Le journaliste et essayiste Eric Dupin propose dans son nouvel ouvrage La France identitaire une plongée dans le monde obscur de la mouvance identitaire. Soit des écrivains, intellectuels et militants politiques obsédés par la survie d’un peuple français blanc et chrétien face à une immigration qu’ils jugent dangereuse.
« J’ai peur de la libanisation de la France ». « On est chez nous ». « Nous ne voulons pas que Mohammed et Mustapha deviennent européens ». Ce florilège choquant de slogans et citations ne provient pas seulement d’un meeting du Front national. Il émane d’un spectre assez large de citoyens français et européens : des écrivains, intellectuels, blogueurs et militants politiques qu’a rencontrés le journaliste Eric Dupin.
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Dans son nouvel ouvrage La France identitaire : la réaction qui vient, l’essayiste analyse, à travers une série d’entretiens éclairants et un corpus littéraire fourni, cette mouvance identitaire passée en quelques années de l’ombre à la lumière. Des hommes blancs et chrétiens effrayés par le phénomène d’immigration et qui assurent que l’intégration des personnes immigrées est impossible.
Eric Dupin offre un panorama fouillé de ce courant identitaire. Les entretiens avec l’écrivain Renaud Camus, avec Pierre Sautarel, créateur du site Fdesouche, et même avec Marion Maréchal-Le Pen, permettent de mieux connaître et appréhender cette frange de la population française dont on rejette parfois les idées.
Le « grand remplacement »
Dans La France identitaire, le journaliste consacre ainsi chacun de ses dix chapitres à une personnalité, un mouvement ou un parti politique qui a succombé aux sirènes de l’identité ou qui est traversé par des interrogations sur ce thème. Les entretiens qui s’intéressent aux personnalités qui ont fait émerger et prospérer ce thème, comme Jean-Yves Le Gallou et Alain Finkielkraut, sont particulièrement saisissants.
Parmi les chantres de l’identité française, Eric Dupin a notamment rencontré l’écrivain Renaud Camus, dans le quatrième chapitre de son ouvrage. Cette ancienne figure de la scène culturelle homosexuelle des années 1970 est l’inventeur d’une théorie fortement reprise au sein de la mouvance identitaire. La théorie du « grand remplacement », à savoir « la substitution supposée du peuple français par les populations d’origine immigrée ».
Vouloir arrêter l’immigration en 2017, c’est vouloir arrêter l’invasion allemande en juillet 40.
— Renaud Camus (@RenaudCamus) 12 janvier 2017
Aujourd’hui membre du parti Souveraineté, identité et libertés (SIEL), qui soutient Marine Le Pen, Renaud Camus était autrefois un homme de gauche. C’est au moment de l’écriture d’un livre sur le département de l’Hérault, en 1997, qu’il commence à s’intéresser à l’immigration et à certains problèmes qui peuvent en découler. Il prend notamment conscience à cette époque de la présence de « femmes voilées » et de « femmes tatouées, aux tenues folkloriques » dans des « villages très anciens, millénaires ».
— Comment dit-on “remigration” en arabe ?
— La valise ou le cercueil (c’est une langue parfois un peu brutale).— Renaud Camus (@RenaudCamus) 15 janvier 2017
Si plusieurs raisons peuvent expliquer cet étonnant revirement (une aigreur professionnelle, un traumatisme dans l’enfance), il existe bel et bien aujourd’hui. Et il pousse Renaud Camus à affirmer des idées parfois extrêmes, comme l’annonce d’une guerre civile :
“Il y a au moins deux peuples, désormais, dont l’un, qui n’a de français que le nom (et encore…), est très occupé à conquérir le territoire de l’autre et à lui imposer, sans même avoir toujours à le vouloir expressément, en n’ayant rien d’autre à faire que d’être là, en nombre sans cesse croissant, sa propre civilisation, après avoir achevé celle du vaincu.”
Pour l’écrivain, une seule solution peut éviter la naissance d’une guerre civile en France : la « remigration » des populations d’origine immigrée. « Si on est ardemment musulman, on ne peut pas vivre en France ; un musulman très convaincu doit vivre en terre d’islam », ajoute-t-il.
