En 2014, Édimbourg était la deuxième ville la plus visitée du Royaume Uni, juste derrière Londres. Depuis cette semaine, les guides touristiques traditionnels sont concurrencés par d’anciens SDF.
Se balader dans le centre de la capitale écossaise, c’est être assailli par l’Histoire à tout moment. De l’artère principale, Princes Street, à la vieille ville, une cohorte de guides touristiques en kilt vous compte les aventures de Sir Walter Scott, le célèbre auteur d’Ivanhoé et des souverains qui se succédèrent dans l’imposant château perché sur un rocher volcanique. Le tout, dans les effluves de bière et au son omniprésent des cornemuses.
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Nouveau millénaire oblige, des alternatives au tourisme des clichés existent désormais. Depuis quinze ans, un Trainspotting tour offre, à travers une tournée des repères malfamés des anti-héros du film de Danny Boyle, une expérience plus proche de la réalité actuelle de la ville. Dans la même vaine, le collectif Invisible – Edinburgh propose depuis cette semaine une promenade encore plus authentique.
Une facette cachée d’Édimbourg
Pour une dizaine d’euros, votre guide dévoile une facette d’Édimbourg dont on ne parle pas vraiment sur Tripadvisor. Et pour cause, chacun des quatre accompagnateurs disponibles est un ancien sans-abri. Parmi eux, Sonny, 36 ans. Après cinq ans dans la rue, il vit désormais dans un petit studio fourni par la ville et cumule deux emplois. « Sonny travaille pour une chaîne de sandwichs nommée Social Bite, explique Zakia Moulaoui, la fondatrice du projet, « un employé sur quatre vient de la rue, d’une situation difficile. Comme les trois autres, c’est là que je l’ai rencontré ». Originaire de Saint-Étienne, Zakia a déménagé en Écosse en 2008 pour être assistante de langue dans une université d’Édimbourg. Elle n’est plus jamais partie. Précédemment employée de l’ONG Homeless World Cup, c’est en voyageant que l’idée de lancer Invisible Edinburgh lui est venue. « Mon job était de voir ce qu’il se faisait pour aider les personnes en précarité et voir ce qu’on pouvait importer dans d’autres pays. À Athènes, j’ai découvert que les vendeurs qui vendaient l’équivalent du Big Issue local (magazine vendu uniquement pas des sans-abris dans les rues du Royaume-Uni, NDLR) donnaient aussi des tours de la ville en offrant leur perspective. Ça m’a vraiment plu. Ça se fait aussi en Suisse et en Irlande et j’ai décidé de lancer ça à Édimbourg en septembre dernier ».
(Les quatre guides en photo sont George, Sonny, Stewart and Biffy- Thomas Andrei)
À partir de janvier, l’opération et lancée, et la formation des guides démarre un mois plus tard. « Trois d’entre eux ont abandonné. C’était difficile, certains n’avaient simplement pas le temps, d’autres ne croyaient pas en eux. On a beaucoup discuté, de ce qu’il voulait bien raconter sur leur vie personnelle ». En plus d’un tour historique classique, chaque guide retrace des étapes de son existence, avec un thème bien précis. Par exemple, la visite de Sonny est baptisée Crimes et Châtiment, et Biffy, la seule fille du groupe vous embarque dans le passé des femmes qui ont fait Édimbourg, comme l’auteur d’Harry Potter, JK Rowling. En mélangeant les histoires, les guides rendent leurs visites imprévisibles. À un moment donné, Biffy arrête ses clients devant une petite porte violette, qui pourrait être l’entrée de l’appartement d’un écrivain célèbre. Il s’agit en fait du centre de désintoxication qui l’a guérie de son addiction à l’héroïne.
« J’ai toujours peur que les gens me jugent »
Une étape douloureuse que Biffy toujours difficile à évoquée, a fortiori face à des inconnus. Timide, elle raconte : « J’ai toujours peur que les gens me jugent. Mais toutes les réactions ont été positives pour le moment. Je raconte comment je suis devenue clean, et je reçois beaucoup de soutien ». Durant sa formation, Biffy a également beaucoup appris, notamment sur des figures pas spécialement connues du grand public. Souriante, elle raconte : « Mon histoire préférée est celle d’Eslie Inglis. Une femme médecin qui est allée au front pendant la Première Guerre Mondiale, puis a tout fait pour aider les pauvres d’Édimbourg. C’est une source d’inspiration pour moi. Elle s’est battue contre le sexiste et a prouvé que les femmes pouvaient faire aussi bien que les hommes ! ».
À 27 ans, Biffy a enfin trouvé une raison de vivre, après dix années de violence et de galère. Selon le succès d’Invisible Edinburgh, elle se voit bien être guide pour toujours : « J’aime rencontrer de nouvelles personnes et leur faire découvrir mon univers. Mais je veux aussi aider Zakia dans le projet, et le porter le plus loin possible ». Plus loin, ce serait dans d’autres rues, avec d’autres histoires, en Écosse et en France. Confiante, Zakia conclut : « Il y a une initiative similaire à Paris. Lancer Invisible Lyon ou Invisible Montpellier, je pense que c’est possible. Il y a beaucoup de gens dans le besoin, et plein de choses à raconter ».
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