Au pays du sombrero, une application smartphone permettant de localiser le policier le plus proche de vous. Voilà la dernière idée des nouvelles autorités méxicaines pour lutter contre la criminalité à Mexico et “reconquérir” les rues. “Mi Policia” a vu le jour il y a moins d’une semaine. Et soulève déjà des questions.
Un smartphone pour lutter contre les flingues. Non, le dernier Samsung présenté en grande pompe la semaine passée à New York a beau se targuer de faire du “tactile sans toucher”, il ne possède pas encore d’arme intégrée. Pas plus que l’application de tir lancée par la NRA (National Rifle Association) en janvier d’ailleurs (dieu merci). Non, c’est un projet qui s’inscrit dans le cadre de la nouvelle politique contre la criminalité galopante au Mexique : l’application Mi Policia pour smartphones vise à réduire le temps d’intervention de la police à Mexico.
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En situation critique, tapez 1 !
Son slogan pourrait être “la police à portée de doigt”, car cette première mondiale, à en croire les autorités de la capitale, permet d’entrer en contact avec les forces de police les plus proches de soi en cas d’urgence. Une fois l’application installée (elle est gratuite, et est adaptée aux principaux terminaux portables, iOS, Android et Blackberry), si au coin d’une rue de la ville aux vingt-trois millions d’habitants vous faites une mauvaise rencontre, deux possibilités s’offrent alors à vous : trouver, ou être trouvé.
Quand l’appli s’ouvre, deux boutons s’affichent sous le logo-bouclier du ministère de la Sécurité publique de la capitale (SSP-DF). Si vous êtes en situation critique, tapez 1 ! Cliquez sur le premier bouton, et vous verrez apparaître une Google Maps avec votre position, celle du commissariat le plus proche, son nom, celui de son commandant et un bouton permettant de l’appeler en un clic. Le second bouton lui ressemble, mais, si la situation vous laisse un peu de répit (vous êtes témoins d’un vol avec violence par exemple), vous offre la possibilité d’entrer le nom ou l’adresse d’un quartier.
Après les community manager, la community police
Fonctionnant comme un annuaire géolocalisé, Mi Policia a la possibilité de systématiquement pouvoir localiser par GPS toute personne requérant assistance. Et, selon Jesus Rodriguez Almeida, le patron du SSP-DF, ce système permettra à la police de réagir aux appels d’urgence en “moins de trois minutes”. Lors de la présentation officielle de cette appli développée par un étudiant de l’Institut polytechnique national (embauché, comme sa création adoptée, par les flics de Mexico), le chef de l’organe chapeautant les forces de polices de la capitale a annoncé que le système fonctionnerait jours et nuits et cela toute l’année. Et qu’il quadrillerait la ville en étant mis en place dans les huit cent quarante-sept postes de police que compte la capitale.
Investi en décembre dernier, le président Enrique Peña Nieto a fait de la réduction de la violence et un retour à la paix sociale ses objectifs prioritaires. Qui passent par la confiance – loin d’être acquise – de la population envers ses institutions. Exit la guerre frontale contre les cartels (et ses responsables) menée par des soldats débutant ; le nouveau président préfère lutter contre la délinquance sans rapports direct avec les organisations criminelles (vol avec violence, extorsions, enlèvements, homicides crapuleux) mais qui détruit le tissu social.
L’appli Mi Policia entre dans cette stratégie de lutte contre la violence et de “récupération des espaces publics”. En France, on appellerait ça une police “de proximité”. Après avoir donné aux habitants la possibilité de “dénoncer en ligne” les crimes dont ils sont témoins, via Twitter et l’adresse @caspoliciadf – très réactive, même si le côté “je balance mon voisin” surprend de prime abord –, c’est une application dédiée que la police sort de son sombrero dans son opération reconquista de la population.
Communiquer avec les forces de l’ordre
Partant du principe que la technologie devrait améliorer la sécurité, et avec elle la relation entre les autorités et le citoyen, la police de la deuxième plus grande ville au monde a mis en place une sorte de community police comme il existe des community manager. Au SSP-DF, on explique ainsi que :
“Cette innovation crée un rapport immédiat et efficace entre police et citoyens”.
Depuis quelques années, la police mal-aimée apprend à se faire accepter des quartiers, avec des patrouilles “attitrées” et des formations à communiquer avec les conseils de quartiers. Et le nouveau gouvernement insiste sur ce côté “coeur de la communauté”.
L’installer laisse libre-accès à votre smartphone
Ciblant les quelques trois millions d’habitants de Mexico City possesseurs de smartphones (et “les touristes de passage” insiste la police) Mi Policia nécessite un abonnement avec data, ce qui limite son potentiel d’application (la version suivante devrait pallier ce problème). Mais elle pose surtout une question d’éthique. En effet, installer cette application peut non seulement vous géolocaliser (en même temps, c’est un peu le but), mais vous laissez aussi l’appli lire vos données. D’après la description sur le Google Play, en téléchargeant Mi Policia, vous laissez libre-accès à votre smartphone. Ça ne signifie pas que la police va lire vos mails, mais elle pourrait.
Dans The Dark Knight de Christopher Nolan, Bruce Wayne aka Batman transforme un sonar en une énorme machine capable de localiser n’importe quel individu à partir de son téléphone portable. Il fait ça, affirme-t-il à Lucius Fox, afin de stopper définitivement le Joker. Mais “à quel prix?” rétorque son “manager”, qui rappelle “qu’espionner 30 millions de personnes n’entre pas dans ses attributions”. Avec cette application, Mexico devient un peu Gotham City : entre de mauvaises mains, l’appli pourrait fournir des tonnes d’informations d’ordre privées.
Autre exemple, dans le jeu vidéo Watch Dogs, l’un des plus attendus de l’année en cours. On incarnera un justicier smartphone greffé à la main. Grâce à lui, il saura tout des gens qu’il croise – leur empreinte numérique – pourra hacker ce que bon lui semble, et cet équivalent des héros de GTA pour l’année 2013 (donc connecté) pourra aussi… localiser la police. Quand la fiction croise la réalité. Reste à espérer que l’appli Mi Policia ne soit pas détournée de son but premier par les narcotrafiquants du Mexique. Même si Mexico est sans doute la ville la plus sûre du pays, quoi de mieux qu’un service de géolocalisation pour isoler et piéger des flics.
Gare au manque de réseau
“Allô la police ? Oui c’est Madame Sarfati à l’appareil ! Oui j’ai demandé la police, non je ne quitte pas. J’ai demandé la police, non je ne quitte pas…” La naissance d’applications smartphones hyper-réactives sonne-t-elle le glas des scènes ressemblant au sketch d’Élie Kakou ? Ce n’est sans doute pas encore pour demain : si personne ne répond sur l’appli, on n’a pour le moment pas d’autre choix pour joindre la police que d’appeler le 911 local (le 066), et d’attendre. “Nan mais allo, quoi, la police !”
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