Une jeunesse belliqueuse
La peur d’une guerre civile en France est une des nombreuses inquiétudes qui agitent les autres personnalités de la mouvance identitaire. Des personnalités parfois jeunes, comme celles qui composent le groupe Génération identitaire (GI), sur lequel Eric Dupin se concentre au sein de son deuxième chapitre.
https://www.youtube.com/watch?v=88BtJ_aPWKU
GI n’est composé que de militants qui ont moins de 30 ans, une condition pour rejoindre le groupe. Il assure que ses membres sont des « gens banalement ordinaires, parfaitement intégrés dans la société ». Il succède pourtant en 2012 aux Jeunesse identitaires, considérées par la justice comme la résurgence d’Unité radicale, un groupuscule d’ultra-droite dissous en 2002 après l’attentat manqué contre Jacques Chirac.
Toujours le réel qui vient nous réveiller. Toujours. #migrants #remigration https://t.co/ARmEIR1lPc
— Arnaud Delrieux (@ArnaudDelrieux) 20 décembre 2016
Arnaud Delrieux, âgé de 25 ans, est le président de GI. Il semble que c’est la violence scolaire, qu’il a ressentie dans un « collège très multiculturel » lyonnais, qui l’a poussé à s’investir chez les identitaires :
“J’ai été assez vite confronté aux phénomènes de bandes de racailles. Dès 13-14 ans, on se fait traiter de sales Français. Alors, on se regroupe entre petits Blancs.”
Génération identitaire est adepte des opérations « d’agit-prop » organisées avec soin, filmées et relayées sur les réseaux sociaux. Ces manifestations lui assurent, malgré sa petite taille, une visibilité médiatique certaine. Ce qui semble cependant inquiétant dans ce groupe est l’arrière-pensée belliqueuse, héritée de leurs extrêmes prédécesseurs :
« Notre idée est de prévenir la guerre civile », affirme Pierre Larti [porte-parole de GI] sans toutefois être certain qu’elle puisse être évitée. « On dit attention, ça va péter, mais on ne le souhaite surtout pas », ajoute Delrieux, tout en estimant que les heurts entre communautés sont « de plus en plus violents, de plus en plus fréquents ».
Grosse ambiance entre la péniche et le départ de la Marche Sainte Geneviève. Paris c’est nous ! #JFP2017 #Paris @PierreLarti @ParisFierte pic.twitter.com/Av8a7XnWSE
— Antoine Serves (@AntoineServes) 15 janvier 2017
Les petits Blancs vs les Indigènes de la République
La France identitaire n’est pas qu’une collection de témoignages mis en perspective par les commentaires d’Eric Dupin. Le journaliste a réalisé un travail d’enquête important sur les identitaires, qui permet de mieux appréhender cette frange de la population dont on entend beaucoup parler dans les médias, mais que l’on connaît finalement peu. Dès son premier chapitre il s’attarde ainsi le temps de quelques paragraphes sur un livre rédigé par Aymeric Patricot intitulé Les Petits Blancs. Un voyage dans la France d’en bas.
« Depuis l’enquête d’Aymeric Patricot, l’expression petits Blancs a fait florès. »@LePoint, sur un livre prophétique.https://t.co/SQ90VX5f6b pic.twitter.com/dewA6y6XVK
— Editions Plein Jour (@PlJour) 18 novembre 2016
L’écrivain s’est intéressé à ce qu’il appelle le « petit Blanc » à savoir celui qui « serait ce Blanc pauvre prenant conscience de sa couleur dans un contexte de métissage. (…) Un petit Blanc est avant tout quelqu’un qui se perçoit comme tel ou que l’on désigne ainsi. » Aymeric Patricot ajoute que l’idée qu’un petit Blanc « puisse aujourd’hui souffrir autant que d’autres tenus pour des victimes absolues bouscule la conception d’un groupe blanc entièrement du côté des oppresseurs et des discriminants ». Il remarque avec justesse :
“On parle de diversité, mais il faut ne faut pas nommer les origines ; on dit que les Blancs n’existent pas, mais on les accuse de discriminer ; on interdit de nommer certaines origines, mais on en valorise d’autres.”
