de Suresnes depuis 1988, l’abolition de la prostitution est une « stupidité« , c’est tout.
Promesse oubliée
Un avis partagé par le Syndicat du travail sexuel (Strass). « Ce n’est pas comme ça qu’on va lutter contre la traite. Au contraire, ça va faire le jeu des réseaux, et augmenter la vulnérabilité des personnes déjà fragiles« , s’insurge Morgane Merteuil. Contactée par les Inrocks, la secrétaire générale du Strass rappelle que François Hollande avait promis de supprimer le délit de racolage passif : « On n’en parle plus du tout ! Le PS veut se donner bonne conscience, au détriment de la santé des prostituées. Il faut absolument éviter qu’une loi de pénalisation se mette en place. C’est une loi criminelle. Les prostituées ne pourront plus imposer leurs conditions, seront plus vulnérables aux rapports sans préservatifs… » Et de conclure : « La prostitution est évidemment un sujet électoraliste. Il s’agit de contenter l’opinion publique – enfin, une opinion publique d’un certain féminisme. Et ça va se passer sur le dos des putes, comme d’habitude. »
Le Strass et l’association de lutte contre le sida Act Up appellent à manifester contre la pénalisation des clients le 7 juillet 2012 à Paris.
L’épineux problème de la reconversion
Rachel ne décolère pas. « Quand une entreprise ferme, on propose une alternative aux salariés. Nous rien. Qu’est-ce qu’on peut faire d’autre que ce qu’on a toujours fait ? » Pourtant, elle seule a reçu un client ce matin. Kim, une grande et jolie brune, se révolte à son tour.
« Comme s’il n’y avait pas déjà assez de problèmes, on essaye de nous mettre, nous qui ne demandons rien, dans la précarité. Nous avons des responsabilités familiales, des enfants, parfois des petits-enfants, et des impôts à payer. »
Après dix-neuf ans de prostitution, elle a récemment appris à ses enfants la nature de ses activités.
La reconversion des prostituées, de même que leur accès aux prestations sociales – qui nécessite l’existence d’un statut professionnel, demeure un problème majeur, une question sans réponse. Le rapport d’information de Guy Geoffroy et Danielle Bousquet sur la prostitution appelle ainsi à remédier au « désengagement notable de l’Etat dans l’action sociale à destination des prostituées« . D’après l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), on compterait entre 18 000 et 20 000 prostituées en France. Le Strass conteste cette estimation, affirmant qu’il ne s’agit là que de la prostitution de rue.
{"type":"Banniere-Basse"}