Depuis peu, l’université de Paris 13 forme d’ex-patients en psychiatrie à devenir médiateurs de santé-pairs. Stabilisés, ces professionnels de santé d’un nouveau genre travaillent en alternance dans des hôpitaux ou des assos médico-sociales, où ils aident les malades à prendre le dessus sur leurs troubles et à sortir de la spirale de l’auto-stigmatisation.
A Bobigny (Seine-Saint-Denis), une salle de cours lambda du campus de Paris 13 accueille la deuxième promotion d’une formation unique en son genre en France (l’université de Lyon 1 ouvrira ceci dit un DU du même type, en décembre). Fin septembre, dans les couloirs de la fac, au milieu des L1 en staps ou en psycho, Pauline et Edith, deux mères de famille bipolaires, Ugo, un trentenaire schizophrene, Chantal*, une toxicomane, et une trentaine d’autres personnes atteintes de troubles psychiques attendent d’assister au premier cours d’une licence où ils vont se former pendant un an à la pair aidance en psychiatrie.
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Après des années de suivi médical, parfois jalonnées d’hospitalisations, libres ou sous contrainte, tous ont finalement réussi à se stabiliser, en devenant, chacun à leur manière, experts de leur propre pathologie. Pauline consignait dans un carnet tous ses symptômes pour mieux les prévenir, Chantal et Ugo ont créé des groupes de parole et d’entraide pour se libérer. Après deux ans sous différents médicaments, Judith, elle, a finalement réussi par trouver celui qui lui convenait le mieux. S’ils reviennent sur les bancs de l’université, c’est pour apprendre à se servir de cette connaissance médicale empirique, afin de la partager par la suite avec d’autres patients.
De l’“empowerment” des malades
“Le plus important, ce n’est pas tellement le classement des troubles psychiques tel que l’a défini le corps médical, mais plutôt la façon dont les patients les vivent et peuvent en guérir”, annonce le psychiatre Jean-Luc Roelandt à son parterre d’étudiants, en guise d’introduction à cette semaine de cours. Le médecin, à l’origine des premières expérimentations de formations de pairs aidants en 2012, est un pionnier de l’empowerment des malades. Dans la banlieue est de Lille (Nord) où il travaille, il a réduit drastiquement la prise en charge intra-hospitalière pour favoriser les soins en ville et la prise en charge à domicile.
“Réutilisez ce qui vous a été utile dans votre parcours de rétablissement, appliquez le dans les hôpitaux où vous travaillez”, lance Laurent à ses élèves d’un jour. Issu de la première promotion de pairs aidants, l’élégant quinqua, veste matelassée et chemise blanche, est revenu à Paris 13 le temps d’une journée pour présenter son métier. Schizophrène depuis ses vingt ans, le sport l’a aidé à se stabiliser – comme pair aidant, il s’est donc logiquement mis à organiser des séances de course à pied entre patients et malades à l’hôpital de Rouffac, dans le Haut-Rhin, où il a fait son alternance.
“Pour paraphraser Johnny, notre objectif est de leur redonner l’envie d’avoir envie !” Comme un grand frère ou une grande sœur que l’on admire, ces nouveaux professionnels de santé doivent incarner auprès des malades l’exemple vertueux de celui qui a réussi à se rétablir et à mener une vie normale, malgré son trouble mental. Pour beaucoup d’élèves qui ont commencé depuis peu à travailler en alternance dans des hôpitaux ou des associations médico-sociales, les contours du métier de pair aidant restent encore assez flous.
“Il faut qu’on arrive à se distinguer des infirmiers. Par exemple, quand un patient entend des voix et a peur d’en parler, il peut plus facilement se confier à nous qu’au reste de l’équipe soignante, argue Juliette, pour répondre aux interrogations de la nouvelle promotion. Les ateliers cuisine au centre médico-psychologique, c’est très bien, mais on est surtout là pour parler rétablissement avec les patients, les aider à s’autonomiser.”
Une partie du corps médical réticente
Paire aidante à l’hôpital d’Etampes (Essonne) depuis un an, elle est venue témoigner des joies et des difficultés d’intégration au sein d’une équipe hospitalière méfiante à l’idée de voir des patients passer de l’autre côté de la barrière. “Il faut vraiment qu’on en finisse avec cette distinction factice entre eux et nous, insiste le psychiatre Jean-Luc Roelandt. Cela n’a pas de sens, il y a aussi des troubles psychiques du côté des soignants, mais on n’en parle pas.” Manque de moyens, peur de la remise en cause de leur statut, changement des pratiques… Face à la défiance du personnel médical, “dé-stigmatiser” est un mot qui revient régulièrement dans la bouche des futurs pairs aidants. “Je me rappelle de cette infirmière qui m’avait dit que je faisais rentrer la maladie en salle de pause”, se remémore Juliette avec un sourire amer. Comme le montre ce papier du Monde, la présence de pair aidants reste en effet “contestée” parmi “le personnel soignant, les syndicats ou les usagers”.
