Beaux, jeunes et immortels : une nouvelle lignée de vampires a envahi les librairies et les écrans. Un chef-d’oeuvre de la littérature gothique, signé Anne Rice, annonçait, dès les années 80, le phénomène actuel. (image : Entretien avec un vampire 1994)
Les vampires sont dans la place. En quelques années, ils ont annexé le roman et les salles obscures, ressassé leur baiser mortel dans plusieurs séries. Certains ont un travail ou vont au lycée, d’autres fréquentent les night-clubs. Leur lieu préféré ? Toutes les chambres d’adolescentes ayant, en gros, entre 15 et…30 ans. C’est à elles que Stéphanie Meyer, créatrice de Twilight, doit d’avoir vendu 70 millions d’exemplaires de sa saga vampirique.
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Mais une question turlupine. Car celles qui aujourd’hui échangeraient bien leur boyfriend contre un dîner aux chandelles avec Angel, la présence mâle de Buffy contre les vampires, ou Edward, le héros sexy de Twilight, auraient-elles été jadis aussi promptes à se laisser compter fleurette par l’ignoble Dracula ? Par quelle métamorphose cet immortel est-il passé de persona non grata à sex-symbol faisant fantasmer la jeune fille qu’hier encore il épouvantait ?
Autant de questions qui méritent un retour rapide aux années 80, et l’énorme succès, déjà, de la littérature de vampires. Elle est en phase avec l’air du temps, cerné par les mouvement punk et les poses gothiques. C’est à cette époque que l’Américaine Anne Rice, née en 1941, captant ces ondes très dark (elle-même a perdu un fils d’une leucémie), entame ses Chroniques des vampires. Cette saga, forte de dix volumes vingt ans plus tard, s’intéresse à la vie des vampires à La Nouvelle- Orléans. Et essentiellement à celle de Lestat de Lioncourt, qui occupe le centre du second tome de sa série : écrit en 1985, Lestat le vampire prend place dans le Paris du XVIIIe siècle, à quelques jours de la Révolution, avant de naviguer entre l’Egypte, la Bretagne druidique et l’Auvergne de l’Ancien Régime.
Lestat y est le cadet d’une famille d’aristocrates ruinés, fuyant à Paris pour devenir acteur de commedia dell’arte, avant de tomber entre les griffes de Magnus, un vieux Nosferatu qui lui transmet l’immortalité par son immonde morsure. Jusque-là, tout va bien. Un Paris gothique jusqu’au bout des ongles, où le quidam assoiffé de sang peut jouer de sa panoplie : cape sertie de diamants, traque des mortels dans les ruelles sombres, hantise de la lumière, etc. Sauf que très vite, Lestat se reproche à lui-même de se repaître d’innocents. La faute à son passé d’humain, et au semblant de moralité qui lui en reste : “Mon voeu était de ne frapper que des malfaiteurs.”
Anne Rice, avec l’ambition de booster le roman fantastique, a glissé une première couille dans l’hémoglobine : Lestat le vampire se présente sous la forme d’un roman d’éducation à la première personne, faisant état d’une intériorité avant, pendant, et après vampirisation. La vampirisation a toujours tenu lieu d’allégorie sexuelle, mais chez Anne Rice elle monte en température. Pour la romancière, d’abord auteur de nouvelles érotiques, la transmission de l’immortalité est surtout un énorme vecteur d’érotisme, qui exhale une sensualité issue de folles étreintes homosexuelles. Si le vieux Magnus choisit Lestat pour en faire son descendant, c’est qu’il ne résiste pas à sa séduction : “J’étais déjà vieux quand j’ai été créé. Mais toi, tu es parfait, Lélio, mon jouvenceau aux yeux d’azur, encore plus beau que derrière les feux de la rampe.”
A partir de cette élection – transgressive, forcément –, le ver est dans la pomme. Le désir a pris le pas sur le devoir et la reproduction mécanique d’une monstruosité vieille de plusieurs siècles. Lestat va s’imposer comme un vampire charnière entre les générations : celle des “anciens” opposée à celle de Louis, jeune vampire créé par Lestat et héros du premier volet de la saga ; celle, en littérature, du Dracula de Bram Stoker opposée à celle du Edward Cullen de Twilight.
Dans Entretien avec un vampire (adapté en 1994 avec Tom Cruise dans le rôle de Lestat et Brad Pitt dans celui de Louis), on suit ce séduisant immortel dans sa quête des origines. Le vampire accomplit en accéléré ce à quoi toute créature aspire en échappant à son créateur : s’émanciper de sa condition. Devenir libre – de briser la loi du silence imposée par sa communauté en publiant son autobiographie, ou de devenir le leader d’un groupe rock à son réveil dans les 80’s. Libre d’être plus humain, de se mêler à eux, réussissant là où les zombies ont raté leur intégration.
A la fin du roman, Lestat retrouve son fils/amant spirituel dans le L.A. de 1984, à la veille d’un de ses concerts. Louis “porte un chandail avachi et un jean élimé”, sexy en diable. “Jamais un membre de notre race n’avait ressemblé autant à un mortel” – jamais n’en a-t-il aussi autant partagé la psyché. Car le vampire civilisé n’est pas seulement la métaphore préférée des adolescents pour parler d’eux-mêmes, mais une image possible de l’homme moderne, partagé entre le destin le plus bête du monde et une liberté XXL, aux désirs de plus en plus complexes.
Lestat le vampire (Albin Michel), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Béatrice Vierne, 518 pages, 20 €
L’actu des vampires
En salle
Twilight 2 : Tentation de Chris Weitz : l’exquise Bella panse les premières morsures de l’amour avec un séduisant loup-garou.
L’Assistant du vampire de Paul Weitz (le 2 décembre) : l’initiation d’un ado de 14 ans aux joies du vampirisme.
Côté “bit-lit” & séries TV
La saga très glamour signée Melissa de la Cruz (Les Vampires de Manhattan, Les Sang-Bleu, Les Sang-d’Argent) sur la jeunesse aux dents longues du chic Manhattan.
Le Journal d’un vampire, saga née dans les années 90 mais rééditée suite au succès de Twilight. L. J. Smith y relate les amours contrariées entre la reine du lycée et un beau gosse (im)mortel. Une série en a été tirée : The Vampire Diaries.
Autre série inspirée d’une suite de romans : True Blood, soit une communauté de vampires cherchant à s’intégrer dans une petite ville de Louisiane.
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