Celui que l’on appelait depuis lundi le « tueur fou » s’est avéré être Abdelhakim Dekhar, connu dans l’affaire Florence Rey-Audry Maupin comme « le troisième homme ». D’un surnom à l’autre, que s’est-il passé ?
Depuis la fusillade survenue lundi matin dans le hall d’entrée de Libération, rue Béranger, on se référait à lui sous l’appellation « tueur fou ». On ne connaissait de lui qu’une parka verte, une casquette, un crâne dégarni et des lunettes. Depuis cette nuit, on sait désormais que le « tueur fou » n’est autre que « le troisième homme » de l’affaire Florence Rey-Audry Maupin. Deux surnoms qui recouvrent deux affaires aussi mystérieuses l’une que l’autre.
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1) Florence Rey et Audry Maupin
La première a lieu le 4 octobre 1994. Florence Rey, 19 ans, étudiante en lettres, et son ami Audry Maupin, 23 ans, étudiant en philo, tous deux armés de fusils à pompe et cagoulés s’emparent des armes de deux policiers postés à l’entrée de la préfourrière de Pantin. Leur plan est de menotter les agents au radiateur. Mais tout dérape lorsqu’ils s’aperçoivent que les policiers n’ont pas de menottes sur eux. Pris de panique, Rey et Maupin s’engouffrent dans un taxi occupé par un médecin et ordonnent au chauffeur de rouler vers la place de la Nation, où ils comptent prendre le RER pour rentrer dans leur squat à Nanterre. Mais arrivé place de la Nation, le chauffeur de taxi emboutit une voiture de police. Audry Maupin et Florence Rey ouvrent alors le feu, tuant deux policiers. Le chauffeur se prend une balle dans la nuque. Rey et Maupin s’engouffrent dans une nouvelle voiture, direction le bois de Vincennes, poursuivis par des motards. Une deuxième fusillade s’ensuit, faisant deux nouvelles victimes: un policier et Audry Maupin, qui décède de ses blessures à l’hôpital Kremlin-Bicêtre.
Florence Rey est arrêtée et condamnée en 1998 à vingt ans de prison. Elle en sortira au bout de quinze.
2) Premier mystère : les motivations du couple
Si la nuit au cours de laquelle Florence Rey et Audry Maupin se sont transformés en « Bonnie and Clyde » est connue dans ses moindres détails, les motivations qui ont poussé le jeune couple à voler les armes de deux policiers de la préfourrière restent obscures. Patricia Tourancheau, journaliste spécialiste des affaires policières à Libération qui a couvert le fait divers à l’époque, raconte que Florence Rey avait affirmé lors de son procès que leur but étaient de se procurer des armes courtes afin d’effectuer des braquages de banques. Mais, comme le note la journaliste, les fusils à pompe qu’ils avaient achetés pour racketter les policiers constituaient des armes courtes puisqu’ils avaient été sciés. Pourquoi, alors, chercher à s’emparer des pistolets de deux policiers ? Mystère.
Même zone d’ombre concernant leurs engagements politiques. Maupin et Rey vivaient dans un squat à Nanterre et étaient proches des mouvances autonome et anarcho-libertaire. Maupin militait également au sein du Scalp (Section carrément anti-Le Pen, organisation antifa des années 90). Pourtant, leur action semble avoir été menée dans le seul but de braquer par la suite des banques à des fins personnelles. Florence Rey a d’ailleurs par la suite expliqué au juge d’instruction en charge de l’affaire que Maupin souhaitait « chercher des armes de poing sur des policiers pour faire par la suite des vols à main armée, afin de se procurer de l’argent ».
3) Deuxième mystère : Le rôle d’Abdelhakim Dekhar
Celui qui est surnommé Toumi n’a pas participé à la fusillade du 4 octobre mais aurait fourni une arme au couple Rey-Maupin et fait le guet devant la préfourrière, avant de s’enfuir tandis que les deux autres prenaient le taxi en otage. C’est Florence Rey qui finit par le dénoncer. Lors de son procès en 1998, Dekhar nie être « le troisième homme » et assure avoir infiltré les squats parisiens afin d’y débusquer des islamistes pour le compte des services de sécurité militaire algériens, comme le rapporte alors Patricia Tourancheau.
Deux ans avant le procès aux Assises, Patricia Tourancheau rapporte que Dekhar avait monté le braquage avec Maupin et aurait dû y participer à ses côtés si Florence Rey, folle amoureuse de l’étudiant en philo, n’avait tenu à prendre sa place.
Dekhar est condamné à quatre ans de prison en 1998 mais, ayant déjà effectué 4 ans de détention préventive, il est immédiatement relâché.
4) Troisième mystère: l’influence de Dekhar sur le couple
Lors de son procès en 1998, Dekhar nie farouchement connaître le couple Rey-Maupin et assure être un infiltré des services secrets algériens. Pourtant, il a acheté avec ses vrais papiers d’identité l’un des deux fusils à pompe ayant servi la nuit du 4 octobre.
Dans un article paru en 1998, Patricia Tourancheau cite la déclaration à la barre lors du procès de Dekhar de Stéphane Violet, un jeune homme qui connaissait les trois protagonistes (et avait été dénoncé en 1996 par Toumi comme le véritable « troisième homme ») et raconte au sujet du comportement de Toumi vis-à-vis du couple : « Une attention faussement généreuse, comme un chaperon. Toumi ne ratait jamais une occasion de leur montrer qu’ils étaient jeunes et inexpérimentés. Il jouait le censeur, le curé. Je ne pouvais plus parler avec Audry sans Toumi. Audry semblait s’être renfermé. »
La même année, l’Humanité décrit le jeune homme comme quelqu’un de mystérieux :
« Dans le milieu des autonomes, « Toumi » se mouvait comme un poisson dans l’eau. Il en connaissait tous les sympathisants. Et tous le connaissaient. Pourtant personne ne savait son vrai nom. Il n’avait pas de numéro de téléphone. On ne lui connaissait pas, non plus, d’ami intime. Partout et nulle part, il cultivait son propre mystère derrière d’épaisses lunettes carrées. »
5) Quatrième mystère: Qu’a fait Dekhar entre les deux affaires?
Si l’on sait que Florence Rey est sortie de prison en 2009 à l’âge de 34 ans, Dekhar a, lui, disparu de la circulation. Patricia Tourancheau explique qu’il serait parti à l’étranger (on parle notamment de Londres et de l’Algérie). Mais aucune certitude. Libération rapporte que Dekhar était hébergé à Courbevoie depuis juillet dernier. C’est la personne qui l’hébergeait qui l’a reconnu et dénoncé au commissariat de police.
6) Cinquième mystère : Pourquoi BFM-TV, « Libé », la Société générale?
Pour quelles raisons, 19 ans après l’affaire Rey-Maupin, Dekhar s’est-il attaqué à BFM-TV, Libération et la Société générale ? Le « tireur fou » aurait rédigé deux lettres, l’une dans laquelle il évoquerait, selon Le Figaro, son suicide (on l’a retrouvé dans un état semi-comateux dans une voiture garée dans un parking à Courbevoie), l’autre dans laquelle il s’en prendrait aux journalistes – surnommés les « journaputes » – aux banques et aux prisons.
(Re)voir l’émission Faites entrer l’accusé consacré à l’affaire Rey-Maupin:
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=gmVhz6Yicc4
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