Avec l’entretien explosif que Jean-Marie Le Pen a accordé à “Rivarol”, le vice-président du Front national Louis Alliot a estimé que “les désaccords politiques” étaient « désormais irréconciliables ». Analyse de la crise qui agite le FN et qui pourrait bien conduire à l’exclusion de son président d’honneur.
« Nos désaccords politiques [sont] désormais irréconciliables », a réagi Louis Alliot sur Twitter. Le Rubicon a été franchi. Avec son dernier entretien dans Rivarol où il réhabilite le maréchal Pétain, Jean-Marie Le Pen a atteint le point de non-retour. Loin d’être sénile comme certains médias aiment à le présenter, le président d’honneur du FN semble déterminé à une confrontation directe avec sa fille.
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Est-ce une stratégie concertée entre Jean-Marie Le Pen et sa fille ?
Alors que Marine Le Pen s’attelle à défendre une stratégie de « dédiabolisation » du Front national, Jean-Marie Le Pen est le plus ardent promoteur de la rediabolisation de son parti. Dans son entretien accordé à Rivarol, le vieux crocodile se place en opposition directe avec tous les points centraux du “nouveau” Front national, qu’il juge trop fade et trop tiède. En défendant le maréchal Pétain, en revendiquant la sauvegarde de l« Europe boréale » et d’un « monde blanc », Le Pen renoue avec tous les thèmes de l’extrême droite traditionaliste. Le président d’honneur du FN réactive même les attaques d’avant-guerre avec ce que l’extrême droite appelait la “Ripoublique” : “Ils commencent à me gonfler tous avec la République ! (…) Je comprends tout à fait qu’on mette en cause la démocratie, qu’on la combatte”.
Même si la posture caricaturale de son père permet à Marine Le Pen de se différencier, cette nouvelle polémique révèle également la nature idéologique de celui qui fut durant des années son premier promoteur.
Pourquoi Jean-Marie Le Pen multiplie les polémiques ?
Depuis son élection à la tête du FN, Marine Le Pen tente de prendre ses distances avec son père. Il faut dire que le soir même de son élection, Jean-Marie Le Pen avait créé la polémique en ironisant sur l’origine juive d’un journaliste expulsé d’une réunion du Front national. Lors de la dernière campagne présidentielle, Marine Le Pen avait tenté de s’émanciper de la tutelle de son père en délocalisant le siège de campagne boulevard Malesherbes plutôt qu’à Nanterre.
L’entourage de Marine Le Pen fait tout pour réduire le nombre d’invitations de Jean-Marie Le Pen. Récemment, un proche de la présidente du FN avait même tenté de faire annuler une interview du patriarche frontiste sur France Inter.
En réalité, Jean-Marie Le Pen ne supporte pas de ne plus être au centre du jeu politique et médiatique. Comme il nous le confiait dans une interview en 2013 :
“Je pense comme de Gaulle, qu’on parle en bien ou en mal de moi, l’important c’est qu’on en parle. Il faut être dans la sphère médiatique, ne pas en être exclu. Si on en est exclu, c’est terminé. Celui qui s’en va ne serait-ce que 6 mois, c’est foutu. Dès fois, il vaut mieux un scandale qu’être absent.”
Surnommé “Le Menhir”, Jean-Marie Le Pen ne s’est jamais excusé après aucun dérapage. En 1998 lorsque sa fille Marie-Caroline avait pris parti contre lui en rejoignant Bruno Mégret, Jean-Marie Le Pen avait rompu du jour au lendemain avec elle. Au Front national, Jean-Marie Le Pen a toujours fait respecter son autorité et il ne tolère pas que l’on remette en cause son “infaillibilité”.
Pourquoi Jean-Marie Le Pen a choisi Rivarol pour s’exprimer ?
