Depuis mars, la prestigieuse école d’ingénieurs forme de futurs développeurs numériques. Sa cible, des jeunes issus des “quartiers prioritaires”, au parcours scolaire chaotique.
Il y a encore quelques semaines, Hadrien enchaînait les jobs mal payés. Aujourd’hui, il bouffe dix heures de code par jour. Et, ça lui plaît. “Ici, le recrutement ne se fait pas sur ce qu’on a fait mais sur ce qu’on a envie de faire. C’est une nouvelle approche. Et puis, quand tu te retrouves au pied du mur, ça te pousse à chercher en toi des compétences que tu n’aurais jamais imaginé avoir.”
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Il y a quelques jours, Hadrien, 25 ans, a intégré la première promotion de Simplon Mars, un programme expérimental qui propose de former au code informatique 24 jeunes, âgés de 18 à 30 ans et issus, pour la plupart, des quartiers Nord. Comme ses camarades, le jeune homme affiche un parcours plutôt “explosif”. A 16 ans, il quitte l’école, puis, vivote avant d’intégrer, sans enthousiasme, un BEP transport et logistique. Jusqu’au jour où sa conseillère Pôle emploi lui parle de cette nouvelle formation. Une opportunité inespérée pour ce “mec que les copains appellent quand ils ont un problème d’ordi”.
Aux manettes, la prestigieuse école d’ingénieurs Centrale Marseille, en collaboration avec Simplon.co, une “fabrique sociale du code”, basée à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Située dans les quartiers Nord, Centrale Marseille s’intéresse aux problématiques sociales de son territoire. “Le chômage des jeunes est un gros enjeu. On a donc voulu créer une formation adaptée et réinventer l’apprentissage pour un public en difficulté”, détaille Mathilde Chaboche, coordinatrice du Labo Sociétal.
Pour la première fois, l’école offre à ces jeunes cinq mois de formation, estimée à 4 000 euros par élève et totalement gratuite, suivie d’une alternance, comprise entre six mois et un an. Pas besoin d’être bardé de diplômes pour être sélectionné. Dans la première promo, seuls trois élèves ont décroché un diplôme de l’enseignement supérieur et la moitié s’est arrêtée au niveau bac. La sélection s’est faite sur trois critères : les difficultés d’insertion professionnelle, l’appétence pour le numérique et surtout la motivation.
“Beaucoup ne font plus rien depuis des années, ils savent qu’ils sont attendus et que c’est une vraie chance pour eux”, insiste la coordinatrice.
“Le code, c’est pas réservé à une élite”
Avec cette expérimentation, Simplon Mars prouve aussi que le milliardaire Xavier Niel n’est plus le seul avec son école de code « 42” à vouloir révolutionner la pédagogie du secteur. “Notre carte d’identité repose sur le collectif et l’esprit d’équipe, pas sur la compétitivité comme à 42”, tacle Mathilde Chaboche. Elle ne repose pas non plus sur le même budget. Avec un chèque en blanc, estimé à 70 millions d’euros sur dix ans, Xavier Niel a de quoi mettre en œuvre son projet.
Difficile de comparer avec les 100 000 euros de subventions publiques dont a besoin Simplon Mars, mais dont seulement la moitié a été versée. Ici, pas de food-trucks, de mur végétal ou de jacuzzi californien comme à 42 mais des bâtiments vieillissants et des salles de cours sans charme. L’innovation ne se voit pas sur les murs mais dans l’apprentissage. Pas de notes, encore moins d’examens et un enseignement “alternatif” qui repose sur deux principes : la solidarité et l’apport de chacun.
Ce 20 mars, les étudiants sont disposés en cercle, un ordinateur portable dans chaque main. Face à eux, leur formateur, Rodolphe Duterval, 27 ans, diplômé d’une école d’ingénieurs. Le style est décontracté, le vocabulaire employé simplifié. Les étudiants tentent de comprendre comment traduire un match de tennis en langage HTML. Les questions fusent, quelques grimaces se dessinent sur les visages. Des petits groupes se forment. Chacun apprend de ses erreurs, apporte son analyse et conseil le voisin qui galère.
“Il est important de montrer que le code n’est pas réservé à une élite, insiste le formateur. J’essaye de ne pas être trop technique. Le plus important est qu’ils sachent s’autogérer et qu’ils valorisent, entre eux, le travail de chacun.”
Depuis son arrivée à Simplon Mars, Jean-Désirée, 23 ans, “revit”. “A la fac, c’est difficile d’échanger entre élèves. Ici, tu le fais et ça te permet d’avancer beaucoup plus vite. J’ai le courage de venir tous les jours car j’étudie en m’amusant”, raconte cet étudiant qui avait récemment abandonner les études devant l’impossibilité financière d’intégrer une école d’informatique à 5 000 euros l’année.
Pendant leur cursus, les étudiants vivent comme ils le peuvent. RSA, allocations chômage, soutien familial mais aussi, pour certains, du travail au “black” effectué le week-end car les journées de codes s’éternisent.
“Ne pas rester le cul sur votre chaise”
Pour décrocher un job, l’école sait qu’acquérir des compétences ne suffit pas. Simplon Mars veut aussi offrir à ses étudiants un réseau. Cela passe par des “after works” mensuels en compagnie de PME innovantes et de visites d’entrepreneurs. Pour les étudiants, c’est l’occasion d’avoir affaire à un monde dont ils ignorent tout et pour les chefs d’entreprise de repérer les talents de demain.
“80% des offres d’emplois se font par réseau, rappelle Mathilde Chaboche. Je leur dis, c’est à vous de vous comporter en jeunes professionnels, vous êtes des acteurs. Il ne faut pas rester le cul sur votre chaise et picorer dans le buffet en attendant que ça se passe.”
Guillaume Quiquerez, directeur du Labo Sociétal, renchérit, moins cash : “Ces jeunes ont connu un parcours dévalorisant où leur situation de vie était de devoir subir. On leur montre qu’aujourd’hui, ils ont le pouvoir de rencontrer des entreprises, de candidater et de créer.” D’autant que le secteur de l’économie numérique est en pleine croissance.
Pire, certaines entreprises n’arrivent pas à recruter. Ce qui fait dire au directeur: “Je suis intimement convaincu qu’on aura aucune difficulté à insérer ces jeunes.” A l’issue du cursus, ces nouveaux geeks seront embauchés comme développeur junior dans une entreprise ou, s’ils le souhaitent, deviendront médiateur numérique, une sorte d’homme-à-tout-faire-du-2.0 au près de PME, d’associations ou de collectivités territoriales.
Quant à la direction de Simplon Mars, elle prépare la suite. Car ce qui était présenté, il y a quelques jours, comme une expérimentation, pourrait bien être le point de départ d’une grande aventure. Et, comme un coup de pouce, attend d’être labélisée “grande école du numérique”. En attendant, les appels pour connaître la date de la prochaine cession se multiplient.
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