Tabou infranchissable, éden sexuel ou simple fantasme ? Longtemps reléguée au rang de mythe, la femme fontaine est pourtant une réalité dont la science commence seulement à saisir les nuances. Enquête sur ce jet émancipateur qui rend visible l’invisible et réajuste le rapport homme-femme.
C’est une histoire qui commence toujours de la même manière. Avec des regards fuyants, de la gêne, mais parfois aussi avec des sourires ébahis et des cheveux mouillés. “Je n’ai pas compris ce qui se passait. Il y a eu un jet très puissant, ça m’est carrément passé au-dessus de la tête, j’ai cru que j’avais cassé quelque chose”, explique Thomas 1, réalisateur parisien de 28 ans. Même stupeur lors de cette première fois chez Tracey, une Américaine de 35 ans :
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“J’ai regardé mon copain avec un air choqué et je lui ai dit : ‘Est-ce que je viens d’éjaculer ?’ Il m’a répondu : ‘Je ne sais pas… Mais je crois bien que oui.”
De son côté, Vianney, un Breton de 31 ans, jubilait :
“Ça a fait comme une chute d’eau. Sur le coup je n’ai pas compris, puis j’ai eu un grand sourire. J’étais trop content, il y avait quelque chose de nouveau là-dedans.”
Longtemps reléguées au statut de mythe, les femmes fontaines sont pourtant une réalité à laquelle se confrontent de plus en plus de personnes au fur et à mesure que les pratiques sexuelles évoluent. Mais sur le sujet, la recherche scientifique reste encore très discrète. Au point de n’avoir ni terme scientifique pour qualifier la chose ni statistiques précises concernant le pourcentage de femmes fontaines dans la population. Une navigation en eaux troubles qui a de quoi en dérouter plus d’un, comme le rappelle Tracey :
“Avant de me rencontrer, mon copain croyait que les femmes fontaines étaient comme les licornes…”
Montée des eaux
“L’orgasme fontaine prend naissance à l’intérieur”, explique Isabelle, une lesbienne de 31 ans qui a découvert la sexualité fontaine l’année dernière :
“On commence à ressentir une pression, une pesanteur comparable à une envie d’uriner. Puis, cela se transforme en un plaisir presque masculin, le pressentiment aigu que l’on pourrait éjaculer, exploser. L’orgasme est dirigé vers l’extérieur, et donc vers l’autre.”
Un phénomène qui peut parfois compliquer les ébats amoureux puisqu’il libère jusqu’à 300 millilitres d’un liquide incolore, inodore, qui ne tache pas mais qui peut tout de même tremper un lit en quelques secondes. “Ça nuisait à la qualité de mes orgasmes car j’avais toujours peur de ruiner les draps et le matelas. J’ai fini par acheter une couverture waterproof”, précise d’ailleurs Tracey.
Gynécologue obstétricien et sexologue, coauteur du livre Femmes fontaines et éjaculation féminine : mythes, controverses et réalités, le docteur Samuel Salama s’applique à comprendre la chose en remontant à sa source. Pour cela, il a réalisé des études prospectives, avec des dosages biochimiques et des échographies, qui l’ont amené au résultat suivant :
“Clairement, ce liquide passe par la vessie. Et il est très important de le différencier de la lubrification vaginale, qui, elle, ne sort pas de l’urètre. L’analyse biochimique montre aussi que ce liquide a les mêmes composants que l’urine, il a donc une origine rénale.”
S’il préfère parler d’un “ultrafiltrat plasmatique sécrété par les reins et stocké dans la vessie”, dans les faits, il faut bien reconnaître que ce liquide est de l’urine.
“La communauté des femmes fontaines est effrayée à l’idée d’être associée aux pratiques urophiles”, explique Tracey qui préfère considérer que “ce n’est pas de l’urine, mais (que) ça en a certains composants”.
Il est vrai que bon nombre de femmes fontaines souffrent de cette association et des réactions de dégoût qu’elle engendre parfois chez certains partenaires peu délicats, au point que la psychosexologue Frédérique Gruyer décrit l’effet fontaine comme “un paradis trop violent”. Beaucoup préfèrent donc parler d’éjaculation féminine, même si le terme est inapproprié.
“Les femmes ont une prostate, même si c’est peu connu. Techniquement, l’éjaculation féminine correspond donc à l’émission par cette prostate d’un petit liquide blanchâtre qui fait moins d’un millilitre. Ce phénomène est différent de l’expulsion fontaine, même si les deux émissions peuvent être associées, avec dans ce cas 300 millilitres venant de la vessie et 1 millilitre venant de la prostate”, résume le docteur Samuel Salama.
D’Aristote au squirting
Il existe deux catégories de femmes fontaines très différentes. Bien qu’elle soit la plus rare, la première est connue depuis des siècles. Elle était déjà évoquée dans les textes d’Aristote, tandis qu’Hippocrate lui conférait un signe de fertilité. Les chercheurs parlent ici de femme fontaine “autonome” car fondée sur un phénomène d’emballement cérébral. En se déclenchant dans le lobe frontal du cerveau, l’orgasme déconnecte au passage la zone qui régule l’envie d’uriner. On constate alors chez ces femmes une forte contraction au niveau de la vessie et un mécanisme d’expulsion très puissant, en jet. A l’inverse, la seconde catégorie est liée à l’évolution des pratiques sexuelles.
