A Rennes, le 31 mai, des artistes en résidence ont été choqués par les violences policières contre des manifestants pacifiques auxquelles ils ont assisté. Ils témoignent.
“Je suis restée figée sur place, collée contre le mur.” Julie Doucet, auteure canadienne emblématique de la BD underground est encore un peu sous le choc. Invitée avec une dizaine d’autres artistes en résidence à Rennes dans le cadre de la première édition de Spéléographies, une biennale des écritures, elle a été témoin de surprenantes violences policières.
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Video Taranis News:
Ces événement ont eu lieu suite à la manifestation du 31 mai contre la loi travail alors qu’une trentaine de manifestants tentaient une occupation de l’hôtel Pasteur, lieu de la résidence. “Nous avions commencé à déjeuner quand des manifestants sont entrés dans le bâtiment de l’hôtel Pasteur, raconte Jean-Christophe Menu, auteur de bande dessinée et fondateur des éditions L’Association. Rapidement, ils ont été suivis par des policiers en uniformes et en civil très violents. Les policiers en uniformes frappaient les manifestants à coup de matraque, il y a eu des heurts violents dans les escaliers, dans les couloirs. Puis un flic en civil s’est dirigé vers moi, m’a mis la main sur l’épaule en criant “toi”pour m’embarquer mais un des organisateur de Spéléographies s’est interposé.”
Julie Doucet quant à elle était justement dans les couloirs en compagnie de Laetitia Sheriff, chanteuse et musicienne bien connue de la scène rock française. Toutes deux ont assisté au matraquage des manifestants.
“J’ai eu les jambes coupées, confie la chanteuse, j’ai eu le sentiment d’être en face de personnes [les policiers] totalement déshumanisées, j’ai senti un truc très très bestial. Instinctivement, je me suis mis en état de protection pour moi et les personnes avec qui j’étais.”
Des manifestants pacifiques
Si aucun des artistes présents n’a été victime de violences policières, tous sont choqués par les scènes auxquelles ils ont assisté et plus particulièrement sur le contraste des forces en présence.
Video Taranis News:
“Lorsque les manifestants sont arrivés l’ambiance avec eux était plutôt bon enfant puis on est passé brutalement à une déflagration de violence, raconte Bertrand Léonard, artiste accompagnateur de Pascal Leyder, dessinateur trisomique, venu de Belgique pour participer à la biennale. J’ai d’abord pensé à protéger Pascal qui n’avait pas bougé de sa chaise pour l’éloigner dans un coin de la pièce.”
“Les gens que j’ai vu se faire tabasser aujourd’hui avaient 17 ou 18 ans, ils n’étaient ni armés ni belliqueux, témoigne Jean-Christophe Menu, ils étaient poursuivis par des policiers hors d’eux, d’ailleurs celui qui a tenté de m’embarquer était vraiment dans un état de fureur, prêt à en découdre.”
Témoignage confirmé par Julie Doucet : “Les manifestants n’étaient absolument pas agressifs, moi j’ai surtout eu peur des policiers.” Des policiers qui aux dires des artistes présents étaient “surarmés”, certains “équipés de Flashball”, “de vrais armoires à glace” faisant face à des manifestants “fluets”, interpellés pour certains à coup de “viens ici, fils de pute”.
Une dérive droitière
Conscients d’avoir été témoins de scènes tout à la fois extraordinaires de par leur violence et ordinaires par leur récurrence au cours de ces dernières semaines, les artistes résidents de Spéléographies s’interrogent pêle-mêle sur l’état de la démocratie française, la rhétorique médiatique autour des casseurs, la trahison de la gauche…
Jean-Christophe Menu, touché de près par les attentats de janvier 2015 – c’est d’ailleurs lui qui avait été cherché le prix décerné par le festival d’Angoulême au journal Charlie Hebdo – “ne comprend pas ce qui se passe aujourd’hui en France. Depuis les attentats de 2015, on assiste à une espèce de trahison crescendo du gouvernement Hollande, de la déchéance de nationalité à la loi El Khomri on est dans une dérive droitière voire extrême droitière.”
Pour Quentin Faucompré, auteur, dessinateur et performeur, “l’état d’urgence est un gros enfumage qui justifie les violences policières et le recours à une rhétorique vide de sens sur les centres-villes saccagés, les casseurs, les black-blocks, les autonomes ou encore les zadistes afin de ne pas parler des luttes”.
Avis partagé par Julie Doucet, pour qui ses événements font écho aux manifestations étudiantes de Montréal en 2012 : “Depuis les attentats de 2001, c’est épouvantable, dès que tu manifestes tu es pointé du doigt comme terroriste.”
Et Laetitia Sheriff de conclure : “Ces jeunes voulaient juste un lieu pour se réunir et réfléchir ensemble. Si on ne dispose plus d’endroit pour se rassembler, échanger, réfléchir ensemble alors que nous reste-t–il ? La télé ? Il ne peut pas y avoir que l’assemblée nationale comme espace citoyen. Moi, tous les jours dans ma pratique artistique j’ai besoin de faire quelque chose qui donne du sens à mon existence et ça passe surtout par être avec les autres.”
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