Les messages anti-Brexit, anti-Trump et anti-2016 en général se sont multipliés au cours d’une fashion week londonienne galvanisée par la contestation.
C’était il y a presque six mois, mais le Brexit est toujours bien présent dans les esprits britanniques. Après la catastrophe du référendum, le pays reste dans l’attente de ce que, concrètement, la sortie de l’Union européenne changera à la vie quotidienne de chacun. Face à la montée des violences xénophobes et des gros titres de la presse tabloïd toujours plus déprimants, un groupe plutôt inattendu s’est élevé pour exprimer son mécontentement : la mode masculine londonienne, qui, lors de la présentation de ses collections automne-hiver 2017, a doublé ses créations artistiques d’un fort message revendicatif. La preuve en 7 designers.
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Christopher Shannon : drapeaux déchirés et logos déprimés
Le natif de Liverpool Christopher Shannon, grand spécialiste des contrefaçons façon jeux de mots, laisse cette saison le désespoir triompher de l’humour : sur ses sweats, le logo Calvin Klein devient « Constant stress », Timberland « Tumbleweed » (ce bouquet d’herbes qui traverse l’écran dans les westerns, pour signaler le vide) et Boss International « Loss International » (perte internationale). Point d’orgue de la déprime, les visages de certains mannequins sont recouverts de drapeaux déchirés, à mi-chemin entre destruction des symboles patriotiques et cagoule de kidnapping. Vogue les analyse même comme l’expression de la dégradation des relations internationales. Nous, on voit ça plutôt comme des condamnés marchant vers l’échafaud.
Les monstres difformes de Charles Jeffrey
Le symbolisme continue chez Charles Jeffrey, créateur de la marque Loverboy, qui a défilé via l’incubateur mode MAN : “Nous ne faisons plus confiance aux médias, nous ne croyons plus aux discours politiques, alors pourquoi ne pas se jeter complètement dans le fantasme ? Parce que la réalité est devenue insupportable.” Le parti pris de Jeffrey, qui se confie à i-D ici, est clair. Sur le podium, des monstres difformes façon terre cuite, l’un d’eux peint de motifs rappelant à la fois le drapeau britannique et les étoiles américaines, l’autre évoquant le champignon nucléaire d’Hiroshima, tous deux signés de l’artiste et set designer Gary Card. Si la volonté d’évasion est claire – on se croirait plus au cœur d’un happening arty qu’assistant à une présentation de pièces à destination commerciale – le ton reste inquiétant, discordant, sorte de monde parallèle cauchemardesque où des êtres recouverts de boue (en réalité, des danseurs de la troupe Theo Adams) font semblant de vomir à la vue de ces apparitions monstrueuses. « Avec ce qui se passe avec Trump et le Brexit, on a décidé de faire figurer une sorte d’être divin, » poursuit Charles Jeffrey. « On voulait initialement le brûler sur le podium, mais on n’a pas eu le droit! »
La résistance est en marche : Craig Green et Matthew Miller
La résistance britannique se met en marche. Chez Craig Green, petit nom devenu grand à force de défilés ovationnés et du prix Meilleur Designer au Fashion Awards, les guerriers sont matelassés, emmitouflés, encapuchonnés dans des silhouettes presque exclusivement monochromes, à l’exception de pans de tissu à motif cachemire et kaléidoscopiques, clin d’oeil vers l’Orient.
Même dégaine sombre chez Matthew Miller, dont les vestes et ceintures militaires sont assorties de maquillage rouge traversant le visage de ses mannequins – traces de sang ou ornementation tribale? « Mon show traite d’une génération qui est le produit des politiques de peur dans un monde de post-vérités. Cela donne une collection d’individus qui a peur d’agir, » explique le créateur en backstage. Le final du défilé et ses étendards noirs et rouges sonne comme un appel à la mobilisation.
Hommage aux révoltes : Martine Rose
https://www.instagram.com/p/BPDKqZ3A0fV/?taken-by=martine_rose
Le retour de la créatrice homme Martine Rose se fait en terrain contestataire : Tottenham, au nord de Londres, connu pour son équipe de foot et les émeutes qui ont agité le quartier au cours de l’année 2011. Elle investit le marché de Seven Sisters, coin notoirement « chaud » aux antipodes (aussi bien géographiquement que symboliquement) des showrooms de Soho. Fortement eighties, ses Tottenham boys aux épaules carrées et à la mèche rebelle défilent les mains enfoncées dans les poches, l’air frondeur.
Se tourner vers l’ailleurs : J.W. Anderson et Wales Bonner
Réponse classique aux tourments d’une époque : la nostalgie. Chez J. W. Anderson, elle est double : aux accents seventies donnés par les pantalons pattes d’eph’ et les pulls en crochet s’ajoutent des références clairement médiévales, des capes de pèlerin aux broderies façon blasons en passant par les imprimés vitraux. « Des chevaliers païens dans des armures de lumière. Des superpositions de vêtements sans fin comme mécanisme de défense, » explique (de façon assez ésotérique) le créateur à Vogue.
Même bond dans le temps chez Wales Bonner, la grande gagnante du Prix LVMH 2016 : les chapeaux, dessinés par le chapelier londonien Stephen Jones, sont inspirés des tableaux de la Renaissance. Mais l’hommage au passé s’arrête là. La collection de Grace Wales Bonner puise ses références dans l’identité même de la créatrice, moitié jamaïcaine, ainsi que dans son récent voyage à Dakar, pour une série de silhouettes empreintes de spiritualité et de sobriété – on aime particulièrement le final, où tous les mannequins, hommes, femmes, blancs, métis, de couleur, défilent la main sur le cœur. Interrogée sur le symbolisme de sa collection, la jeune créatrice ne livre qu’un mot : la diversité. Un hommage bienvenu au multiculturalisme londonien, et un rappel que cette richesse, inévitablement au coeur de son identité, est toujours à célébrer.
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