“Une vie normale sous psychotropes, c’est possible !” Derrière ses lunettes rondes Pauline, attablée devant son déjeuner entre deux cours, tient à faire passer le message. “Je n’ai jamais été aussi heureuse que depuis que j’ai été diagnostiquée”, lui répond Judith, atteinte de la même pathologie mentale. “J’espère aussi réussir à montrer à l’usager qu’il a des droits : celui d’avoir une vie sociale, un travail, et l’aider à sortir de la spirale de l’auto-stigmatisation”, ajoute Ugo, qui travaille dans une clinique de post-cure à Calais.
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Lui-même en a beaucoup souffert, et est longtemps resté isolé, jusqu’à ce qu’il participe à un groupe d’entraide mutuelle, en devienne président, puis se décide à rejoindre la licence en pair aidance de Paris 13, qu’il suit en alternance avec son travail dans cette clinique. La solidarité et l’écoute entre ex-patients l’ont beaucoup aidé à se stabiliser, en parallèle d’un traitement innovant par électrodes. “Les moments qui m’ont fait le plus de bien lors de mon hospitalisation, c’est quand on fumait une cigarette avec les autres patients, qu’on parlait de nos hallucinations respectives, qu’on en rigolait presque”, se rappelle de son côté Judith.
“Au début, j’étais très en colère contre l’hôpital. Puis, à force d’observer, j’ai compris le manque de moyens”
Depuis la création des groupes d’auto-support entre malades du VIH ou d’usager de drogues dans les années 1990, la pair aidance et le savoir expérienciel des patients trouvent peu à peu leur place là où les pratiques médicales traditionnelles peuvent parfois montrer leurs limites. “Dans les centres de soins pour usagers de drogues, les médecins ont beaucoup recours à la psychanalyse sur le long terme et à des grandes références type Lacan ou Freud. Ce n’est souvent pas adapté à l’urgence dans laquelle sont plongés les toxicomanes. Même chose avec les animateurs, qui nous faisaient faire sept fois le tour de la ville à vélo, à quoi bon ?”, raconte Chantal, heroïnomane, pendant la pause. S’inscrire à Paris 13 lui a permis de devenir salariée de l’asso de prévention bordelaise dans laquelle elle organisait jusqu’ici bénévolement des groupes de parole.
En créant cette formation il y a deux ans, l’équipe du docteur Roelandt et le Laboratoire éducations et pratiques de santé de Paris 13 se sont donné comme objectif de professionnaliser la filière des médiateurs en santé pairs, de leur permettre d’accéder à un emploi durable, mais aussi d’être reconnus par les infirmiers. Au moment du lancement des premières formations expérimentales, Jean-Luc Roelandt a dû faire face à une levée de boucliers de la profession hospitalière, qui s’est mise en grève pour protester contre ce nouveau statut de pair aidant.
“Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et le rétablissement, compris comme un accompagnement au retour à une vie stable, est devenu une politique nationale.” Les pairs aidants sont justement là pour accompagner ce changement, à un moment où, faute de moyens, l’hôpital public en est trop souvent réduit à gérer les crises des patients à coup de neuroleptiques et de contention. A noter cependant que le secrétaire général du syndicat Sud santé sociaux déclarait au Monde en 2017 que “démunir les équipes soignantes déjà fragilisées et en souffrance pour financer des postes de pair aidants détériorerait encore une situation très compliquée” mais que “dans une situation apaisée”, les choses pourraient être “envisagées autrement”.
“Quand on sort, c’est le vide abyssal, on est seul, sans savoir quoi faire. L’infantilisation à l’HP a ses bons côtés, mais ne prépare pas du tout à reprendre le cours normal de sa vie”, raconte Judith. “Au début, j’étais très en colère contre l’hôpital. Puis, à force d’observer, j’ai compris le manque de moyens, les soignants débordés qui n’ont pas le temps de s’occuper correctement de nous”, ajoute Pauline. Fortes de leur nouvelle formation qui débute, apaisées, les deux femmes aspirent désormais, tout comme leurs camarades de promotion, à améliorer le suivi des patients en psychiatrie, en faisant de leurs parcours médical un chemin vers le rétablissement médical et social, et non plus un cycle infernal de crises et d’hospitalisations à répétition.
* Le prénom a été modifié
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