Eric Dupin offre également une tout autre perspective sur la question de l’identité lorsqu’il aborde, dans son dernier chapitre, l’existence d’un groupuscule extrémiste qui s’oppose aux identitaires blancs. Le Parti des indigènes de la République (PIR), fondé en 2010, est dirigé par Houria Bouteldja qui proclame « J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam ». Dupin note que l’attachement à la famille rappelle celui similaire de Jean-Marie Le Pen et que le terme « clan » est souvent utilisé par GI.
Conférence-débat avec Houria Bouteldja ce samedi à #Ivry sur Seine : Intégration,assimilation. Faut-il se renier pour être Français ? pic.twitter.com/rDCnWRF4rh
— Parti des Indigènes (@PartiIndigenes) 21 janvier 2017
Le groupe possède clairement une conception raciale de la société et veut lutter contre « le peuple blanc propriétaire de la France ». Extrême, Houria Bouteldja condamne tout métissage et s’oppose ainsi vivement aux « mariages mixtes ». Eric Dupin souligne que selon elle « les femmes indigènes » doivent être réservées aux « Indigènes ». Il extrait alors une citation du livre de Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous : « Nous ne sommes pas des corps disponibles à la consommation masculine blanche ». La perspective d’une guerre civile, évoquée par les identitaires blancs, est aussi partagée par les Indigènes.
L’identité, enjeu de la présidentielle de 2017
Eric Dupin aborde évidemment dans son ouvrage l’identité vue sous le prisme de la politique. Le journaliste analyse avec beaucoup de pertinence la manière dont cette notion a réussi à s’installer durablement au sein de la droite et à s’insinuer par petites touches au sein de la gauche.
Le Front national est comme il le note « la première formation politique percutée par la question identitaire ». L’essayiste souligne néanmoins que des contradictions et hésitations sont présentes au sein du parti ; tous n’embrassent pas la cause identitaire avec la même intensité.
Les deux figures qui s’opposent sont principalement Marine Le Pen et sa nièce Marion Maréchal-Le Pen. La première essaie d’adoucir son discours pour ne pas être accusée d’avoir une vision « racialiste » de la question identitaire. La deuxième est partisane de la « remigration ».
@BrunoL66 Quand la même Marion Le Pen croit en la théorie du grand remplacement alors que sa tante dit exactement l’inverse je fabule ?
— Pierre (@PierreHV1) 9 février 2015
Quant à la droite, la question identitaire a été extrêmement présente pendant la primaire présidentielle. Trois figures, Sarkozy, Juppé et Fillon s’opposaient avec trois visions de l’identité : l’un réclamant l’assimilation des populations d’origine immigrées, l’autre prônant une « identité heureuse » et le dernier essayant de lier « identité française » et « souveraineté nationale ».
“Il faut entendre la volonté des Français de protéger leurs traditions, leur langue, leur identité” @FrancoisFillon #FillonOyonnax
— FILLON 2017 (@Fillon2017_fr) 19 janvier 2017
La question de l’identité ne traverse pas que les partis de droite. La gauche se retrouve elle aussi confrontée à cette dernière. Elle s’est notamment retrouvée divisée au moment du débat sur l’interdiction de « burkini » l’été 2016. Et selon Manuel Valls la question de l’identité devrait prendre une part encore plus importante au moment de la présidentielle de 2017 :
“Bien sûr, il y a l’économie et le chômage, mais l’essentiel, c’est la bataille culturelle et identitaire”
Eric Dupin semble également penser que la crise identitaire va peser sur la prochaine présidentielle. Il note avec justesse que le FN a encore « le privilège d’être le principal vecteur politique de la réaction identitaire de la population qui vit mal les mutations démographiques et culturelles en cours », mais qu’il est « à craindre que plusieurs candidats, d’une manière ou d’une autre, succombent à la tentation de jouer la carte identitaire pour mobiliser certaines composantes de l’électorat ».
La France identitaire : la réaction qui vient, Eric Dupin, éd La Découverte, 171p, février 2017
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