On commémore ce mois-ci le centenaire du génocide arménien. Arrivée après la chute de l’Union soviétique, une deuxième vague d’immigrés arméniens s’est établie à Marseille. Parfois rejetée par la première génération qui a fuit les exactions, celle-ci tente de trouver sa place. Rencontres.
Installée dans un salon à la décoration spartiate, Violette Agaian, 40 ans, se remémore son arrivée à Marseille. C’était le 16 août 1999. “On est descendu du bus gare Saint-Charles et là, j’ai vraiment été surprise, dit-elle, enfoncée dans un canapé en cuir. Dans la littérature, on décrivait une France bourgeoise. Rien à voir avec le Marseille cosmopolite que j’ai découvert.” Si la famille Agaian a choisi de rejoindre la cité phocéenne, c’est totalement par hasard :
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Une ligne Erevan – Marseille venait d’ouvrir. La vie en Arménie était devenue trop difficile. Mon mari a perdu son travail, il n’y avait ni eau, ni électricité, même trouver du pain, c’était devenu compliqué.”
Arrivés après l’indépendance de l’ex-République soviétique d’Arménie, en 1991, comme la famille Agaian, ils sont plusieurs milliers à avoir rejoint la France, notamment Marseille, où vivent entre 80 000 et 100 000 descendants d’Arméniens. Mais difficile d’évaluer le poids de cette nouvelle immigration. Julien Harounyan, président de l’association Jeunesse arménienne de France (JAF) indique :
“Les Arméniens d’Arménie [comme l’on nomme cette 2ème vague d’immigration, ndlr] représentent entre 5000 et 15 000 personnes mais comme beaucoup sont en situation irrégulière, il est impossible d’avoir un chiffre précis”.
Pour les Agaian, les débuts ont été “très durs”. Accompagnés de leur première fille, alors âgée de cinq mois, la famille trouve refuge dans un hôtel, puis chez une famille arménienne, avant de rejoindre, comme tant d’autres, les tours HLM des quartiers nord. Juliette se souvient avec pudeur:
“On ne connaissait personne, on ne parlait pas la langue, il a fallu se débrouiller. Mais on s’est adapté. Si aujourd’hui, certains Arméniens n’arrivent pas à s’intégrer, c’est parce qu’ils vivent trop entre eux. A Air-Bel [une cité du 11ème arrondissement de Marseille, NDLR], par exemple, il n’y a que des Arméniens.”
“Je m’attendais à mieux”
A son arrivée en France, Violette obtient rapidement un passeport français. “Après le génocide, ma famille s’est réfugiée en Bulgarie, puis en France où mon père est né. En 1948, mon grand-père est parti en Arménie soviétique car il voulait rejoindre sa patrie.” Traductrice dans son pays, Violette devient, en France, secrétaire. Et son époux quitte le secteur du tourisme pour enfiler un bleu de travail. “Un bac + 5 en Union soviétique équivalait à un bac en France et nos diplômes n’étaient de toutes les manières pas reconnus”, dit-elle.
Hermine Godian avait, elle, 17 ans quand elle a débarqué à Marseille pour rejoindre son futur époux, rencontré quelques mois plus tôt en Arménie. Pour elle aussi, la surprise fut de taille. “Je suis arrivée le 9 décembre 1993, en pleine grève des éboueurs et de trains. Je suis allée chez ma belle mère dans le centre-ville. Je m’attendais à mieux. A Erevan, le centre-ville était beau. J’étais dégoutée, je ne voulais pas ouvrir ma valise.” Sans-papiers pendant dix ans, Hermine a fini par obtenir un permis de séjour. Assise dans un canapé recouvert du drapeau arménien et entourée de trois de ses enfants, elle évoque la difficulté de s’adapter à un nouveau pays, une nouvelle langue et une autre mentalité. “Chez nous, les relations étaient plus spontanées. J’ai mis au moins dix ans à m’habituer à la vie en France”, soupire-t-elle.
Mais c’est en quittant l’Arménie où, sous l’ère soviétique, le catéchisme était interdit, les églises étroitement surveillées et la bible difficile à se procurer qu’elle découvre aussi la liberté de culte. “Quand j’ai été baptisée, c’est le prêtre qui est venu chez nous. Il ne fallait le dire ni aux voisins, ni aux amis”, raconte Hermine. “Officiellement, en Arménie, Dieu n’existait pas et il ne fallait pas dire le contraire. C’est à Marseille que j’ai appris beaucoup de choses sur le christianisme et la bible”, dit, quant à elle, Violette, assise près de son fils qui deviendra d’ici quelques jours enfant de chœur.
“Le syndrome de l’immigré”
Depuis l’indépendance, l’Arménie se vide de ses habitants. Lassés par la corruption, les atteintes aux droits de l’homme et la guerre avec l’Azerbaïdjan pour le contrôle du Haut-Karabakh, ils sont plusieurs dizaines de milliers à quitter le pays chaque année. Face à cet exode massif, les Arméniens de la diaspora (la première vague d’immigration) oscillent entre rejet et incompréhension. “Nous sommes un peu perçus comme des traîtres parce qu’on a quitté le pays. Ils nous disent: ‘Qui va garder la terre? Nous on est venu à cause de la guerre, pas vous’”, raconte Hermine.
Ainsi, certains leur reprochent d’avoir fui une Arménie libre et indépendante pour laquelle la diaspora s’est beaucoup mobilisée, d’autres, disent qu’ils viennent profiter des aides sociales. Julien Harounyan, président de la JAF le regrette :
“Les Arméniens de la première génération ont ce que j’appelle le syndrome de l’immigré. Une fois intégrés, ils ont fermé la porte aux autres. Mais, les Arméniens d’Arménie partagent une histoire, ils ont constitué une communauté dans laquelle les Arméniens de la première génération n’ont pas été intégrés.”
Et à en croire cette association qui se présente comme “l’une des rares à considérer cette nouvelle communauté”, l’arrivée de ces Arméniens doit aussi être perçue comme une “chance” pour la diaspora. “Grâce à eux, on maintient la culture arménienne. Les primo-arrivants se sont intégrés mais aussi assimilés. Ce qui les fédère, c’est surtout le génocide.” D’autant que ces familles font tout pour cultiver leur “arménité”.
“Pendant des années, à la maison, on n’avait pas le droit de parler français, indique Chrytal Ritta, la fille aînée des époux Godian. Et je sais que mes parents veulent que je me marie avec un Arménien. Pour moi aussi c’est important car je ne veux pas perdre mon arménité et je veux surtout la transmettre à mes enfants.” Et forcément, cela passe par le combat pour la reconnaissance du génocide. Ainsi, comme tous les ans, la famille Godian se rendra vendredi jusqu’au consulat de Turquie, décidée à ne jamais rien oublier.
{"type":"Banniere-Basse"}