Un rassemblement afin de réclamer justice pour Théo, et plus généralement contre les violences policières, avait lieu samedi 11 février devant le tribunal de Bobigny. D’abord calme, la mobilisation a dégénéré en fin d’après-midi.
Elle nous demande si elle peut nous emprunter notre stylo. Les mains rougies par le froid glacial – et la neige intermittente – de ce samedi après-midi de février, elle écrit en lettres capitales sur sa feuille A4 un message simple : “Plus jamais ça.” Tout comme quelque 2000 personnes, selon les chiffres de la préfecture, cette dame s’est rendue devant le tribunal de Bobigny afin de réclamer justice pour Théo, violemment interpellé dans son quartier de la Rose des vents, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 2 février, par quatre policiers. Le jeune homme de 22 ans, qui ne souhaitait que s’interposer à un contrôle d’identité de l’un de ses amis, est depuis à l’hôpital, grièvement blessé : outre la réception de coups et des insultes, il souffre également d’une déchirure à l’anus de 10 cm de long, suite à l’introduction d’une matraque dans son rectum par l’un des membres des forces de l’ordre. Ce dernier a été mis en examen pour viol, les trois autres pour violences volontaires.
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Ce n’est pas la première fois que des rassemblements ont lieu depuis le début de l’affaire, une marche ayant été organisée à Aulnay le lundi suivant l’interpellation de Théo, ainsi que plusieurs manifestations dans Paris. Les personnes présentes, pour la plupart issues de banlieues parisiennes – mais pas que – sont à bout : les contrôles d’identité qui dérapent, les insultes, les discriminations, la violence, tout cela, ils n’en veulent plus. Ce qui est arrivé à Théo, “c’est la fois de trop”, d’après une femme adhérente à l’association Femmes et égalités, basée dans la cité des 3000 à Aulnay, qui fut à l’origine de la mobilisation pour le jeune homme. Alors que plusieurs gendarmes surveillent la foule qu’ils surplombent en étant postés en haut d’une sorte de pont rejoignant le tribunal – “Ils ont le seum là haut!” dit, goguenarde, une jeune fille – les manifestants crient leur rage : “Tout le monde déteste la police”, “Police, violeurs, assassins”, “Donnez-nous le pointeur [violeur, ndlr]”…
« Je ne suis pas un Bamboula »
Les pancartes brandies par les manifestants portent le même genre de messages. Sur l’une d’elle est écrit « je ne suis pas un Bamboula », en référence aux récents propos d’un policier sur le plateau de C dans l’air, estimant que cette insulte, qui aurait été adressée à Théo par les policiers, « rest[ait] convenable ». Plusieurs personnes prennent la parole, majoritairement pour appeler à ne rien lâcher, mais aussi à rester calme, comme l’avait déjà demandé Théo après que plusieurs débordements ont éclaté dans son quartier suite à son interpellation. Le rappeur Fianso – l’occasion pour certains d’entonner son titre “93 empire” – des membres du comité Justice pour Adama [du nom du jeune homme décédé lors de son interpellation par les gendarmes, à Beaumont-sur-Oise, en juillet dernier, ndlr] ou encore la mère de Théo se passent le micro. Cette dernière, enveloppée d’un drapeau du Congo, estime que “la communauté africaine doit se mobiliser : aujourd’hui, on tue des Africains, on violente des Africains (…) Et, il faut le dire, Théo a été violé.”
Une référence à un rapport de l’IGPN, cité dans plusieurs médias cette semaine, qui privilégie la thèse de l’accident, et non pas celle d’un viol, concernant le coup de matraque reçu par Théo. Des conclusions qui ne passent pas auprès des habitants d’Aulnay et de l’opinion publique en général, de quoi enjoindre le parquet de Bobigny, dans un communiqué daté du 9 février, à “préciser (…) que le rapport de l’IGPN constituait la synthèse des investigations diligentées au cours de l’enquête ayant précédé l’ouverture de l’information judiciaire (…) et ne constitue donc pas un élément nouveau”, ajoutant, “qu’à cet égard, (…) les investigations se poursuivent afin de faire toute la lumière sur les faits”.
Plusieurs débordements
“Je pense que ce rapport de l’IGPN, ça ne passe pas du tout du côté des jeunes”, estime une sexagénaire, venue apporter son soutien. Plusieurs ne tardent pas à lui donner raison : il est environ 18h, et la mobilisation dégénère. Un véhicule de la radio RTL est mis à feu – celui d’Europe 1 sera lui aussi dégradé dans dans la soirée – les fenêtres des bâtiments environnants cassées, les murs tagués d’inscriptions anti-forces de l’ordre. Les gendarmes encadrant la manif, cibles de jets de pierres, ne tardent pas à sortir leurs gazeuses, flashballs et grenades de désencerclement.
Bobigny – Un camion RTL incendié. pic.twitter.com/boAcUX9Hsb
— Remy Buisine (@RemyBuisine) February 11, 2017
D’après la préfecture, il y aurait eu “quatre voitures incendiées, deux établissements commerciaux ainsi que la gare routière de Bobigny dégradés, plusieurs poubelles incendiées”. Son communiqué ajoute que “des effectifs de police ont dû intervenir pour porter secours à une jeune enfant se trouvant dans un véhicule en feu”. Une annonce qui a été débattue hier soir sur les réseaux sociaux, certains mettant en avant une communication mensongère de la préfecture : plusieurs témoins cités par le JDD racontent que ce ne serait pas les forces de l’ordre, mais des personnes participant à la mobilisation, qui auraient en fait sorti la fillette de la voiture. L’institution a fini par admettre ce dimanche que c’était bien un manifestant qui l’avait sauvée, comme le rapporte l’Express. En outre, d’après une source policière citée par le Parisien, 37 personnes auraient été interpellées dans la soirée suite aux échauffourées.
#manifestation #bobigny La préfecture de police salue le courage du jeune homme qui a sorti, hier, la fillette de la voiture en feu.
— Préfecture de Police (@prefpolice) February 12, 2017
Tennessee, 29 ans, est venue de Villepinte. Si elle ne cautionne pas les débordements – “c’est dommage que ça se passe comme ça” – elle comprend également que “les gens soient en colère” : “Ils répondent à la violence par la violence… Même si ce n’est pas ce qu’on veut, c’est un peu leur seul moyen de manifester.” Djamila, elle, n’a eu de cesse “d’appeler au calme” cet après-midi. Cette retraitée résidant à Saint-Denis s’est fait mal à l’épaule, chutant lors d’un mouvement de panique causé par les gaz lacrymogènes. Elle a peur :
“Ce que j’ai vu ce soir, ça restera gravé. J’ai l’impression de revivre les émeutes de 2005. Les plaies ne sont pas encore refermées.”
L’air est un peu suffocant, les rues bloquées. Un jeune homme dit à ses potes : « C’est bon, les gars, ça sert à rien tout ça, on rentre et on se prend un Grec. » On le leur souhaite mais on ne sait pas s’ils sont arrivés à bon port : près du tribunal, les transports ne passaient plus.
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