Abdul Matin Bek, représentant d’une nouvelle génération d’Afghans éduqués et engagés, parle de son rôle politique et des projets qu’il nourrit pour son pays.
Certaines rencontres ratées ou certaines conversations ne s’oublient pas. Entraperçu il y a trois ans quelque part au sud de Delhi, je retrouve Abdul Matin Bek dans les colonnes du New York Times en janvier 2012. Aujourd’hui, c’est dans un hôtel de la proche banlieue parisienne que j’ai attendu ce nouveau “chef tribal” de 25 ans. Débarqué l’avant-veille de Kaboul, il arrive épuisé après une journée de cérémonies et de rencontres officielles. Le temps de s’installer autour d’un verre, il se lance dans le récit d’une vie qui a basculé le 25 décembre 2011.
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Sur le point de décoller pour l’Inde où il a étudié cinq ans, Abdul Matin Bek est convoqué par son supérieur au ministère de l’Intérieur qu’il a intégré en 2010. Un attentat-suicide a eu lieu à Taloqan, dans la province du Takhar où il a grandi, au nord-est du pays. Il y a vingt-cinq morts et parmi eux son père, Mutalib Bek.
“Jusque-là, je menais une vie insouciante, je rêvais d’une thèse l’an prochain. J’ai pleuré, mais c’est la réalité de nos vies. Je savais que c’étaient les talibans, alors j’ai rejoint ma famille en sachant que j’avais un rôle à jouer.”
Son père était l’une des principales personnalités politiques de la région. A 20 ans à peine, il désertait l’armée pour rejoindre les rangs des moudjahidines face à l’invasion soviétique. D’abord à la tête d’une poignée de combattants, il s’imposa comme l’un des leaders de la rébellion afghane. Ami et confident du commandant Massoud, il l’accueillit notamment après la prise de pouvoir par les talibans en 1996. S’il était membre du Parlement depuis plusieurs années, c’est avant tout l’ancienne grande figure du Front uni, la coalition antitalibans, que les islamistes visaient. Abattre leurs opposants historiques est en effet une étape cruciale pour ceux qui entendent reprendre le pouvoir après le retrait des forces de l’Otan en 2014, en comptant sur l’appui de leurs alliés pakistanais.
“Lors de l’enterrement de mon père, je ne voulais blâmer aucun groupe. Pachtouns, Ouzbeks, Hazaras, Tadjiks : tous ont été victimes de cette guerre.”
Ce jour-là, l’ensemble de la communauté ouzbek résistante de Taloqan fait de lui le successeur de son père. La même semaine, le président Karzaï le nomme vice-ministre en charge de la gouvernance locale. Désormais à un poste stratégique au gouvernement et nouveau chef tribal, Abdul Matin Bek est à son tour une cible. Malgré son jeune âge, Abdul Matin Bek ne craint pas de connaître le même destin que son père : “Si j’avais peur, je ne serais pas ici aujourd’hui. Je suis né libre : alors ma vie ne ressemblera ni à une prison ni à celle d’un lâche.”
Abdul Matin a toujours connu la guerre. Il se souvient d’une fois où, sur le chemin de l’école, il avait aperçu un petit hélicoptère du Front uni poursuivi par un avion taliban, “un peu comme si un aigle voulait chasser un moineau”. Depuis, il a eu la chance de faire des études à l’étranger, de connaître d’autres modes de gouvernance. Il appartient à une nouvelle génération afghane qui doit faire face à la corruption de ses élites et réfléchir au développement de nouvelles instances démocratiques, jusque dans les villages, où se jouera la stabilisation du pays. Autre enjeu majeur : l’éducation. “C’est simple : si l’Afghanistan n’est pas en sécurité, le monde ne le sera pas. Or, on ne contrôlera jamais le pays par une logique d’occupation militaire, mais par le changement des mentalités, à travers l’école et l’université, le développement de bourses internationales.”
S’il a d’abord considéré l’annonce du retrait des troupes américaines comme un abandon, il se satisfait du nouveau partenariat stratégique qui envoie un signal positif aux ennemis du gouvernement Karzaï. “L’idée n’est pas de faire de mon pays un Etat “junkie”, accro à l’aide internationale”, mais de continuer à apporter un soutien logistique à une administration qui peine encore à se mettre en place et à trouver sa légitimité.
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