En accordant une interview à un journal ouvertement pétainiste et antisémite tel que Rivarol, Jean-Marie Le Pen renoue avec l’extrême droite historique. Loin d’être anodin, Rivarol est un symbole puisque c’est dans ce journal que le président d’honneur du FN avait déclaré en 2005 que « l’occupation allemande n’avait pas été particulièrement inhumaine ». Suite à ces déclarations, Marine Le Pen avait envisagé d’arrêter la politique. Furieuse, elle ne délaissera finalement que temporairement sa fonction, mais s’exila sur le champ dans la maison familiale de La Trinité-sur-Mer pour faire le point.
C’est à nouveau dans Rivarol que Marine Le Pen avait réglé ses comptes avec sa fille après sa déclaration sur Patrick Bruel en juillet 2014. Ce choix est symbolique puisque le titre dirigé par Jérôme Bourbon est depuis de nombreuses années en guerre ouverte avec Marine Le Pen. Quatre ans plus tôt, le 11 novembre 2010, lors d’un meeting réunissant plusieurs groupuscules d’extrême droite, le patron de Rivarol s’était lancé dans une violente diatribe contre Marine Le Pen, une « gourgandine sans foi ni loi, sans intelligence ni culture », vendue aux « médias juifs, qui savent qu’avec elle le nationalisme sera désarticulé ». Sous les vivats du public, Bourbon avait ajouté: « Marine Le Pen, c’est la Shoah et la Gay Pride, l’imposture moderne dans toute sa splendeur ! […] Elle a toujours été antiraciste et droit-de-l’hommiste. »
Interrogé sur le choix de s’épancher dans Rivarol en juillet 2014, Jean-Marie Le Pen navait revendiqué cette volonté de renouer avec l’extrême droite historique :
“Marine Le Pen dit d’eux : ‘Ce sont des chiens, il n’y a rien à faire avec ces gens-là, il faut les chasser à coups de pied”. Moi je suis d’avis que dans la bataille qui va venir, qui va être une bataille de rupture car ça sera une campagne présidentielle, il faut avoir le maximum d’alliés et le minimum d’ennemis. Je m’efforce donc de désarmer certaines oppositions apparemment irréductibles. Je suis dans mon rôle de médiateur en quelque sorte, de sage, c’est ce qui m’a conduit à accorder à Robert Spieler cette interview, qui est à mon avis irréprochable. Je n’ai employé aucun terme qui puisse être considéré comme blessant. Rivarol ce n’est pas grand monde, c’est un groupuscule. Leur audience représente quelques milliers de personnes. Mais dans une bataille nationale, ce sont des éléments qui jouent. C’est une nuance de l’opinion française, il faut en tenir compte. Quand on veut avoir la majorité dans un pays, il faut essayer d’avoir tout le monde avec soi. Comme je pense que l’horizon est sombre, que les épreuves vont être dures et que les chances sont minces pour la France, il faut essayer de démonter les hostilités. Ca ne fera pas de Rivarol, l’axe principal de la campagne de Marine Le Pen. Je ne sais pas si l’entourage de Marine le comprend mais j’essaye de démonter les hostilités”
Marine Le Pen peut-elle exclure son père ?
Statutairement, Jean-Marie Le Pen demeure incontournable au sein du FN. Son rang de président d’honneur du Front national lui donne le droit de siéger dans toutes les instances du mouvement, bureau exécutif compris. Même si elle possède la majorité au sein du bureau politique et exécutif, Marine Le Pen sait donc qu’il sera compliqué de pousser vers la sortie celui à qui elle doit d’être aujourd’hui à la tête du mouvement.
Enfin, Marine Le Pen reste dépendante financièrement de son père. Jean-Marie Le Pen tient toujours la haute main sur la Cotelec, un micro-parti qui finance en grande partie les campagnes du FN grâce aux prêts et aux dons que les sympathisants accordent à Le Pen.
“Marine est furieuse, commente un proche. Elle envisage toutes les éventualités, y compris de l’exclure. Même si Jean-Marie Le Pen a les mains sur les cordons de la bourse, nous estimons que le FN est autonome financièrement et que la question de son éventuelle exclusion doit être posée lors du prochain bureau politique »
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