“Le fait que les hommes mettent leurs doigts dans le vagin de leurs partenaires est quelque chose d’assez nouveau. On ne faisait pas ça il y a cinquante ans, c’était vu comme des pratiques de prostitués. Pendant des millénaires, une femme bien était une femme qui avait un maximum d’enfants et un minimum d’orgasmes. Donc forcément, la science ne s’intéressait pas à ça. Les choses ont commencé à changer avec l’émancipation féminine”, explique le docteur Samuel Salama.
Souvent qualifié de “squirting” par les anglophones, ce type d’émission fontaine a quelque chose de beaucoup plus mécanique. En appuyant sur le point G situé sur la paroi antérieure du vagin, le partenaire compresse aussi la vessie placée juste derrière. Si cette dernière est pleine, le liquide va donc couler sous la pression des doigts, souvent au moment de l’orgasme. Vu sous cet angle, toutes les femmes peuvent donc être fontaines. Pour peu qu’elles tombent sur la bonne personne, celui ou celle que les chercheurs appellent un “sourcier”.
Malgré les tabous encore liés au squirting, plusieurs études prouvent que la majorité des hommes ont une vision positive de ce type de jouissance. Les sexologues témoignent même du nombre croissant de rendez-vous pris par des patients cherchant à devenir sourcier. Pour Thomas, qui en a fait plusieurs fois l’expérience, “ce qu’il y a de génial avec les femmes fontaines, c’est que tu es sûr qu’elles ne simulent pas. Il y a quelque chose d’assez rassurant et d’excitant à la fois”. Après avoir partagé son lit pendant quatre ans avec une femme fontaine, Vianney va même encore plus loin dans ce renversement des rôles :
“Comme le plaisir est visible, ça flatte l’ego du mec. Quand tu sais qu’une fille est fontaine, ça devient aussi une finalité dans le rapport. Tu veux que ça ait lieu à chaque fois, sinon tu as l’impression de ne pas avoir bien fait le job. Tu te retrouves un peu comme une fille face à un mec qui n’éjaculerait pas.”
Finalement, la sexualité fontaine a ceci d’attirant qu’elle rend visible l’invisible et réajuste le rapport sexuel homme-femme en mettant tout le monde sur un pied d’égalité.
La jouissance en jouvence
Mais les hommes ne sont pas les seuls à rechercher cette nouvelle forme de jouissance. Car à écouter l’enthousiasme de Tracey, être une femme fontaine a tout d’une bénédiction :
“Le sexe prend un sens nouveau. Avec un orgasme qui ne me demande pas trop d’investissement et qui peut être répliqué encore et encore, faire l’amour est beaucoup plus satisfaisant pour moi. Mis à part l’épuisement, il n’y a pas vraiment de fin à un orgasme fontaine… Ça m’est parfois arrivé dix fois en dix minutes. C’est incroyable !”
Pas étonnant qu’un peu partout, des ateliers pratiques s’organisent afin d’aider les femmes à devenir fontaines, à l’image des cours désormais célèbres de la journaliste, réalisatrice et militante lesbienne Deborah Sundahl. Sur YouTube, on ne compte plus le nombre de tutos décrivant en détail l’exploration vaginale, les finesses clitoridiennes et les routes à prendre pour atteindre ce fameux point G déclenchant l’orgasme fontaine.
En France, depuis 2013, la pièce de théâtre Les Jaillissantes jouée par l’acteur Rufus rencontre elle aussi un franc succès en mettant en scène une série de lettres écrites par des femmes fontaines. Dans ce cadre de réappropriation culturelle, être une femme fontaine prendrait presque une tournure politique, comme le souligne Isabelle :
“Le phénomène fontaine constitue une nouvelle revendication, une nouvelle différence, une nouvelle facette de la sexualité humaine qui n’est plus exclusivement masculine. Il change du tout au tout la caractéristique de la féminité qui veut que la femme n’extériorise pas, ne tache pas, ne ‘salisse’ pas. Sans vouloir faire de raccourci, les hommes s’en sentent aujourd’hui diminués, voire inutiles.”
Même le monde du porno, habituellement peu porté sur le plaisir féminin, commence à prendre en compte les pratiques de squirting, quitte à pousser la chose à l’extrême. Inventé par l’infréquentable réalisateur Jim Powers, le reverse bukkake est un renversement féministe des rôles. L’homme y est soumis, passif et systématiquement puni par plusieurs femmes aux gestes assurés. Pour ça, elles l’allongent généralement par terre avant de commencer à se masturber. A la fin, elles lui éjaculent copieusement dans la bouche et sur le visage, le laissant alors barboter dans un grand bain de plaisir féminin. Pas de doute, il est définitivement fini le temps des licornes.
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